30 janvier 2022. Je suis allée bruncher avec Charlotte. On aime bien de temps en temps aller bruncher le dimanche matin. On trouve que ça fait très new-yorkaises.
Elle a laissé Chou vert et Vert chou seuls à la maison le temps que Tom rentre des courses. Elle leur a tendu un papier sur lequel étaient inscrits quelques numéros de téléphone et elle leur a dit : “En cas de problème, n’appelez pas Simone, parce qu’elle sera avec moi”. Ils ont jeté un regard distrait à son papier et ont répondu d’une seule voix : “D’accord, maman”, pas tracassés pour un sou. Je les soupçonne d’être impatients de se débarrasser de nous afin de pouvoir jouer sur la tablette. L’enfance est tellement ingrate.
On a mis les bouts. La ville était étonnamment agitée pour un dimanche. Les passants déambulaient, d’humeur joviale. Comme quoi, un jour sans pluie suffit parfois à rendre le sourire aux âmes les plus funestes.
Charlotte m’a tirée par la manche : “Regarde, Simone ! Il y a un grand déstockage de plantes !”. Et en effet, un grand panneau nous annonçait : “Ici, jungle urbaine. Moins 50% sur tout”. “On peut y aller?”, me demande-t-elle. “Bien-sûr, lui dis-je, magnanime. On a bien le temps, on est new-yorkaises, après tout”. On est entrées dans une belle arrière-cour au fond de laquelle se trouvait une grande maison de maître que des hippies urbains avaient envahie et transformée en jungle ; une forêt amazonienne sous les plafonds hauts et les moulures en plâtre. Charlotte ne se sentait plus. Un peu comme moi si on m’avait précipitée au rayon chips de l’Intermarché. En deux temps trois mouvements, elle avait adopté une dizaine de petites protégées, leur chuchotant à l’oreille de douces promesses : “Vous allez venir vivre chez moi, les filles. Vous serez comme des coqs en pâte, vous allez être très heureuses, vous verrez”.
Il y en a une pour laquelle elle a hésité un instant, mais elle m’a dit à l’oreille : “Je ne peux pas ne pas la prendre. Je lui ai dit qu’elle venait. C’est un peu comme un enfant adopté. Tu imagines un peu ? Tu lui dirais, après lui avoir annoncé qu’il a enfin trouvé une famille : “Finalement non, je ne t’adopte pas ?””. Alors elle l’a empoignée et déposée avec les autres à la caisse.
Elle m’a demandé : “Au fait, comment se porte la plante verte que je t’ai offerte pour ton anniversaire ?”. Je me suis vue répondre immédiatement : “Elle va pour le mieux dans le meilleur des mondes”, ce qui serait vrai si l’on considère la mort comme étant le meilleur des mondes. Dieu ait l’âme de Judith… Et qui sont ces mécréants qui osent m’offrir des êtres vivants ?
On est sorties de là, les bras chargés de plantes, et c’est à peine si l’on voyait encore où poser le pied. Nous nous dirigions vers “la Brioche dorée » quand un couple nous a interpellées. “Peut-on vous demander d’où vous venez ? On se promène dans les ruelles et c’est intriguant, cette ville qui regorge de haricots qui marchent”.
On leur a indiqué la Jungle urbaine et j’ai dit à Charlotte : “C’est génial, cette image que la femme vient d’utiliser : les haricots qui marchent ! Je vais l’utiliser dans mon roman”. Charlotte m’a répondu : “Je suis désolée de te décevoir, mais elle n’a absolument pas parlé de haricots qui marchent. Elle a tout simplement dit : “des plantes qui marchent””. “J’ai dû mal entendre, dans ce cas” “Oui. Comme d’habitude. Tu sais quoi ? Les gens pensent que tu es créative, mais en fait tu ne l’es pas spécialement. Tu es juste sourde comme un pot de chambre. C’est comme cette histoire de choux de Bruxelles… elle me semble carrément improbable. Tu es sûre que la femme a dit : “choux de Bruxelles” ? Tu ne crois pas qu’elle a plutôt dit quelque chose comme : “Tu peux t’acheter de la vaisselle ? Ou bien un bon chez Ici Paris XL ?”.

C’est marrant cette histoire de surdité. Victor va-t-il être rejoint par Ludwig au chapitre suivant ?
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bien vu ! moi qui suis sourd comme un pot je compatis ! ce genre de bévue est mon unique ressort créatif ( mettez-moi donc à l’arrière plan pour un excellent dialogue de sourds ) 🙂 bonne journée
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