Récits

Compter les moutons

5 juillet 2022. Mère a remis sur la table le sujet des moutons. Elle trouve que ce serait bien d’en mettre dans le fond du jardin afin qu’ils mangent les herbes hautes et qu’elle ne doive plus faucher. Mais cette fois, Adèle, devenue une véritable métayère, la prend au mot et lui annonce : « Je vais me renseigner ».

Quand Adèle se renseigne, il faut craindre le pire. Disons qu’elle est plutôt du genre efficace ; tout l’inverse de moi. Ce qui fait que Mère a à peine eu le temps de passer la journée à son stage de poterie qu’à son retour, les moutons broutaient dans la prairie.

J’exagère, Gary.

En vérité, elle avait pris tous les renseignements nécessaires et avait noté sur un papier les races intéressantes et sociables, calculé le nombre qu’il fallait compter au cheptel proportionnellement à l’étendue de nos terres, (trois moutons nains) ainsi que le nombre de piquets à planter et le kilométrage de clôtures à acheter, laissant Mère la bouche close devant le fait accompli.

Si je te raconte tout ça, tu te doutes bien que c’est parce qu’il y a un hic.

Adèle s’est renseignée auprès d’une société nommée « La petite biquette dans la prairie », parce que le nom lui inspirait confiance. Le type lui a dit :

– J’avais 120 moutons et j’en ai vendu 110, ce qui signifie qu’il ne m’en reste plus que 10. En d’autres mots, vous devez vous dépêcher.

Adèle se demande comment venir les chercher.

– Est-ce que vous faites des livraisons ?

Je me marre. On dirait qu’elle téléphone à Déliveroo pour se faire porter un plat de sushis. Je vois déjà le Uber sur son vélo, sonnant à la porte, deux moutons accrochés au porte-bagages, le troisième accroché à son dos.

Elle précise :

– Je n’ai pas de camionnette. Juste une voiture.

– En effet, répond-il, les transporter dans votre voiture n’est pas recommandé.

Je me demande si c’est parce qu’ils ont le mal des transports et qu’en plus de chier sur les sièges, ils se permettent de choisir la station de radio et exigent des pauses au Flunch sur l’autoroute.

– Voulez-vous que je vous les dépose aujourd’hui ? demande l’homme, pressé de nous jeter ses bestiaux.

Bon. Il se fait que la clôture n’est pas mise et que si on nous décharge une brouettée de moutons cet après-midi, ils risquent de mettre le dawa dans le jardin que Mère a passé tant d’heures à rendre parfait.

J’imagine déjà les moutons allongés sur les transats, installés dans le flamand rose gonflable, un verre de porto à la patte ou encore s’en prenant aux rosiers Charles Aznavour.

– Hors de question, crie Mère. Tu ne peux pas lui demander de nous les laisser de côté ?

– Maman, ce n’est pas comme si un lecteur me demandait de lui laisser un Barbara Cartland sur l’étagère, lui dis-je pour la raisonner.

– Ben quoi… on peut peut-être faire une réservation ?

Après négociations, le vendeur nous annonce qu’il les livrera lundi matin, très tôt. Il ne nous reste que quelques jours pour installer la clôture.

Je me réjouis intérieurement.

J’ai vraiment hâte de m’occuper de ce genre de chantier.

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