Ce mois de janvier, grisée par l’allégresse des bonnes résolutions, j’ai décidé de faire un mois sans chips, exactement comme l’an dernier.
Autant vous le dire tout de suite, cela avait été un fiasco total car le trois janvier, les nerfs mis à rude épreuve par un douloureux sevrage de plus de 50 heures, je me suis ruée sur un paquet de Ringlinglings et, une bague aux oignons à chaque doigt, je me suis pourléchée les mains comme une momie desséchée qui se jetterait dans une oasis en plein désert de Gobi.

Etant donné que j’ai très peu d’amour-propre, je n’ai pas mal vécu cet échec cuisant et, perdu pour perdu, j’ai mangé des chips tous les jours qui ont suivi.

Mais j’ai tout de même le sens du challenge alors cette année, je ne me suis pas contentée de vouloir réitérer l’expérience, j’ai même augmenté le degré de difficulté : faire un mois sans chips ni viande.
Je vous vois tout ébaubis. Je sais que cela vous en bouche un coin.
Cette fois-ci j’ai tenu trois jours et le quatrième, voyant que je salivais devant les chips au paprika d’un orange chatoyant (celles avec des grosses rainures), Caro m’a dit : « Mais manges-en, je vois bien que tu en crèves d’envie. Tu ne trouves pas que ton défi est ridicule ?! ».
Elle avait entièrement raison.
Ne pas manger de chips pendant un mois allait-il faire de moi une personne meilleure ? Je ne crois pas, étant donné que je suis déjà à mon zénith. Cela allait-il contribuer à faire de ce monde un monde meilleur ? Que nenni, et même au contraire, un monde sans chips ne peut être que ruines et désolation.
J’ai donc plongé la main dans le plat et perdu pour perdu, j’en ai mangé les jours qui ont suivi.

Ce que j’ignorais, c’est qu’Adèle, respectueuse de ma résolution, se retenait depuis des jours d’acheter un paquet de Doritos au paprika, pour ne pas me tenter.
Tout comme un futur père se refuse à boire de l’alcool pour accompagner psychiquement sa femme enceinte, ma soeur se refusait à grignoter devant moi.
Et puis un jour, elle a craqué. Elle est rentrée du boulot avec un paquet de Doritos en mains et elle l’a jeté sur la table en disant : « Je suis tellement désolée, Natha. Je sais que tu fais un mois sans chips, mais je n’y tenais plus. Si tu veux, je vais aller les manger en cachette dans ma chambre ».
Je lui ai répondu un très laconique : « Oh tu sais, ne te tracasse pas pour moi : j’ai décidé de ne pas faire le défi, finalement. Cela fait des jours et des jours que j’en mange « .
Là, ses yeux se sont révulsés et j’ai quasiment vu la moutarde lui monter au nez et elle s’est écriée : « Mais enfin !!! Cela fait des jours que je me retiens par respect pour tes convictions!!! » « Ah bon ? » « Mais oui. Et toi tu me dis tranquillou que tu ne fais pas le défi ! ». Elle se tait un instant puis décrète : « Si c’est comme ça, tu seras punie. Tu ne pourras pas caresser Bébé-doux pendant une semaine entière« .

Le verdict est tombé comme un couperet.
J’ai bien essayé de négocier en bredouillant un « C’est trop injuste », mais quand Adèle décrète quelque chose, elle devient aussi sévère qu’une Staline en couronne et plus rien n’est négociable.

J’ai donc dû vivre une semaine entière sans approcher le gros chaton et, chaque fois que j’essayais de l’approcher quand Adèle avait le dos tourné, il me lacérait les mains de ses griffes et elle s’écriait, victorieuse : « N’essaye pas ! Je lui ai appris à te mordre ». Ce qui était vrai car le mardi suivant, quand elle a dit à son chaton : « La punition de Natha est levée, Kodak. Tu peux la laisser te caresser », il a gardé ses griffes rétractées et s’est contenté de m’observer avec son regard stupéfait.
Le premier février, Mathilde est arrivée à la maison en claironnant : « Alors Natha, tu es prête ? C’est maintenant que commence le mois sans alcool pour moi et sans chips pour toi. » « Ah bon ? C’est en février ? Je pensais que c’était au mois de janvier. » « Mais non, c’est maintenant. Alors, tu en es ? « Bien évidemment », lui ai-je répondu devant Adèle qui caressait Kodak en me regardant avec un sourire en coin. « C’est que j’ai le sens du challenge, moi ».
Trois jours plus tard, je suis allée chercher Mathilde chez elle. Dans la voiture elle m’a dit : « J’ai craqué, Natha. J’ai bu de l’alcool ».

J’ai tenté de la réconforter. « Oh tu sais, ce n’et pas pour autant que tu es une moins bonne personne. Seul Dieu peut juger les Hommes. Tu n’à qu’à reprendre à zéro demain ».

Et puis j’ai vu, posé sur ses genoux, un sac de courses. « Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? » lui ai-je demandé. « Un paquet de Doritos au paprika avec un petit guacamole fait maison », m’a-t’elle répondu avec sourcil relevé. « Mais…Mais… » ai-je articulé.
Et elle a déclaré : « Comme je suis tombée, j’ai décidé de t’emporter dans ma chute » et elle a émis un rire sardonique.
