Récits

Catapulte et insomnie

J’ai rêvé qu’on me foutait dans une catapulte et qu’on m’envoyait à l’autre bout de la ville à travers les airs.

Tout ça parce qu’hier soir, Adèle m’a raconté que, lors de la première épidémie de peste, les habitants s’étaient rendus compte que s’ils balançaient les cadavres de leurs morts de l’autre côté des remparts, ils disséminaient la maladie et décimaient leurs ennemis plus sûrement encore que s’ils les avaient étripés à la hache ou à mains nues, créant de la sorte la première arme bactériologique de l’humanité.

Adèle a un don. Le don de me raconter des anecdotes favorisant ma culture générale, certes, mais encombrant inutilement mon cerveau. Et mon cerveau, en ce moment, comme tu le sais, est déjà pleinement occupé à lutter contre une maladie mentale, alors si on lui ajoute des informations funestes et inutiles, eh bien… ça fait un sale mélange. Un truc pas joli joli à contempler.

Je me suis donc réveillée en sursaut, faisant bouder Stanislas qui m’en voulait de l’avoir réveillée brutalement de la sorte, éjectée par-dessus la couette.

Je n’étais, contrairement à ce que je pensais, pas gisante tel un gros sac inerte de farine au pied d’une muraille médiévale, mais dans ma chambre, bien vivante, dotée de tous mes membres, sans même que s’inscrivit sur ma peau le moindre bubon pestilentiel. A la bonne heure.

J’ai allumé ma lampe pour chasser le vilain cauchemar. A défaut de pouvoir aller réveiller Mère, qui se dore la pilule sur les pistes de ski, j’ai pensé descendre chercher Adèle pour lui dire que j’avais fait un bad trip. C’était de sa faute, après tout. Mais j’ai eu pitié d’elle et je me suis ravisée, restant plantée là, seule, en proie à la fièvre et à la panique.

Comme chaque nuit maintenant, j’ai changé de pyjama, car il était trempé. Une fois cela fait, je me suis sentie déjà mieux. Un peu mieux. Beaucoup mieux. Beaucoup trop mieux.

En fait, j’avais retrouvé de ma superbe. Comme cela, sans prévenir, subitement, tel un Phoenix qui renait de ses cendres. Résultat d’avoir trop dormi ces derniers jours, probablement.

Je me suis dit : « Allons allons… Détends-toi, Cocotte. Renifle du patchouli, prends un bon bain ou joue de la harpe. Fais un truc qui détend du bulbe ». Mais il était trois heures vingt-deux précisément, indiquait mon réveil-matin, et je ne suis pas certaine que ma soeur eut apprécié le bruit de l’eau qui coule, ni celui de la harpe que je joue pourtant assez mélodieusement.

D’ailleurs, tout bien réfléchi, je ne pense pas qu’elle aurait beaucoup plus apprécié l’odeur du patchouli en pleine nuit : elle m’aurait encore traitée de Grande Prêtresse, et elle m’aurait peut-être même dénoncée aux Autorités et j’aurais fini grillée comme une brochette d’agneau sur le grand brasier de l’Inquisition. Sait-on jamais, on n’est jamais trop prudent, dans le doute je me suis abstenue.

Il me restait alors des caresses au chat, ou Victor Hugo.

C’est bien, les chats. Ce sont de douces créatures étonnement relaxantes. La preuve, on les utilise en thérapie. J’ai caressé Stanislas. Aussitôt, elle m’a mordu la main, telle une lionne qui croquerait les flans d’une gazelle. Je lui ai donné une tape sur la tête pour me libérer et, dépitée, j’ai ouvert « Les Misérables ». Je ne suis pas loin dans ma lecture, à peine à la page 750, mais je me suis dit que comme somnifère, on ne faisait pas mieux.

Pauvre de moi, Victor, de t’avoir ainsi injustement traité d’auteur soporifique. .. Il n’en est rien. Tes pages se lisent sans interruption et se descendent telles une rivière sauvage en rafting ou telles un paquet de chips poivre et sel.

Et puis, ma lecture ne m’a pas vraiment changé les idées face à l’actualité, car Victor a écrit ceci : « Ou bien il passait son temps à trembler, claquant des dents, disant qu’il avait la fièvre, et s’informant si l’un des vingt-huit lits de la salle des fiévreux était vacant ».

Résultat des courses, je ne me suis toujours pas rendormie, et j’étais plus que jamais en proie à une vive agitation interne.

Je me suis forcée à fermer les yeux et je crois que ça a marché parce que je me suis réveillée plusieurs heures plus tard, les vêtements à nouveau trempés. J’avais rêvé que je gardais un appartement et que les propriétaires allaient rentrer incessamment sous peu de vacances alors que j’avais laissé traîner absolument partout de vieux paquets de frites et de la mayonnaise : sous la table basse, sur la moquette, derrière les vases. Je les ramassais pour les rassembler en un grand sac poubelle, mais plus je nettoyais, plus les frites froides semblaient se multiplier par magie.

Le chat avait fini par prendre toute la place dans le lit et j’étais collée contre le mur, moite et délirante. J’ai poussé Stanislas, puis j’ai à nouveau changé de vêtements.

J’avais les sinus qui battaient la chamade, comme Kaa dans le livre de la jungle, lorsqu’il s’endort sur sa branche et tombe en contrebas.

J’avais la tête qui tournait, comme mon amie Geneviève qui a le syndrome de Ménière et qui, lorsqu’on lui demande comment elle va, répond invariablement : « ça tourne, ça tourne ».

J’avais la fièvre dans le sang, comme dans cette chanson stupide D’Alain Chante-fort.

J’avais la tête compressée, comme quand on la plonge dans la baignoire et que l’on entend sa propre respiration en mode Darth Vader.

J’avais les boules, j’avais les glandes, j’avais les crottes de nez qui pendent.

Je me suis levée péniblement. Suis descendue. Adèle préparait des cocktails de vitamines en pressant comme une forcenée sur des oranges qui n’avaient rien demandé. Alain-le-voisin était dans son allée de garage. « Salut ! », lui ai-je crié. « Vade retro Satanas », m’a-t-il répondu en mettant ses doigts en croix.

J’ai lu dans la presse que près de 50 % de la population contractera Omicron dans les semaines qui viennent, alors autant te dire que je ne donne pas cher de sa peau, coincé en étau comme il l’est entre les voisines du 40 (nous) qui toussons et grognons et ceux du 44 (les Ippersiel) qui crachent leurs poumons dans le caniveau.

Voilà pour les nouvelles fraîches, mon cher Gary.

Sur ce, je m’en vais agoniser dans mon canapé.

4 réflexions au sujet de “Catapulte et insomnie”

  1. Faut-il en conclure que le résultat du test était positif ? Je ne l’ai pas lu dans l’article précédent et ce suspens est insoutenable !

    Sinon pour les cadavres de pestiférés, ce sont les assiégeants qui font ça pour refiler la maladie à ceux qui sont enfermés derrière les remparts : c’est ce que les Mongols ont fait en 1346 en assiégeant un comptoir génois en Crimée et comme le Codeco n’avait pas encore fixé de normes de quarantaine à l’époque, la peste a pu s’étendre dans toute l’Europe une fois les Génois rentrés chez eux, en prenant bien soin de faire plusieurs escales pour raconter à tout le monde la férocité des barbares qu’ils avaient rencontrés en Crimée.

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