Récits

Inondations

Nous sommes en juillet 2021 et ; comment te dire ; le temps n’est pas au beau fixe. A la pandémie mondiale s’ajoutent des pluies diluviennes.

Je sais ce que tu penses, Gary. Que je suis belge et que dans mon pays, comme le dit si bien mon ami Mathieu (qui est pourtant breton) : « Le ciel est bas et les lunettes de soleil facultatives ».

Sache que c’est un euphémisme. Car, plus encore que d’être bas, il nous est à plusieurs reprises littéralement tombé sur la tête.

Ici, par endroits, l’apocalypse a eu lieu. Des orages ont hurlé dans un ciel noir. Des eaux sont tombées en hallebardes. Des routes se sont transformées en rivières grondantes. Des escaliers se sont mués en cascades. Des coulées de boue ont tout saccagé. Des sols se sont affaissés. Des maisons entières se sont écroulées. Des voitures se sont empilées à des carrefours. Des personnes se sont enfuies. Ont nagé. Ont défoncé des portes pour en sauver d’autres. Des vies si précieuses ont été emportées à tout jamais.

Ici, par endroits, les habitants sont en bottes, crottés de boue de la tête aux pieds. Ils raclent, trient, nettoient, jettent et jettent encore. Des meubles autrefois utiles, des objets futiles, des souvenirs d’une vie, précieux car ayant une valeur sentimentale.

Ici précisément nous avons été épargnées. Nous sommes sorties nus pieds sous la pluie battante et avons déployé pour la troisième fois du mois le nouveau protocole spécial inondations. Notre organisation était bien rodée : creuser une tranchée, déplacer les sacs de sable, ouvrir les avaloirs de la rue, observer et prier, regarder la cuve à mazout se faire immerger pour la troisième fois consécutive et savoir que des semaines de douches froides vont suivre. Mais ce n’est qu’un moindre mal, Gary. Par rapport à ceux qui ont tout perdu. Et il parait que ça raffermit les chairs.

On fait du feu, en juillet, en ayant conscience de notre chance, et je gribouille dans un carnet, des dessins plus tristes qu’à l’habitude, emprunts de nostalgie.

Quelque chose, dans les eaux, parle à mon inconscient, à travers mes rêves. Elles symbolisent depuis toujours mon état émotionnel. Quand j’ai vécu des peines de coeur j’ai beaucoup rêvé de lacs gelés, comme une envie de ne plus rien sentir. Quand Jean-Chri est mort j’ai rêvé de cascades qui emportaient tout le reste de ma famille, comme noyés dans le chagrin. En phases de dépression je rêve d’eaux boueuses.

Mais le Docteur Synapse est parvenu à me faire comprendre que, même si le monde tel qu’on le connaissait est en train de se faire la malle au grand galop, il ne tient qu’à nous de nous tenir alignés, de devenir des roseaux pascaliens qui ploient dans la tempête sans pour autant céder, ni à la peur, ni à la tristesse, ni à la résignation. Simplement en étant nous-mêmes. En ayant des gestes de solidarité.

Et même si nous avons vu le pire, nous avons aussi vu le meilleur. L’entraide, les mains tendues, les bras qui portent, les inconnus se prêtant secours.

C’est cela qu’il faut retenir, mon cher Gary.

Même si je sais que c’est facile à dire quand on est installée peinard en peignoir chez soi après une bonne douche glacée.

4 réflexions au sujet de “Inondations”

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