Récits

L’escalator de la vie

4 février 2022. J’avais rendez-vous chez le Docteur Cyanure et le Docteur Synapse le même jour. Parfois, Gary, j’ai l’impression d’être une vieille carriole juste bonne pour quelques entretiens au garage.  

D’abord, le Docteur Cyanure a trouvé une anomalie. Elle a décrété qu’à ce stade des opérations, je ne devais plus avoir autant de symptômes. Or je ressens une soif inextinguible, je sue la nuit comme un bœuf anxieux, j’ai de violentes crampes dans les plantes de pieds, des acouphènes, les yeux qui phosphorent ; je t’en passe et des meilleures. Elle me dit qu’elle soupçonne une co-infection. Je t’explique : Borrelia s’implante rarement seule dans un organisme, c’est une bactérie qui adore s’entourer de petites copines tout aussi fougueuses et fouteuses de bordel. Le médicament que je prends a pour mission de dézinguer les biofilms, sortes de membranes visqueuses créées par la bactérie pour se loger tranquille et, en bousillant tout ça, il aurait fait remonter à la surface une autre bactérie qui, ainsi délogée, libère moultes toxines provoquant quelques menus désagréments. Tu piges ? Du coup, rebelote pour des analyses et un nouveau traitement approprié en fonction des résultats de celles-ci.  

 “Tu es un peu comme le permafrost, m’a déclaré Caro. A mesure que tu fonds, tu libères un tas de saloperies”.  

Ensuite, Cyanure a tenté de me booster l’arrière-train en m’invitant à bouger un peu : aller marcher à travers la campagne, randonner en famille ; invitation que j’ai aimablement déclinée, lui déclarant que j’étais retournée à l’état larvaire et que je comptais bien y rester encore pour un temps indéfini. “Mais vous savez, Madame – m’a-t-elle répondu – parfois il faut s’obliger. Emprunter l’escalator de la vie”. Je l’ai regardée avec un air bovin et je suis partie. 

Adèle m’a dit : “L’image devrait pourtant te convenir, Natha. Parce qu’un escalator, ça monte tout seul, mécaniquement”. Je sens que Cyanure va devoir changer sa métaphore.  

Puis je suis allée à mon rendez-vous chez Synapse. D’abord, il a trouvé une anomalie. Il a dit qu’à ce stade des opérations – un an d’analyse, joyeux anniversaire – je ne devrais plus autant faire de marche arrière, de demis tours ou m’empêtrer autant dans mes grandes hésitations. Ensuite, il a tenté de me booster l’arrière-train en m’invitant à aller de l’avant, à décider des choses, à les mettre en place. C’était la première fois que cela m’arrivait, mais j’avais la nette impression qu’il essayait de me secouer, c’était désagréable, un peu brutalisant et irritant. Encore un qui voulait certainement que j’emprunte l’escalator de la vie. 

Quand je lui ai expliqué le verdict de Cyanure, comme il est un psychanalyste, un vrai qui ne croit pas en la maladie, il m’a dit en substance : “Ça va être pratique pour vous, vous allez pouvoir reporter la responsabilité de votre inertie sur cette bactérie pour vous dédouaner, sans vous remettre en question”.  

Je suis rentrée chez moi secouée comme un prunier et j’ai aussitôt vérifié dans un calendrier : ce n’était pourtant pas la Sainte Nathalie, c’est le 27 juillet.  

Sur ce, Gary, je retourne me coucher, bien décidée à prendre l’escalator de la vie, mais dans le sens de la descente. C’est que j’aime bien le niveau moins un, on peut y faire des courses de caddie et on est à l’abri de la pluie qui n’en finit pas de s’abattre sur le pays. 

1 réflexion au sujet de “L’escalator de la vie”

  1. Ce qu’il y a de bien avec les escalators, c’est qu’on peut quand même monter (ou descendre) même quand ils ne fonctionnent pas. Je ne sais pas si ça veut dire quelque chose dans le contexte, mais je trouve ça plein d’espoir !

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