Récits

On se regarderait bien un bon biofilm, ce soir ?

La deuxième phase de mon traitement consiste à détruire les biofilms. 

Afin que tu comprennes en quoi cela consiste, je vais t’inculquer quelques rudiments de biologie. Sache que les bactéries sont un peu comme nous, êtres humains. Elles aiment se regrouper et construire des villes afin d’optimiser leurs compétences, réduire leurs trajets et globaliser leurs ressources. 

Visuellement, cela ressemble un peu à ces pellicules visqueuses qui se forment à la surface des étangs, dans lesquelles les grenouilles pondent leurs œufs. Sauf qu’ici, elles se collent aux organes afin de mieux les coloniser. 

Chez les bactéries comme chez les êtres humains, tout le monde ne s’intègre pas dans la société. Il y a celles qui s’échappent du biofilm et vont migrer vers un ailleurs plus prometteur. Les plus virulentes. Les libre-penseuses. Elles s’en vont créer une autre société plus utopique sur un autre organe. C’est comme cela qu’à mon insu, je suis devenue un vrai continent. 

Tu m’étonnes que je sois fatiguée : elles me prennent pour un buffet à volonté. Et vas-y que je te pompe des nutriments, et vas-y que je te taxe un peu de sucre, et vas-y que je t’aspire la vie petit à petit.

Les biofilms sont très difficiles à détruire car ils se jouent du système immunitaire et peuvent même devenir résistants aux antibiotiques. Seule une molécule, utilisée un peu au hasard Balthazar et destinée au départ à un tout autre usage, donne à présent de bons résultats, enregistrant même quelques rémissions. Tu vas rire, Gary. Parce que le médicament en question est destiné aux alcooliques afin de les aider à se sevrer. Une chance que la pharmacienne me connaisse à présent et qu’elle n’ait pas donné mon signalement à tous les bars du coin. 

Comme j’ai la chance que le Docteur Cyanure soit à la pointe en ce qui concerne le traitement de cette maladie, je suis à présent bénéficiaire de ce médicament. Evidemment, cela n’a pas échappé à Adèle qui s’est exclamée : “Oh mais tu es un cobaye, alors !” Quand je lui ai répondu “Oui, en quelque sorte”, elle a ajouté : “Tu vas passer tes journées à tourner dans ta roue”. Je crois que ma sœur confond cobaye humain avec hamster à poils longs.

De toute façon, il me serait totalement impossible de passer mes journées à tourner dans une roue. Je suis trop épuisée pour cela. Hier, par exemple, après une sieste de trois heures, je me suis installée, les bras ballants, dans un fauteuil sur la terrasse, à côté de mamy Tine. Nous observions au loin Mère et Adèle qui étaient en train de tailler les haies en se disputant parce qu’Adèle essayait de donner à son buisson la forme du visage de Staline et Mère aurait préféré une simple boule. Puis tout à coup, mamy s’est levée de son siège, très lentement, avec le dos voûté. “Tu as besoin de quelques chose?” lui ai-je crié à l’oreille (elle a des bouchons et plus d’appareils). “Non merci”, m’a-t-elle répondu “Je fais simplement un petit tour sur la terrasse”, et elle a commencé à marcher un peu, de long en large, appuyée sur son déambulateur. 

Eh bien, Gary, je vais te dire une chose : jamais je n’aurais eu l’énergie de faire une chose pareille. Alors je suis restée engoncée dans mon fauteuil, observant que j’ai moins d’énergie qu’une vieille dame de 91 ans qui sort de l’hôpital. 

1 réflexion au sujet de “On se regarderait bien un bon biofilm, ce soir ?”

  1. J’ai bon espoir qu’en observant assez longtemps cette haie stalinienne, tu trouves en toi les ressources pour procéder au génocide de cette population bactérienne qui, ayant sans doute interprété trop littéralement la doctrine communiste, pense avoir le droit se partager tes ressources.

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