27 janvier 2022. J’avoue que j’en ai voulu à Douglas de m’avoir ainsi obligée à sortir de chez moi pour affronter ce ciel bas et cet irritant petit crachin national à vous faire frisotter le cheveu. C’est que je suis un animal casanier, moi. Un véritable lièvre de terrier. Alors, dès que j’aventure ma patte hors de la maisonnée, je me retrouve en proie à une indicible angoisse et je sens poindre en moi une implacable crainte de l’inconnu qui se matérialise par un mal de ventre diffus, une boule de nerfs qui me remue les entrailles, la sensation d’être soudain devenue une bête traquée sur un chemin forestier à découvert.
Mais je décide de sortir tout de même, j’emprunte les rues et les trottoirs, longe les magasins pour entrer tout d’abord dans un îlot réconfortant, “Chez Maurice”, la librairie de seconde main. Je me sens aussitôt apaisée. La compagnie des livres, à coup sûr. J’adopte la posture de la dénicheuse de trésors, tête penchée vers la gauche, et me mets en quête de noms amis, sans succès.
Je capte une conversation entre Maurice et une cliente qui semble avoir pris racine là, pilier de comptoir littéraire. Elle raconte qu’elle a reçu de la part de sa sœur un bon d’achat d’une valeur de quinze euros chez “Paysans artisans” et qu’elle compte le dépenser en choux de Bruxelles qu’elle lui offrira en retour. Maurice semble tiquer. Il ne comprend pas qu’elle dédie l’argent de son cadeau à le retourner à l’expéditeur. Il dit : “Il était pour vous, ce cadeau. Il vous était offert. Il ne faut pas faire qu’offrir, dans la vie. Il faut aussi savoir recevoir”. J’ai envie de dire à Maurice que le vrai problème, c’est que son cadeau est tout pourri. Qui a envie de se faire plaisir chez Paysans artisans ? Sa sœur ne pouvait pas lui offrir un bon chez Rituals ou chez Leonidas, comme tout le monde ? Du coup, je soupçonne la cliente de fomenter une vengeance. En plus, je ne suis pas hyper au fait du cour du chou de Bruxelles sur le marché des crucifères, mais m’est avis qu’avec quinze balles, elle peut aller lui en porter une pleine brouette.
“Vous devriez plutôt vous faire plaisir”, insiste Maurice et j’ai fortement envie de crier “Vengeance ! Vengeance !” dans sa boutique, mais la bienséance me retient et je mets plutôt les bouts.
J’arrive à “La brioche dorée”. Je déballe mes autres petites affaires. Ma boîte en fer contenant mon stylo et le tome 4 des “Chroniques de San Francisco”.
Madame Brioche Dorée fonce droit sur moi avec mon assiette. “Oh mais c’est un bel exemplaire des misérables, que vous avez là, Madame Pradier !”. Pour éviter qu’elle ne pense que je suis une iconoclaste qui se permet d’écrire et de raturer une merveilleuse édition, j’ouvre mon énorme livre, lui dévoilant mon secret. “Regardez!”. “Oh mais c’est vide !” “Oui, j’ai aménagé moi-même un carnet de notes à l’intérieur” “Mais comme c’est ingénieux !” “N’est-ce pas ?” “Et c’est très beau, en plus” “Oui, lui dis-je, c’est du plus bel effet” et sur ce, elle me dépose ma pâtisserie ainsi qu’une grande théière.
J’essaye de me mettre en condition, telle une spécialiste olympique de l’écriture en salon de thé, mais la musique qu’ils diffusent interfère avec mes pensées. Je remarque instantanément où le bât blesse : c’est qu’il s’agit d’Angèle. Que dire ? Que cela ne m’étonne guère plus que cela ? Que c’était inévitable, cousu de fil blanc ? Qu’elle me persécute depuis si longtemps maintenant que j’en serais presque blasée, si ce n’était qu’elle parvient encore et toujours à me crisper au plus haut point, une irritation digne d’une fraise de dentiste.
Je jette un regard circulaire et apeuré autour de moi. Personne ne semble me prêter attention. Je verse mon thé dans ma tasse, ouvre mon carnet. “Pradier. La vie incessante”, ai-je écrit avec de belles arabesques sur la première page. Je me mets à observer les abords, telle une Diane Fossey observant les gorilles, tapie dans les fougères et cachée par la brume. Mais il ne se passe absolument rien et je me sens trop timide pour l’exercice.
Je replie mes affaires et quitte le café en hâte, légèrement déçue par mon excursion mais soulagée de rentrer chez moi. Je ne sais pas à quoi je m’attendais. Que quelqu’un trébuche ? Qu’un pacemaker s’arrête de pulser et foudroie une vieille dame au milieu du salon de thé ? Ou, plus modestement, qu’un caniche lève la patte sur le pied d’une table ? Je ne sais pas exactement. Puis, passant devant la vitrine de chez la fleuriste, je vois qu’elle a sorti un grand panneau sur lequel elle a écrit de sa plus belle écriture : “Aujourd’hui, nous fêtons les Angèle”.
Tu sais, Victor, je crois que je ne t’apprends rien, mais ce n’est pas facile tous les jours d’être écrivain.

Hugh! Go! ( mouais bof je sais ..pas drôle) j’aime pas voir les gens tristes sur les photographies.
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Si si elle est bien cette blagounette. Simone n’est pas triste, elle est féministe. Mou haha
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Comptez pas sur moi pour parler de pléonasme ! 🙂
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Ha ha! J’adore
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Il manque une information capitale : qu’y a-t-il dans la théière de Simone ?
Je pose la question parce que je suis en train de boire un Darjeeling Margaret’s Hope récolte d’été
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Les frères Dammann – un thé noir aux bleuets. Très bon
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Truculent ! J’adore votre plume !
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Mille mercis !
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