Récits

Tornade dans le ciboulot

Malgré le protocole du médecin qui stipule une durée précise pour les baxters et mes demandes de ralentir le débit, l’infirmière B. continue à m’envoyer leur contenu à un rythme effréné dans la caboche. A croire qu’elle a laissé sa marmite sur le feu ou qu’elle doit choper le dernier train. Quand elle fait ça, je sens bien que je commence à ressembler sérieusement à Yolande Moreau dans le sketch des Deschiens. Celui où elle se fait licencier à cause d’un petit souci qu’elle a : parce qu’elle est droguée.

Disons que chaque jour, ça fait un peu comme une tornade dans mon ciboulot. J’ai le bocal qui tangue. Il parait que mes yeux de Pinocchio s’agrandissent encore plus qu’à l’habitude, que mes pupilles se dilatent comme une accro qui cherche sa pipe à crack. Quand je me lève du canapé, mes jambes tremblent, j’ai l’impression qu’elles vont se dérober sous moi, et je grimpe péniblement l’escalier pour aller dormir toute l’après-midi. Puis toute la soirée. Puis toute la nuit. Ou alors je reste éveillée et j’erre dans la maison comme le fantôme de Amy Winehouse.

Hier, par exemple, j’ai voulu faire une besogne. Je suis allée chercher mon panier à linge et, quand je l’ai déposé dans la buanderie, un homme s’est adressé à moi en espagnol. Je n’ai pas compris ce qu’il disait, étant donné que je brossais pas mal le cours d’espagnol, mais je l’ai entendu très distinctement. Je suis restée figée, le panier à linge dans les bras, consciente qu’il n’y a aucun homme, qui plus est espagnol, dans ma buanderie. Je suis restée longtemps prostrée comme ça, plusieurs secondes peut-être, stupéfaite, ébahie. On aurait dit les livres sonores d’Hannah, mais il n’y avait aucun livre sonore à cet endroit. Juste des boîtes de thon et des graines de quinoa. J’ai essayé de rester cohérente. Les boîtes de thon ne parlent pas. Pas plus que les lentilles corail. Et je doute que Jocelyne, la machine à laver, ait une voix masculine et maîtrise l’espagnol.

Qu’est-ce que cela pouvait-il bien être ? 

Adèle qui regarderait une série dans sa chambre juste derrière le mur eut été l’explication la plus plausible. Alors j’ai lâché le panier à linge, j’ai ouvert grand sa porte et j’ai dit : “Tu regardes une série espagnole ?”. Ma soeur a sursauté et a répondu un “Non Natha” ferme et définitif. J’ai demandé : “Il n’y a pas un homme qui vient de parler espagnol ? Avec une voix un peu nasillarde ? Je viens de l’entendre me parler dans la réserve.”

D’abord je l’ai vue écarquiller un peu les yeux, puis elle a dit, avec beaucoup de résignation dans la voix :  “Te rends-tu seulement compte que ce que tu racontes est totalement insensé ?”

Bien entendu, il me reste suffisamment de jugeote pour reconnaître que j’ai certainement eu une hallucination auditive, peut-être liée à tout ce que je reçois dans le syphon en ce moment. Mais comme dirait le partenaire de Yolande Moreau (et toute ma famille) : “J’espère que ça va s’arranger. Et on espère bientôt te retrouver”.

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