Mes souvenirs de « Thelma et Louise » sont loin, enfuis avec mon adolescence et mes boutons d’acné.
Mais dans mon inconscient collectif (est-ce que l’inconscient d’une seule personne peut être collectif ? ) elles symbolisent le duo de femmes aventurières par excellence.
Elles volent une voiture décapotable, traversent l’Amérique, tuent un homme, se font Brad Pitt et finissent par se jeter dans un ravin.
La toute grande classe, le truc qui claque.
« Vas-y Loulou, dégomme-lui sa tronche »
C’est exactement les vacances que l’on a prévu cet été avec ma sœur Caro.
Enfin, sauf qu’au lieu de voler une voiture décapotable, on va partir avec la Ford Fiesta. Qu’à la place de traverser l’Amérique on va sillonner la France. Que si on tue quelqu’un et que l’on tombe dans un ravin, ce sera par pure erreur. Et je pense que si on peut se faire deux G.O. au camping des flots bleus, on serait déjà bien en veine (en ce qui concerne Brad Pitt, je me suis déjà résignée, et pour être tout à fait honnête, mes goûts se portent plutôt vers David Duchovny ).
« Bonjour, beau gosse. Vous habitez chez vos parents ? »
Nous partons donc sillonner les plaines.
Mais il va sans dire qu’un tel périple se prépare un tant soit peu.
A ce stade déjà, deux écoles se sont affrontées.
Celle de Thelma (moi-même) :
- Saisir trois shortys, un bikini et une paire de clapettes dans l’armoire.
- Jeter négligemment le tout dans une valise.
- Réaliser à ce stade (la veille) que l’on n’a pas de valise.
- Vouloir appeler sa maman en grinchant.
- Réaliser que Mère est elle-même partie en vacances.
- Se consoler en mangeant un sachet de cerises Haribo.
Celle de Louise (Caro) :
- Monter la tente dans le jardin paternel quelques jours avant le départ, afin que Thelma sache comment la replier, parce que Louise a soi-disant les bras trop petits.
- Gonfler les matelas pneumatiques afin de vérifier qu’ils ne soient pas troués.
- Emporter des rouleaux de papier de toilette pour Thelma car Louise sait pertinemment bien qu’elle ne va pas y penser.
- Passer faire quelques courses avant le départ pour se faire un pique-nique sur la route.
- Analyser la carte pour savoir quel itinéraire suivre.
La méthode de Thelma :
- Échapper à Louise en prétextant que tout est sous contrôle.
- Rajouter un tube de crème solaire à la pile de ses affaires.
Celle de Louise :
Démonter le maigre argument de Thelma (Tout est sous contrôle) en prétextant qu’elle doit apporter son aide lors des préparatifs parce qu’il parait que elle ne sert à rien pendant le voyage.
Louise prétend que :
- Thelma a peur de conduire sur les autoroutes donc c’est Loulou qui va conduire tout le long du trajet.
- La dernière fois que Thelma a servi de copilote, la carte routière s’est envolée par la fenêtre à cause du vent.
- D’ailleurs, Thelma ne sait pas lire une carte.
- Il parait qu’elle ne sait pas non plus replier la tente et que Louise (elle insiste là-dessus) a les bras beaucoup trop courts pour faire ce genre de mouvement.
- La dernière fois que Thelma a voulu cuire des œufs en camping, elle a servi une omelette sur graviers à ses invités.
Devant tant de mauvaise foi, Thelma se devait de montrer à Louise l’exact inverse (c’est-à-dire sa bonne foi).
C’est donc dans ce contexte que Thelma est venue à la séance de préparatifs (il faut dire aussi que Belle-Maman avait préparé des moules frites ce soir là).
Quand il a fallu vérifier l’état du matériel de camping, j’ai râlé.
Parce que personnellement, je serais bien partie à la « One-again ».
Jeter tout dans le coffre, sauter par-dessus la portière de la décapotable et filer, les cheveux au vent, le long de la Sixtisixe.
C’était ça, mon programme.
« Dites six fois : J’ai eu une cystite le long de la Sixtisixe ».
J’ai râlé quand il a fallu gonfler les matelas (même malgré ces nouvelles pompes qui se branchent sur l’allume-cigares et qui ne demandent plus que tu souffles comme une dératée pendant une demie heure jusqu’à cette sensation douloureuse qui te donne l’impression que ton crâne va imploser en milliers de petits bouts de chair).
J’ai râlé aussi quand il a fallu les poser contre le mur le temps de la soirée, pour vérifier s’ils ne se dégonflaient pas.
J’ai un peu moins râlé quand, après le repas moules-frites, on s’est rendues compte que MON matelas se dégonflait et que Belle-Maman, qui a toujours plus d’un tour dans son sac, m’en a prêté un autre en déclarant solennellement : « Tiens, prends celui-là, je viens de l’utiliser, je suis certaine qu’il est en bon état ».
Tout à coup, oui c’est vrai, il faut bien le reconnaître, les plans anticipation de ma petite sœur avaient du bon, et, si je ne l’avais pas écoutée, j’aurais subi un nouvel épisode de ce que j’appelle communément « le karma-matelas ».
Qu’est-ce que le karma-matelas, me demanderez-vous ?
Eh bien c’est très simple et cela peut se résumer en une phrase : Je n’ai jamais dormi sur un matelas pneumatique gonflé toute une nuit.
JAMAIS.
Car je souffre du karma-matelas.
- Quand j’étais enfant et que je partais en camp scout, je me réveillais chaque matin à même le sol et quand je regardais autour de moi, toutes mes copines dormaient tranquillement sur leur matelas confortable.
- Plus tard, j’ai opté pour les auto-gonflants. Vous savez, ceux qui ne se gonflent absolument pas et qui vous ruinent le dos. Le résultat était le même. Karma-matelas.
- L’été passé, sur mon île grecque, mon matelas était si fin et le sol si dur que je ne parvenais pas à admettre que c’était bel et bien sur du sable fin que j’avais posé ma tente et non sur un parking bétonné.
- Quand je suis partie dans les Calanques, j’avais carrément oublié mon matelas. Des amis, dans leur grande mansuétude, m’ont prêté la couverture de leur chien et j’ai dormi pendant une semaine dans les poils et les odeurs de toutou.
Mais cette fois, grâce à la phase de préparation, j’allais enfin prendre ma revanche, et c’est en paix que je suis partie pour mon périple.
» Wééé, trop d’la balle, Loulou, j’ai emmené un matelas gonflé »
SAUF QUE.
(Il y a un « Mais », comme vous vous en doutez).
Sauf que le premier soir, j’ai très vite senti que Belle-Maman (et là il y a deux options) m’avait soit roulée dans la farine ou bien avait été trop confiante.
Car je sentais bien mon matelas se dégonfler, lentement mais sûrement, au fur et à mesure des heures qui passaient.
La première nuit, j’ai réveillé Caro vers trois heures du matin pour qu’elle m’aide à le regonfler, parce que bon, c’est compliqué pour moi de brancher un matelas sur un allume-cigares. Elle l’a fait, parce qu’elle ne peut rien me refuser, mais elle avait honte de réveiller nuitamment tout le voisinage avec ce bruit de soufflerie de sèche-cheveux. Elle a décrété qu’on ne le ferait plus.
La deuxième nuit, j’ai écouté les conseils de Raphaël qui me recommandait d’échanger incognito mon matelas avec celui de ma sœur.
Mais elle s’en est tout de suite rendu compte (parce que le mien était bleu et le sien gris ?) et elle m’a obligée à tout remettre en l’état, prétextant que comme elle s’occupait déjà de tout (conduire, lire la carte, monter la tente, gonfler les matelas) pendant que je baillais aux corneilles, elle avait bien le droit à un minimum de confort.
J’ai donc dû me résigner à subir le karmas-matelas.
Celui avec lequel je suis née, et qui me poursuivra vraisemblablement jusqu’à ma mort.
Lundi, la tenancière du camping s’est dirigée vers nous en déclarant : « Il va pleuvoir. Et il y a 20% de chance qu’il y ait de l’orage. 20%, ce n’est pas beaucoup, mais tout de même… »
Étrangement, j’ai trouvé cette manière mathématique de présenter les choses rassurante. Comme si la météo pouvait se contenir, se circonscrire aux barrières qu’on lui détermine.
Elle a regardé un peu autour d’elle et elle a ajouté d’un ton plat : « S’il y a des coulées de boue, cela va être embêtant pour vous, parce que votre emplacement est légèrement en pente. », et elle est partie, nous laissant bouche bée.
« C’est dingue ce que cette femme peut être rassurante » a dit Caro.
Il a plu.
Les autres campeurs se sont réfugiés sous leur auvent.
Nous, on n’en n’avait pas.
On est restées assises sur notre siège en se faisant un petit apéro chips-olives-saucisson- menthe à l’eau.
On s’est mis un point d’honneur à ne pas se laisser intimider par quelques gouttes. Car nous sommes belges, après tout.
La pluie, c’est notre univers quotidien.
Et comme le dit si bien Jean-Chri :
Les voisins nous regardaient avec un drôle d’air.
Nous, on trinquait en défiant l’Univers : « Force et honneur »
« File-moi un peu le saucisson à l’ail »
« Beurk, il ne se marie pas super bien avec mon diabolo menthe ».
Il a plu plus fort. (Ah non, ce n’est pas simple à prononcer).
On s’est jeté un regard de connivence et on a dit : « Maintenant ! ».
On a foncé se mettre à l’abri dans la tente.
Il était assez tôt.
Nous avons passé la fin de la soirée dans la tente.
Caro avait la hantise que la tente perce.
Elle en faisait une névrose obsessionnelle. Elle me répétait toutes les deux minutes : « Ne touche pas la toile ».
J’essayais de lui faire comprendre à quel point sa réaction était disproportionnée par rapport au risque encouru. Je la défiais. J’avançais mon doigt vers la toile en demandant : « Et qu’est-ce qui arriverait si je la touchais? ».
Les 20% de chance pour qu’il y ait un orage se sont transformées en 100% qu’il y ait TROIS orages et des pluies diluviennes.
Durant toute la nuit, les éclairs ont zébré le ciel, provoquant des flashs.
J’essayais de faire de l’humour en prenant la pose et en disant : « S’il vous-plaît, l’Univers, arrête de me photographier. Je veux un contrôle total de mon image. », mais je n’en menais pas large.
Le tonnerre déchirait le ciel.
J’avais peur.
La foudre tombait de tous les côtés.
Je me liquéfiais d’angoisse.
Je sursautais.
J’émettais des cris de pouffiasse effarouchée.
Ma sœur se gaussait de moi.
Elle ricanait en disant « Ah ah ! Je ne savais pas que tu avais peur de l’orage. »
La nuit fut éprouvante.
Le lendemain matin, il pleuvait toujours à torrent.
Alors on a décidé de lever le camp pour fuir cette région à la météorologie aussi similaire à notre pays natal.
Sous la drache, nous avons replié le camp. En dix minutes chrono, la tente était dans la voiture, dégoulinante de boue.
Et nous aussi.
On a foncé droit vers le Sud, sans même se retourner.
« Allez Loulou, on débarrasse le plancher »
Dans le Sud, nous avons retrouvé les ingrédients que nous recherchions tant lors de ce périple :
Nos tenues de plage
Mon lac turquoise
Mon ventre plat
Mon Spriiit avec une paille et des glaçons
Mon champ de lavande
Ma fontaine ombragée
Ma voiture décapotable
Ma petite sœur
Ma famille qui veut bien manger mes omelettes
Mon italien ténébreux
De bien belles vacances, somme toute.