Le parking dans lequel je vais garer Etoile tous les matins ferme définitivement.

Je sais que c’est pour une bonne cause (notamment y construire notre nouvelle bibliothèque), mais du coup, après m’être renseignée sur les autres parkings, sur les dangers de la circulation à vélo, sur le dropping en hélicoptère privé, j’ai dû me résigner à prendre le bus. Oui, je dis bien me résigner. Car si j’ai mis tant d’années à réussir mon permis de conduire dans la souffrance, l’abnégation et une persévérance exemplaire, ce n’est pas pour me retrouver à prendre les transports en commun avec la plèbe. D’ailleurs, c’est bien simple : je ne sais plus comment on fait.
Françoise, qui prend la même ligne que moi et qui est emprunte de charité, a décidé de me prêter main forte. Elle m’a prise sous son aile afin de me remontrer les gestes perdus.
Avant d’embarquer, elle m’a tout expliqué. « Tu dois monter dans le bus, puis aller valider ton ticket sur la petite machine. Attention car ensuite, il faut faire marche arrière et remonter le courant. Ce n’est pas évident, car nous ne sommes pas des saumons ! Je dirais plutôt que nous sommes des sardines. Tu comprends ma blague ? Car on sera serrées comme des sardines, empilés les uns sur les autres contre des adolescents couverts d’acné et porteurs asymptomatiques. En général, mon astuce, c’est de penser à respirer vers le haut, prendre une goulée d’oxygène, mais là, avec le masque, je ne sais pas quoi te dire. Disons que ça deviendra un trajet de tous les dangers ».

Le premier jour, pleine d’entrain, je suis partie à pieds de la maison. Il y a une demie heure de marche jusqu’à l’arrêt de bus et du coup, j’avais l’impression d’être une belle personne qui enfile ses baskets, emporte son pique-nique Wich-wach dans son sac à dos et longe les prairies en respirant le doux parfum de la brume qui s’évapore, sous le regard paisible des chevaux.

Quand je suis arrivée à l’arrêt de bus, c’était le calme plat.

Pas un seul écolier. Je suis montée dans le bus, me suis installée, ai observé la Meuse qui défilait. Françoise est montée plus loin. Je lui ai dit : « C’était facile, en fait ! » et elle m’a répondu que c’était normal, qu’on était seulement au niveau 1 de difficulté, qu’il allait croître au fur et à mesure des jours de la semaine.

A 16h30, Françoise est venue m’attendre devant la bibliothèque. Je lui ai dit : « Viens, on va vérifier l’avancée des travaux sur le parking. Parce que je vois déjà bien venir l’affaire : ils nous font déguerpir, tout ça pour ne commencer les travaux que dans six mois. Un immense trou ! Je veux voir un immense trou, un cratère qui creuse l’entièrté du parking ! Rien de moins! ». Elle m’a répondu très prosaïquement : « Tu ne feras rien de tout ça » »Ah non ? » »Non » »Et pourquoi pas, ma bonne Dame ? » »Parce qu’on a exactement une minute pour attraper le bus » »Ah ouaiiiis ». Là, on s’est hâtées, mais je ne voulais pas que Françoise fasse une crise cardiaque sur le trottoir (elle est fragile), donc je n’ai pas couru. Elle m’a dit « Si tu veux, on ira voir sur Google vue aérienne pour voir s’ils ont explosé notre ancien parking ».

On a eu le bus. Il y avait un peu plus de monde. Des jeunes. (Je sais que ça fait vieille de dire « des jeunes », mais comme je viens de fêter mes 40 ans, Mamy Tine m’a dit : « Tu es vieille maintenant ! » et je lui ai répondu que c’est l’hôpital qui se fout de la charité vu qu’elle a 90 balais). J’ai dit à Françoise : « Ohlala, je stresse, j’espère que ça va aller » et un jeune m’a dit « Eh oh, du calme hein, tout le monde pourra monter ». Il n’avait pas compris mon humour alors il s’est adressé à moi avec condescendance, ce qui est le propre de la jeunesse. J’ai voulu lui répondre : « Non t’inquiète, gamin, je ne suis pas stressée, je suis juste marrante », mais Françoise m’a conseillé de laisser tomber, et j’ai obéi à mon coach.

Arrivée à l’arrêt de bus, j’ai commencé à ressentir des relans de mon adolescence. Vu que je vis à nouveau chez Mère, c’était cette ligne de bus que j’empruntais à cette époque et chaque fois que je devais rentrer à pieds, je râlais plein ma panse de devoir me taper tout ce trajet.

J’avais un peu l’impression d’être Kritika, l’enfant du Népal, qui doit tous les jours gravir la montagne dans ses tongs en portant son petit frère sur son dos, mais Jean-Chri nous disait que ce n’était rien du tout, que la vue était jolie et que ça nous faisait du bien de nous bouger un peu. « La marche à pieds n’a jamais tué personne » disait-il pour résumer la situation. Et c’est peut-être vrai, du moins pour ceux qui ne se font pas percuter par un camion.

Une demie heure plus tard, arrivée dans le quartier, je suis tombée sur Elisa, la voisine, qui se demandait pourquoi j’étais à pieds et quand je lui ai expliqué mes déboires elle a dit : « Ça me fait penser à quand vous étiez adolescentes et qu’on vous voyait toujours rentrer à pieds ! »

Le lendemain, rebelotte, je me suis levée au chant du coq et je me suis rendue à l’arrêt de bus. Il y avait pas mal de monde, cette fois. Et trois bus pour nous absorber tous. J’ai envoyé un SMS à Françoise « Je suis dans le deuxième bus » afin qu’elle me repère bien. Puis mon bus a dépassé tout le monde. J’ai envoyé un nouveau message « Premier bus ». Pour ne pas devoir changer 18 fois de message sur le trajet (Je suis dans le premier/ Ah non, deuxième/ Zut on s’est fait distancer, on est troisièmes), j’espérais que mon bus reste en tête de la course, et je sentais qu’effectivement on allait gagner car il fonçait à toute berzingue sur la chaussée. Je me disais « Allez, chauffe, Marcelline ! » quand Marcelline, grisée par la course, est passée devant Françoise sans s’arrêter, en soulevant ses cheveux, l’abandonnant là dans des trombes de poussières. On se serrait crues dans Speed, quand ils sont contraints de rouler à grande vitesse sinon le bus explose.

J’étais seule. Seule sans mon coach. Dès le deuxième jour d’autonomie. J’ai envoyé « La vie nous sépare ». Elle a répondu « Ce n’est pas facile, mais tout ira bien. Tu gères. Je crois en toi ».
Au moment de sortir, une petite fille était en stress car elle ne savait pas si c’était là qu’elle devait descendre. Moi je savais. Donc, forte de ce savoir, je suis descendue du bolide infernal et j’ai attendu Françoise.
Quand je lui ai dit : « En tout cas, merci pour tout ce que tu fais pour moi. Tout le monde n’a pas cette chance. », elle m’a répondu : « Je t’en prie. Mais là, tu vois, on est seulement au niveau 2. Il y avait de la place dans le bus. C’était facile. Et cet après-midi, au retour, on aura de la place aussi, puisqu’on est mercredi. C’est demain ça va se corser. Sache que tu ne dois jamais te reposer sur tes acquis ».
Et c’est sur cette belle parole pleine de philosophie que j’ai commencé ma journée de travail.


Que lis-je ? On va vous construire une nouvelle bibliothèque ?
Condoléance pour ce retour dans le passé. Moi je vais travailler en train et j’adore ça, mais le bus j’espère que c’est définitivement derrière moi (sauf en cas de vol de câbles ou de travaux sur la voie).
J’aime beaucoup le bus « Je monte je valide je ferme ma gueule ». C’est dommage qu’il a une plaque française…
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Parfaitement mon bon monsieur
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j’aimerais le partager sur Face book ! trop bien mais je sais pas si je vais y arriver sans Nora ! ________________________________
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Ah ah! Courage. Et vive la technologie
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