Récits

Coup de binette et autres historiettes

Ce matin, pleine d’enthousiasme, j’enfile mon pull orange à paillettes, je mets de grandes boucles d’oreilles brillantes, je m’asperge de quelques nuages de parfum, puis je dégringole les escaliers quatre à quatre pour rejoindre Mère qui m’attend en bas.

Lady Gaga is back.

Au même moment, Adèle sort de sa chambre. Son visage a le même teint que le cul d’Edward Cullen, son cheveu a cessé de livrer bataille. Elle a réussi son confinement en mode vampire : huit semaines sans jamais sortir le moindre orteil de la maison, ni pour des courses ni même pour un petit tour du quartier.

Elle s’exclame : « Waw ! Tu t’es fait belle ! Vous sortez ? »

– Oui, répond Mère.

– Et vous allez où ?

– Acheter du terreau.

Oui, je sais, je vous fais rêver.

Mais moi, c’était un peu comme si c’était LA sortie de l’année.

Mère a pris le volant – on faisait un truc interdit : être deux dans la même voiture, mais c’était pour la bonne cause, pour l’aider à porter son sac de terreau car elle s’est démis des côtes et souffre atrocement, et le kiné lui a interdit de porter quoi que ce soit.

Faire un truc interdit, ça nous a donné l’impression qu’on était un peu des Thelma et Louise qui traversent les champs de fraises sur plus de quatre kilomètres pour aller acheter des sacs de terreau.

Prête, Loulou ?

On est arrivées sur le parking du magasin. Je suis restée à l’intérieur de la voiture. Mère n’a même pas eu la bienséance de garer la voiture vers le magasin, histoire que je puisse un peu observer ce qu’il s’y passait. Non. Elle s’est mise dans le sens inverse. J’avais vue sur la nationale. Je regardais les voitures passer, enfermée comme un chien puni à qui on laisse une ouverture dans la fenêtre pour qu’il puisse respirer.

J’ai pris plein de photos, en essayant d’appuyer au moment précis où passerait une voiture. On s’occupe comme on peut.

Je n’ai pas réussi.

Mère est arrivée. Parée de mes plus beaux atours, je l’ai aidée à déplacer les sacs de terreau dans le coffre, devant le regard ébahi d’un monsieur obèse.

Puis on est rentrées.

– « C’est déjà la fin de l’aventure ? » lui ai-je demandé.

– J’en ai bien peur, oui.

– Maintenant que j’ai goûté à la liberté, j’en voudrais plus.

– Je comprends. Mais on a plus rien à acheter.

Arrivées à la maison, Mère s’est précipitée dans le fond du jardin. Quelques minutes plus tard, je l’ai entendue hurler. Elle est revenue dare dare vers la maison, une main cachant un oeil.

– Qu’est-ce qu’il se passe ?

– Je me suis pris un râteau.

– « Comme Jean-Claude Duss ?  » (mais je ne voyais pas de Jean-Claude vivre dans la cabane de jardin).

Je crois que j’ai une ouverture

– « Non. littéralement », a-t’elle répondu en pleurant.

– Tu veux dire que tu as marché sur un râteau et que tu t’es pris le manche ?

– Comme dans les dessins animés ? a ajouté Adèle, qui est arrivée, alertée par les cris maternels.

– Oui, a murmuré Mère. « Enfin… disons que c’était plutôt une grande binette

– « Donc, tu t’es pris un coup de binette !

– Voilà.

Vu que l’on possède un brevet de premiers secours, on lui a donné un sac de glaçons qu’elle a appliqué sur son visage. J’ai trouvé ça dommage, parce que le soir, j’aime bien qu’il y ait des glaçons dans mon gin tonic mais je n’ai rien osé dire, privilégiant la blessée.

Adèle a dit :  » Et dire que demain, tu dois retourner chez le kiné pour tes côtes cassées. Tu crois qu’avec ton oeil au beurre noir en plus il va te prendre pour une femme battue ? »

– Oui, ai-je ajouté. Une de celles qui dit : « Non, ce n’est rien, j’ai juste marché sur une binette ».

SOS détresse amitié ?

Et on a beaucoup ri, même si c’est très mal de se moquer de la souffrance d’autrui.

On a ordonné à Mère de rester un peu assise dans la fauteuil, parce qu’apparemment, LE GRAND TOUT lui demande de se calmer en lui envoyant des signes qu’il est important de voir.

Mais elle a dit : « Non, je ne peux pas ».

– Ah bon ?! Et qu’as-tu de si important à faire ?

– Je dois monter sur une échelle pour aller dans le cerisier et réparer la maison des mésanges.

1 réflexion au sujet de “Coup de binette et autres historiettes”

  1. Les mésanges sont les pires locataires qui se puissent trouver et les cerisiers sont toujours trop haut, ce sont des choses qu’on ne changera jamais. Par contre, était-ce vraiment charitable de faire rire ta maman, avec ses côtes cassées ?
    Sinon, en ce moment, j’ai la grande chance de voir passer les PV du confinement au parquet de Bruxelles. Il y a beaucoup d’excuses diverses et variées, mais je n’ai encore vu personne aider sa mère à porter un sac de terreau parce qu’elle a les côtes cassées. Vous êtes vraiment deux génies de l’infraction aux arrêtés ministériels !

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