On est arrivées le même jour. On nous avait envoyées à une journée de formation des nouveaux agents communaux. Tu prenais consciencieusement note, pendant que je baillais aux corneilles en mimant de la pâte à gâteau qui s’écoule de sa chaise. Tu me regardais d’un oeil amusé, un peu comme si tu n’avais jamais entraperçu une créature aussi étrange que moi.
Tu voulais tout savoir sur moi. Tout. Aucun détail ne devait échapper à ton analyse impitoyable. Et à la fin, tu as déclaré : “Tu seras mon amie”. un peu comme on le faisait dans la cour de récré. Un peu comme dans l’enfance. Quand c’était facile. Quand il suffisait d’énoncer une réalité pour qu’elle existe. “Tu seras mon amie”.
J’ai essayé de t’échapper, au début. Non pas que je ne veuille pas te rendre cette amitié, bien au contraire, mais ça me semblait être une entreprise risquée. On était trop différentes. Mais tu disais : “Peu importe, c’est ça l’amitié”. Tu rajoutais : “Au contraire”.
Puis il y a Sophie. Et on a nous trois, on a reformé le trio des trois Grâces. Non, Bichette. Pas les trois grasses. Peu importe le volume des popotins tant qu’à l’intérieur nous soyons grâce et volupté. Et des femmes de poigne avant tout.
Sophie et moi, on arrêtait pas de te mettre en garde : Nous sommes désordre et chaos là où tu es ordre et méthode. Nous sommes indiscipline là où tu es maîtrise. Nous sommes renoncement là où tu persévères sans relâche. On avait peut-être peur de te décevoir, je pense. Tu étais tellement intransigeante. Mais nous avons formé ce trio étrange, déconcertant parfois. Et tu as eu raison d’avoir foi en nous trois.
D’ailleurs, ça me fait mal à la gueule de le reconnaître, mais tu as toujours raison.
On a travaillé, un peu. Mais avouons que ce n’était pas notre principale préoccupation. On a parlé, beaucoup. Pour ne pas dire sans relâche. De tout. De la pluie, du beau temps, des maris, de l’enfant. Et de ce que l’on ressent. Peines, joies. Plénitude, irritations, il fallait tout te dire, tout te confier sans rien omettre et ton oreille était absolue. Ai-je déjà rencontré une oreille aussi absolue que la tienne ? Je ne pense pas, non.
On a mangé des sushis tous les vendredis midis. 1 B2, 2 B3, 2 coca light, 1 coca. A ce rythme-là pendant huit ans. Ton règlement d’ordre intérieur ne tolérait aucune dérobade. Seules excuses valables : des vacances à l’étranger, et la mort. Mais Bichette, on vient ici pour t’annoncer qu’on a modifié cette clause. Nous perpétuerons nos traditions, et tu seras avec nous. On t’emmènera. Parce qu’on a besoin que la vie continue à avoir cette saveur que tu lui as insufflée. Une saveur de vendredi midi, un petit arrière-goût de sushi.
On a joué aux apprenties sorcières, aussi. Mais ce chapitre-là, on le garde pour nous. Les murs de nos appartements n’en reviennent toujours pas, mais il faut bien secouer la rationalité, parfois, pour faire entrer la magie.La magie, parlons-en. La spiritualité. Tu ne pensais pas qu’il y avait une vie après la vie : tu le SAVAIS. Et à nouveau, il aurait été vain de t’en dissuader. C’était un savoir qu’il n’était pas envisageable de remettre en question. Honnêtement, Bichette, j’en suis fort heureuse et soulagée. Parce que ça signifie que tu seras toujours là pour nous, et que nous serons toujours là pour toi, ma harceleuse préférée. On ne sait pas encore la forme que ça prendra : pardonne notre ignorance, mais c’est nouveau pour nous. Enfin… pour toi aussi, à vrai dire.
Mais compte sur nous pour continuer : à faire semblant de travailler, à glousser comme des dindes, à discuter à bâtons rompus, à manger des frites, à boire du thé, et à ne jamais nous accorder sur nos chanteurs préférés. Parce que c’est ça, la vie, parce que c’est ça qui nous fait et c’est ça qui nous lie.
Et dis bien à Charlie qu’il pourra toujours venir nous trouver pour qu’on lui parle de sa maman qui l’aimait tant. Promis Bichette, on lui fera un portrait élogieux de toi, car tu es une grande femme comme la terre en porte trop peu.
On t’a aimée, on t’aime, et on t’aimera toujours.
Tes deux amies pétées du casque.

Tiens-nous au courant si elle revient, une nuit, te dire comment cela se passe de l’autre côté du miroir, courage ! ♥
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Rire et tristesse. Touchée…
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c’est beau et tellement vrai….j’en ai de l’eau plein les yeux et le sourire aussi
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