12 juillet 2017.
Je suis allée au restaurant avec Sibylle et Mélanie.
Il faisait une chaleur épouvantable, je m’en souviens.
On a ri.
Par la suite je penserai « On a ri et je ne savais pas qu’ils étaient déjà morts ». Seuls, au pied de la falaise.
Pendant plusieurs heures. Seuls, dans le silence de la montagne. Immobiles en dessous des rapaces qui tournoyaient dans le ciel bleu, peut-être.
Je suis rentrée chez moi. Je me suis installée dans mon canapé pour regarder une série. Stranger things, je me souviens. Je m’en souviendrai toujours.
Il était 23h30 et mon téléphone a sonné. Mon oncle, Yves. Il disait « Je suis en bas de chez toi, est-ce que tu peux venir m’ouvrir ? ».
J’ai stressé, oui. Vu l’étrangeté de la chose. Mais pas plus que ça. Je cherchais. Il a assisté à un accident dans ma rue et a besoin de mon aide ? Il y a un problème avec mamy ? Non, il ne se serait pas déplacé pour autant.
Je suis arrivée trois étages plus bas. Il m’a regardée droit dans les yeux, il a posé les mais sur mes deux épaules et il a dit.
L’impensable.
Oui, il l’a dit.
Il a dit : « Ton beau-père a eu un accident ».
Puis aussitôt, comme un sparadrap qu’il faut vite arracher « Il est mort ».
Il a dit « ton beau-père », au lieu de Jean-Chri. Je crois. Comme pour prendre de la distance par rapport à ce qu’il avait à me dire, ce qui l’avait secoué lui aussi quelques heures auparavant.
Dominique était là. Ils sont montés avec moi. « Prends tes affaires, on t’amène chez ta maman ».
Ils ont dû tout me dire. Prends ta brosse à dents. Ton pyjama. Je ne savais pas où se trouvaient ces choses ; j’étais hébétée.
La route, dans la voiture.
« Alain est mort aussi ».
Chaque virage de cette route faite de nuit est inscrit en moi.
Extérieurement, rien, aucune réaction. Une légère difficulté à respirer, tout au plus.
A l’intérieur, la vie qui se dérobe. Qui glisse hors de moi.
On sait que la vie ne sera plus la même qu’avant. Car elle vient de basculer.
Il y a la suite. Maman. Mes sœurs. La famille, les amis. Qui nous tiennent. « Respire ».
Il y a la douleur. Les cris de douleur. Les pleurs.
Les mots dont on ne veut pas, techniques : rapatriement des corps, funérarium, crémation.
Ces mots.
Ces mots ne peuvent tout simplement pas aller avec eux, qui sont : passion, joie, rires, jeunesse.
C’est la seule phrase qui me vient ce matin.
Quand on vit pareille tragédie que de perdre un membre de sa famille, il y a clairement un Avant et un Après.
Je n’ai pas su en parler ici.
Par pudeur.
Par respect pour maman et mes sœurs.
Par manque de mots, surtout.
Parce que ma gorge se tordait sur elle-même et qu’aucun son n’en sortait.
Si j’essayais, j’entendais juste les cognements de mon cœur dans ma poitrine, qui témoignaient que moi je suis restée en vie.
Aujourd’hui je pourrais. Même si je me sens impudique.
Juste vous dire qu’il y a un Avant et un Après.
Avant, je ne comprenais pas très bien pourquoi les gens qui perdent un être cher tenaient à ce point à certaines dates du calendrier.
Aujourd’hui je sais que le 12 juillet sera à jamais synonyme de séisme dans chacune des cellules de mon corps, et ce jusqu’à ma propre fin.
Avant, je croyais que je savais que la mort pouvait venir frapper à ma porte.
Mais je ne le savais pas.
Je croyais que ça n’arrivait qu’aux autres.
Après j’ai eu peur de perdre tous ceux que j’aime.
Avant, je dormais d’un sommeil paisible.
Après j’ai fait des cauchemars de chutes dans le vide.
Je le voyais tomber à l’infini. Puis tous les autres membres de ma famille, aussi. Les uns après les autres, nuit après nuit.
Avant j’étais tranquille.
Après des questions sans réponses m’ont hantée : qu’a-t-il vu, qu’a-t-il cru, qu’a-t-il ressenti ? A-t-il su ? A-t-il pensé à nous, à lui, à sa propre vie, à sa fin ? S’est-il évanoui sans savoir ?
Après l’accident, la mesure du temps s’est embrouillée.
Je n’ai pas vu les saisons passer. C’est à peine si je les ai senties.
Puis quand je suis revenue peu à peu à la vie, le temps avait passé.
Et pour moi pourtant, c’était hier. C’était hier que l’on est venu m’annoncer le pire.
Avant, nous étions déjà solidaires.
Maintenant, nous les femmes du clan, sommes encore plus soudées qu’auparavant.
Avant, j’ai été aimée par lui d’un amour inconditionnel.
Aujourd’hui, je sais à quel point il est rare d’avoir été aimée d’un tel amour, et d’avoir autant aimé.
J’essaye de ressentir encore au plus profond de moi cet amour qui nous reliait, un peu comme s’il pouvait irradier jusqu’à la fin des temps.
Je tente d’avancer avec cela, malgré le trou dans la poitrine.
Il y a un an déjà.
Et toutes les années à venir qui s’annoncent.
Je t’adresses toutes mes condoléances. Ton récit est très émouvant, très touchant. Courage.
EM.
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Merci beaucoup. J’ai beaucoup hésité à le publier, je me sens un peu «exhibitionniste», mais ça m’a fait du bien de l’écrire.
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Tu n’es pas exhibitionniste. Tu partages ta peine, et c’est bien normal. On pourrait difficilement rester seule avec ça en dedans sans en souffrir d’avantage. C’est un très bel hommage que tu as écrit, très émouvant, on sent tout l’amour que tu avais pour ses deux personnes. Je te souhaite que le temps calme un peu la douleur, et qu’il ne reste bientôt plus que les bons souvenirs une fois les angoisses inévitables éloignées. Courage.
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Merci beaucoup. Tes mots me touchent. Je sais qu’ils sont quelque part en nous et qu’au-delà de la tristesse restent de sublimes souvenirs.
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C’est très beau … Tellement vrai et tellement bien dit. Affectueuses pensées en ce triste jour d’anniversaire ❤️
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Merci Nat. J’ai pensé à toi en regardant Mama mia un jour où je n’avais pas le moral 🙂
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Parce que j’ai vécu une perte similaire il y a 11 ans en juillet, le 24 exactement, tu m’as fait verser des larmes, non on n’oublie jamais l’amour de ces grands hommes . Courage à toi et toute ta famille, je pense bien à ta maman en ces dates de souvenirs douloureux.
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Merci Murielle. Je t’envoie déjà un peu de baume au coeur pour le 24, dans ce cas. Bises
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C’est très émouvant, Grand chaton, tu as trouvé les mots justes , je suis de tout coeur avec toi et toutes les femmes qui t’entourent et que tu aimes
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Merci mon gros chaton. Merci d’avoir été présente pour moi cette année, ça m’a beaucoup touchée. Je t’embrasse fort.
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❤
Ton texte est super émouvant.
C'est pas de l'exhibitionnisme, un blog c'est aussi fait pour ça, quand on a besoin de faire sortir ce qu'on ressent, c'est un bon endroit pour le faire.
Je pense fort à toi en cette journée
Pleins de bisous !
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Merci beaucoup. Je suis contente de me sentir portée par cette communauté virtuelle qui s’installe autour de moi. C’est nouveau pour moi, malgré que mon blog existe depuis 10 ans et je savoure ces nouveaux liens.
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Jean-Chri un beau-père, un père, un mari, un ami, … non on ne l’oublira jamais!
Courage à vous ses femmes!
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Pensée …
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Merci Véronique
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Merci Nathalie, pour tes mots et ce(ux) qui l’entourent. Ça remue
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Un drame difficile à lire tant il contient de souffrance mais exprimé avec sobriété et sensibilité. Merci pour votre appréciation.
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Merci pour vos mots. Belle journée à vous.
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