Ce week-end, on s’en va respirer l’air du grand large. C’est escapade en famille à la mer du Nord. Il faut que Bébé découvre de nouveaux horizons, et sa Grande Tata aussi. On charge la voiture, et quand elle est pleine comme un œuf, on embarque toute la clique et on démarre. “On the road again !!! ” me mets-je à crier, pleine d’allant, coincée contre la portière arrière par un immense sac rempli de pelles et de seaux. Pendant ce temps, Hannah s’occupe sagement avec un livre que je lui tends, une aventure de Petit Ours brun. A peine arrive-t-on à hauteur de Fosse-la-Ville qu’elle se met à vomir, comme ça, sans crier gare. “Stooooop”, que je dis. “Alerte au vomi!”. Caro pile sec et arrête la voiture sur le bas-côté. Les portières de devant s’ouvrent en grand et Caro et maman sortent de la voiture en hâte afin d’extraire l’enfant de son siège. Moi, je suis coincée par la sécurité. Il y a du vomi partout, surtout sur Doudou. Hannah pleure à chaudes larmes “Doudouou doudouou”. Je l’avais pourtant prévenue que Petit Ours brun, c’est à gerber. Mère et Caro s’agitent. Parent au plus urgent. Connaissent les gestes qui sauvent. Elles changent les vêtements d’Hannah, arrosent Doudou avec l’eau de la gourde, décident de le faire sécher sur la plage arrière. Pendant ce temps, j’envoie un sms à Adèle. “A peine démarrées de dix minutes que Bébé a fait un grande gerbe dans la bagnole”. On redémarre dans cette charmante odeur de lait caillé. Les vacances commencent bien.

Après une halte pénible sur une aire d’autoroute, nous arrivons enfin à la mer. Une station où de vieux pensionnés en polo Burberry déambulent fièrement au bras de momies oranges, fripées par une trop grande exposition aux UV, en bikini blanc et cheveux péroxidés, se prenant toujours pour des jeunes filles, mais peu importe, c’est calme, c’est joli et l’enfant a repéré qu’on ne l’a pas arnaquée, il s’agit bien d’une étendue d’eau à perte de vue, précédée d’un bac à sable tout aussi gigantesque.
On étend nos serviettes. Mère dit : “C’est infernal, il y a du sable partout. En fait je déteste la mer”. Hannah n’est pas du même avis. Elle veut découvrir au plus vite cette attraction. Elle arrache ses chaussures d’un geste un peu violent et s’encourt au-devant. Je lui tiens la main pendant qu’elle apprivoise la sensation de ses orteils dans l’eau froide. Elle rit. Visiblement, elle ne se contentera pas de n’y mettre que les pieds. Elle me montre le signe “nager”, puis celui de l’eau, puis déclare “Hannah” et hoche la tête en signe d’approbation. “Non, Hannah, tu ne vas pas nager”, lui explique sa tata. “L’eau est trop froide”. Mais des avertissements de Tata, Hannah n’a cure et c’est alors qu’elle se met à plier les genoux de façon étrange en faisant slalomer tout son corps tout en levant les bras au ciel, exactement comme Iggy Pop quand il va se jeter dans une foule en délire. Je suis seule avec elle alors je prends une décision adulte, je lui retire ses vêtements pour les sauver de l’immersion, sentant venir la douille. J’essaye tant bien que mal de retenir le bébé qui se jette à corps perdu dans les vagues en hurlant quelque chose. Welcome San Francisco, je suppose. Elle se débat un peu, elle ne veut pas que Grande `Tata la tienne, elle veut hurler cul nul dans les vagues et ne faire qu’un avec l’océan. Elle veut faire son Woodstock à elle et la situation commence à dérailler sensiblement. Apparemment, c’est aussi l’avis de ma sœur car elle apparaît soudain au bord du rivage, aide salutaire qui donne un ordre clair : “Maintenant Hannah tu sors de l’eau et tu remets tes vêtements”. Caro emporte sa fille, qui claque des dents enroulée dans sa serviette tel un burrito.

On découvre notre appartement. Caro et maman vont faire quelques courses pour le repas : “Tu restes avec Hannah”, me disent-elles. Hannah repère une petite table basse qui s’ouvre et dans laquelle se trouvent des plaids enroulés. Elle ouvre la table basse, la vide de ses plaids. Puis elle entre dans la table basse, se contorsionne pour s’y installer. Je remets les plaids sur ses genoux puis, quand je veux refermer la table, je lui explique qu’elle doit baisser sa tête un peu plus, pour que je puisse refermer le couvercle. Elle a pigé. Je l’enferme dans la table. Elle rigole. Elle ressort. Elle veut recommencer. Une fois, deux fois, 52 fois. Caro et maman reviennent des courses. “Tu n’as pas plus stupide, comme jeu?” me demande ma sœur en nous observant. Je ne prends pas la mouche pour autant. Je pressens que même Maria Montessori a dû par moment se heurter aux nombreux doutes de ses congénères.
Mère et moi, privées d’eau chaude depuis six semaines, nous précipitons sous la douche. Quand on en ressort, on sent le sable qui crisse sur le sol. Mère déclare : “Je déteste la mer. On ne reviendra plus jamais”.
C’est l’heure d’aller se coucher. Hannah dormira avec sa maman sur un gros matelas posé à même le sol. Cette nouveauté, combinée au bon air de la mer, la met en joie. Un peu trop peut-être. Il semblerait qu’elle ait décidé de ne pas dormir. Régulièrement, une petite tête crollée passe dans l’embrasure de la porte et dit : “Coucou!” en se bidonnant. Ca fait un peu moins rire Caro qui essaye de la convaincre de dormir avec un tas de techniques à sa portée : la compréhension, la menace, tout y passe, sans succès. “Ça doit être l’iode”, explique Mère. “Il parait que ça a un effet énergisant sur certains enfants. L’iode stimule une glotte”. Je dis : « C’est vrai qu’elle a la glotte bien stimulée” et Hannah apparaît à nouveau dans le salon en courant à quatre pattes en imitant un chien qui halète. “Quand Adèle était petite, a continué maman, ça lui avait fait le même effet et on a carrément dû écourter notre séjour tellement elle était infernale”. Ma soeur blêmit. “Et c’est maintenant que tu me le dis?”“Je pensais que tu le savais”. Elle s’affale dans le canapé, qui se déplie encore plus car elle a par inadvertance poussé sur un mécanisme et elle conclut : “On ne viendra plus jamais à la mer. Regardez, ma fille ressemble à une échappée de l’asile ». Et de fait, son bébé déambule avec une démarche étrange dans le salon, sa tétine dans la bouche, Doudou en bandoulière et lève la tête vers le plafond en riant à gorge déployée. “Je n’ai pas l’impression qu’elle soit en passée en phase trois”, dis-je à Caro qui m’a enseigné les rudiments des techniques d’animateurs scouts : phase un on excite, phase deux on maintient la bonne ambiance, phase trois retour vers le calme. Je ne sais pas comment elle compte s’en sortir, mais moi, je commence à être fatiguée. Probablement que l’air de la mer m’a assommée. Je rejoins mon canapé-lit. En fond sonore, j’entends Caro qui entame sa phase trois, le fameux “Colchique dans les prés” que Mère nous a toujours chanté en berceuse et qui me donne envie de me tirer une balle dans la tête. Je me cache sous les coussins. Vers 23h30, quand Caro a épuisé tout son répertoire et qu’elle doit entamer la méthode forte : entonner les chants gauchistes, je n’y tiens plus et je m’endors comme une masse, Georges Moustaki ayant raison de moi.

Il faut cultiver ces petits moments pas très marrants sur le moment mais qui laissent des souvenirs impérissables des années après : je me souviendrai toujours des falaises d’Etretat où mon fils qui avait trois ans à l’époque s’est fait piqué l’oreille par une guêpe.
Finalement, Hannah a réussi à s’acclimater à l’iode ou bien vous avez dû rebrousser chemin plus vite que prévu ?
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