Cher Joe Dassin,
Sache que j’aime la plupart de tes chansons.

D’ailleurs, avec ma bande de fêtards, on adore les entonner à tue-tête en les accompagnant à la guitare tout en buvant des bières ou du bon gros rouge qui tache.

Et même si je ressens un léger plaisir coupable à frapper du pied en vociférant ce « Zaï zaï zaï zaï » très guilleret, je me prends toujours au jeu : oui, c’est vrai, Joe, il y a une joie délicieuse, une poésie surannée dans ces mots et dans cet air.
Ayant pourtant le scoutisme en détestation (scoutophobe), je confesse aimer ces moments qui sonnent un peu « Baden Powell en plus alcoolisé ».

« On s’est aimés comme on se quitte, tout simplement sans penser à demain » (bande d’irréfléchis), « Et si tu n’existais pas, dis-moi pourquoi j’existerais » (névrosé fusionnel), la magistrale « A toi », que j’écoute en chaussettes mauves, celles qui ont des antidérapants : je les cautionne toutes.
Même celle du type qui deviendra diabétique et obèse à force d’acheter un petit pain au chocolat tous les matins, et qui finira seul, une seringue d’insuline à la main sans jamais avoir catché que la boulangère le mange du regard (genre : « Homme vouloir Sucre et pas voir que Femme vouloir Lui »)

MAIS
je DETESTE » Aux champs Elysées ».
Va savoir pourquoi, Joe.
C’est épidermique.
Les trois premières notes à peine entamées, mon poil se hérisse, je fais le gros dos et je me mets à souffler de colère comme un gros chat de gouttière. C’est plus fort que moi.

Ce sont des choses qui arrivent parfois, ne m’en veux pas, ce n’est vraiment pas contre toi. Un peu comme s’il fallait accepter le fait qu’une de tes œuvres me restera à jamais incomprise.Et c’est totalement irrécupérable, tu m’en vois vraiment navrée.

D’ailleurs, cela me donne envie de te raconter une petite anecdote.
Connaissant ma totale aversion pour cette maudite chanson, Mel-Bichon a décidé de provoquer ma rage.
Un jour, elle m’a offert une jolie boite à musique. Vous devinerez que quand j’ai actionné sa manivelle, deux amoureux tout étourdis par la longue nuit en sont sortis. Elle m’a ensuite obligée à la déposer dans un endroit stratégique de mon salon, sachant pertinemment que les visiteurs éventuels ont toujours la spontanéité de faire fonctionner ce genre de mécanisme.
Son objectif était limpide : pourrir ma cervelle avec l’Insupportable Chanson qui reste en tête.

Pour ce faire, elle a développé une stratégie terrifiante digne de son esprit retors.
Un jour, mon amie Céline me téléphone. Je décroche, vaguement intriguée parce qu’en général, on s’envoie plutôt des SMS. Et, à l’autre bout du fil, elle commence à chanter : « J’me baladais sur l’Avenue… ». Au bout d’un couplet et d’un refrain, elle me précise : « C’est de la part de Mélanie » et elle raccroche.
Le lendemain, je rentre dans le bureau Rock and Roll. J’entends que mon collègue André est en grande conversation téléphonique. Quand il raccroche, je lui demande : « C’était Mélanie ? » (je reconnais sa discrète voix même à travers le combiné). « Oui », me dit-il « Elle avait des questions pour le boulot ». A cette réponse louche, j’aurais dû me rendre compte qu’il se tramait quelque chose dans mon dos. Trois minutes plus tard, la chanson retentit dans le bureau. Il l’avait déclenchée à sa demande.
Le surlendemain, le secrétariat me tend une enveloppe : « C’est pour toi, Nathaliochka ». Aussitôt, je reconnais l’écriture en pattes de mouche. A l’intérieur, elle a glissé les paroles de la chanson.
A ce stade, mon cher Joe, je peux te jurer que je n’avais plus du tout le cœur ouvert à l’inconnu.
J’ai décidé de me venger.

J’ai créé une cellule de crise.
J’ai réuni mes collègues du Bureau Rock and Roll pour une assemblée extraordinaire et je leur ai donné comme consigne : « Trouvez-moi un moyen de vengeance simple et efficace pour neutraliser Mélanie. »
Dédé a pensé à la création d’un calendrier de l’Avent personnalisé. Chaque jour précédent Noël, je pourrais poster sur son mur Facebook la photo d’un gros homme, de préférence laid et torse nu.
Nous réfléchissions à la somme de travail que cela nous demanderait de rassembler cette galerie de portraits quand Catherine s’est écriée : « Je sais ! Tu pourrais offrir à ses enfants un jouet qui fait beaucoup de bruit ! »
Un silence a rempli la pièce.
Un silence vainqueur.
Le silence de ceux qui adoptent une proposition à l’unanimité.

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