11 septembre 2021 – Je vais mieux, c’est indéniable. Je retrouve de ma superbe. Mais certains jours, ce que les médecins dénomment le “brouillard cérébral” reste épais. Une véritable purée de pois. Hier, par exemple, c’était carrément le smog londonien.
D’abord, après de nombreuses circonvolutions et de fameuses angoisses métaphysiques à propos de mon système immunitaire déficient, j’ai décidé de me faire vacciner contre la Covid 19. On dit bien la Covid, même si ça sonne vilain aux tympans. J’avais rendez-vous au matin et bien-sûr, alors que c’était ma seule obligation depuis des mois, j’ai oublié de m’y rendre. “Tu n’as pas reçu un rappel ?”, m’a demandé Mère. Si, mais j’ai oublié malgré tout. Ne me demande pas comment je fais, c’est hors catégorie. Smog londonien, te dis-je. J’ai donc supprimé mon rendez-vous et heureusement, il restait une plage horaire de deux minutes disponible le jour-même. Seulement, une suppression de rendez-vous pour la première dose supprime automatiquement la seconde et ça a été un sacré bordel de s’y retrouver dans mon mich-mach organisationnel. La femme dans l’aubette ne me retrouvait pas, elle confondait ma date d’anniversaire avec la date du jour et c’est à peine si elle ne m’a pas demandé si je m’appelais bien Jean-Claude de la Sarriette. “On ne retrouve plus votre identité”, a-t-elle dit en substance. Mais j’extrapole peut-être un peu
Pour y aller, je ne reconnaissais plus le chemin. Les routes se mélangeaient dans mon esprit. Comme si la nuit toutes les routes qui partent du rond-point s’intervertissaient parfois pour le seul plaisir de me jouer un vilain tour. Alors je me suis arrêtée sur le bas-côté, là où Hannah avait vomi il y a quelques jours à peine et j’ai appelé Mère pour qu’elle me confirme que je devais bien prendre le deuxième embranchement. Mère m’a répondu gentiment, sans me demander si j’étais devenue dingotte (c’est un rond-point proche de chez moi que j’emprunte régulièrement depuis ma plus tendre enfance), mais je pressens que c’est parce que, quand je vois venir la confusion mentale et que je deviens proactive (je m’arrête et je demande), c’est une attitude qu’elle encourage. C’est peut-être un peu maboule de perdre des repères qui sont proches de chez moi mais c’est mieux que de foncer tête baissée et d’arriver à Paris-Roissy en panique.
Ensuite, comme tous les vendredis, Adèle et moi sommes allées chez Caro. Hannah a découvert les joies des dessins animés, ceux de Tchoupi en particulier et elle les réclame en chantonnant “Tap tap tap”. “Je croyais que les écrans étaient interdits avant trois ans”, ai-je dit à ma sœur. Elle m’a répondu : “Tu joueras ta Françoise Dolto le jour où tu te seras reproduite. En attendant, assieds-toi sur le canapé, ferme-la et regarde Tchoupi”.
As-tu déjà regardé un épisode de Tchoupi, mon bon Gary ?
Quand je donnais mes formations “Lecture et petite enfance”, je n’arrêtais pas de répéter à qui voulait bien l’entendre que Tchoupi était le Mal incarné, un fléau contre lequel il faut se battre, ne pas fléchir et continuer la lutte, mais alors, en dessin animé…
Eh bien, cela s’apparente à sept minutes de lobotomie. Un peu comme cette scène dans “Dragon rouge”, quand Hannibal Lecter fait bouffer à sa victime son propre cervelet et qu’il le fait revenir dans du beurre. Le graphisme est laid, il y a une petite métisse qui a des cheveux en une matière qui donne envie de rendre ton petit déjeuner, et ça raconte la vie de pingouins aux voix nasillardes qui font des choses intéressantes au possible. “Ce sont des enfants qui vont à l’école, quoi”, se défend ma soeur. Dans l’épisode que j’ai regardé, Madame Sibylle leur demande de coller une queue d’animal auprès de l’animal qui s’y rapporte. J’étais scandalisée pour eux. “Mais c’est hyper compliqué !!! ai-je dit. C’est quoi cette école de Tchoupi ?! C’est une école pour HP, ou quoi ?!!! Ils sont censés avoir trois ans, ces gosses ! On sait faire ça à trois ans, peut-être ? Même moi, je n’y parviendrais pas”, me suis-je écriée. “Oui, mais toi, tu es teubé”, m’a dit Adèle avec la placidité qui la caractérise.
Enfin, on a mis le Bébé au lit et, comme tous les vendredis, on a mangé thaï en regardant une affliction sur Netflix. C’était une daube. Une jeune fille mourait subitement en s’éclatant la tête contre des latrines (pire encore que de périr à cause d’un américain avarié) et elle avait le droit d’entrer au paradis seulement si elle parvenait à régler les problèmes de ses proches qui figuraient sur une petite liste. Je n’ai pas arrêté de pleurer, c’était trop métaphysique pour moi, dès qu’il est question de la mort je me mets à braire comme un veau.
A la fin du film, sans vouloir te spoiler, elle a pu se rendre au paradis, et ça m’a sacrément estomaquée. J’ai dit : “Mais elle ne va plus pouvoir voir sa famille, alors???!” et Caro m’a dit brutalement : “Tu sais, c’est le principe même de la mort”, alors j’ai pleuré de plus belle.
Et au bout d’une heure et demie de film j’ai demandé à mes soeurs : “C’est quoi, cette histoire de liste, au juste?”, et elles m’ont regardé avec des yeux de merlan frit, elles ont dit “Tu sais que c’est le fil rouge de l’histoire et que c’est un film de pipiches ? C’est pas non plus un David Lynch, hein”. Quand le film a été terminé, Adèle a dit à Caro : “On y va. Je ramène Natha à la maison. Elle doit aller se coucher, elle a eu une rude journée. Une journée de smog londonien. T’inquiète, c’est moi qui conduis”.

J’aime voir ta sœur appliquer la phrase magique : « Avant j’avais des principes, maintenant j’ai des enfants ».
Je te trouve sévère avec Tchoupi ! Caillou est bien pire. Et ça commence dès le générique : https://www.youtube.com/watch?v=o0GLEKzEiSc
Par contre, est-ce que tu avais déjà le même point de vue lorsque tu suivais le cours de littérature jeunesse de première année à Malonne ? Si c’est oui, j’imagine que tu as dû beaucoup souffrir. Une enseignante que j’appellerai Irène pour conserver son anonymat nous avait sorti une phrase magnifique : « Petit Ours Brun joue dans la neige : ce n’est pas très développé comme problématique ». J’avais donc imaginé un « Petit Ours Brun étudie la physique nucléaire pour relever le niveau…
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