Tradition oblige, vendredi passé, Caro et moi étions chez Père (vendredi-papouni).
La semaine de travail ayant été éprouvante, nous étions affalées dans le canapé, sous un plaid, une petite verveine à la main, nous apprêtant à regarder « Les Reines du shopping » quand Axelle est rentrée de l’école.
« On me parle ? »
Elle avait les joues rosées de celle qui vient du froid et le cheveu en bataille. Elle semblait excitée comme une punaise sous amphétamines.
« Nous, on a jamais le cafard »
D’abord, j’ai cru que c’était parce qu’elle avait eu le droit de revenir en bus et qu’elle y avait croisé ses amis Kévin et Brittany et qu’elle avait fumé des clopes avec eux et discuté ensemble du type qui vient de sortir de prison et qui leur fout la trouille à l’arrêt de bus (des fois, sa réalité me fait peur).
Mais je me méprenais.
Elle avait à peine ôté sa veste qu’elle nous a dit : « Je sais ce qu’on va faire le jour de mes 16 ans« .
Ses 16 ans, ce sera le 20 juillet.
« Mon esprit, à ce moment-là »
Qu’elle se projette aussi loin (ici c’est : soir de novembre – vent qui souffle au dehors – bonjour tristesse) pourrait très bien être la preuve qu’elle dispose d’un grand talent d’anticipation mais, croyez-en ma pauvre expérience, une ado de 15 ans qui se projette de la sorte, qui plus est le jour d’une date phare (majorité sexuelle), ça nous prépare une belle pagaille.
Et je voyais bien que Caro, elle aussi, flairait l’oignon, parce qu’elle m’a adressé un regard à l’arcade sourcilière relevée, un regard inquiet empli de méfiance et de points d’interrogation.
Axelle a continué : « On va aller en boite ».
STUPEUR ET TREMBLEMENTS.
Là, pour tenter de gagner des secondes et faire un peu d’esbroufe, j’ai feinté : « En boite de conserve ? »
« Ce soir, on sort en boite de Tupperware »
Et elle a répondu l’impensable : « Non, en boite de nuit ».
« Déca-danse »
Pensez-vous bien : J’ai 37 ans, on était vendredi, j’étais sous un plaid, je buvais un pisse-mémère et, la dernière fois que je suis sortie, je suis rentrée à 22h30.
Autant dire que de là à prétendre que j’aime le scrapbooking et le crochet, il n’y a qu’un pas.
« Je tricoterais bien un pull pour mon enfant imaginaire »
Et je n’étais pas au bout de mes peines car elle a ajouté : « A Charleroi ».
Puis : « Une soirée techno »
« Où on nous badigeonne de fluo ».
« T’as vu mon cul ? »
Un grand silence a régné.
Jamais je ne voudrais refuser quoi que ce soit à cette Sainte Enfant.
Alors je l’ai jouée à la cool en déclarant d’un air entendu : « Ok, chérie. On ira en boite à Charleroi dans ta soirée-techno-fluo ».
Elle était ravie. Elle a donné une dernière précision en disant que là-bas, les jeunes de 16 ans ne peuvent boire QUE 4 vodkas.
Caro s’est indignée : « Seulement quatre ???!!! », mais nous ne sommes pas certaines qu’elle ait compris notre sarcasme.
C’est à ce moment qu’un éclair de génie a traversé ma cervelle et je me suis écriée « Oh mais tu sais, Axelle, qui adorerait venir avec nous et ne rater ça pour rien au Monde ? C’est Mélanie. »
Car il n’y a pas de raison que ma meilleure amie échappe à ce futur grand moment de gloire. On est solidaire ou on ne l’est pas. D’ailleurs, c’est connu, il faut toujours emporter une carolo avec soi.
« Allez les goumiches, on est dans la place »