Récits

Sainte Nathalie

27 juillet 2022. C’est la Sainte Nathalie. Et ce n’est pas moi, c’est l’adage qui le dit : « A la Sainte Nathalie, tu fais un peu c’que t’as envie ».

Et ce dont j’avais très envie, c’était de m’octroyer une parenthèse entre la journée à l’hôpital et la soirée à la maison. Une sorte de sas de décompression.

Quand je suis passée devant chez Fleur de lait, j’ai pillé sec, réalisant subitement que c’était exactement cela qu’il me fallait : lécher un cornet de glace assise sur un banc, en regardant passer les familles en bermuda devant la Meuse et ses rochers, au beau milieu des fientes de canards.

Je me suis garée à la nawak sur un rebord de trottoir et je suis entrée dans le bâtiment.

Il y avait des clients attablés à l’intérieur, à qui l’on servait de colossales coupes de glaces surmontées de nuages de chantilly et d’éventails biscuités et j’ai su que c’est à cet endroit précis que je m’accorderais ma pause glacée, à une petite table solitaire dressée dans un recoin, une sorte de bow-window donnant pile sur la jetée.

Il a fallu un temps fou à la serveuse ; une jeune étudiante chaussée de ces étranges lunettes vintage qui donnent un air d’inspecteur Derrick enfumé (je ne comprends plus la mode, peut-être est-ce le signe que je suis devenue has-been) avant de daigner prendre ma commande, mais elle a fini par m’apporter ma montagne de glace que j’ai commencé à déguster en pleine conscience, comme Madame Pirette venait de nous l’apprendre, quand j’ai été dérangée par un bourdonnement désagréable.

Une guêpe s’épuisait à se taper contre la vitre.

Je l’ai observée un temps, le coeur serré, car elle me faisait étrangement penser à moi, qui suis en train de me débattre en vain contre une surface imperméable et vitrée, laissant deviner par transparence un idéal inaccessible et ignorant peut-être que la sortie vers la liberté se trouve à deux encablures de là.

J’ai observé les lieux et joué ma Brigitte Bardot. La fenêtre à ma gauche pouvait s’ouvrir en oscillo battant.

Je voulais me la jouer discrète, bien entendu. L’ouvrir et inviter la bestiole à se diriger vers la sortie.

Mais tu te doutes que les choses ne se sont pas déroulées aussi simplement.

J’ai ouvert la fenêtre, certes, mais cette abrutie de guêpe ne semblait pas comprendre ma proposition, alors je me suis emparée de la carte des desserts et je m’en suis servie pour rabattre mon insecte vers la sortie, ce qui était complexe depuis ma position assise, donc je me suis levée tout en restant devant ma chaise, dans un entre-deux inconfortable et j’ai éventé le bestiau jusqu’à l’embrasure de la fenêtre. Mais, à croire qu’elle dédaignait mon aide, elle restait littéralement sur le carreau, alors j’ai fait un geste plus ample avec mes bras, ce qui a fait pencher l’ouverture de la fenêtre d’encore un cran, ce qui a heurté une sorte de grande plante qui décorait ma table, ce qui a fait basculer un petit vase qui est venu s’encastrer dans ma coupe de glace, qui a penché dangereusement, du coup j’ai lâché le menu qui est tombé avec fracas sur le sol afin de rattraper ma coupe qui s’est redressée avec fierté malgré tous les objets tombés pêle-mêle autour d’elle.

J’ai jeté un coup d’oeil vers l’assemblée en déclarant : « Tout va bien, que personne ne bouge ».

A la table d’à côté, deux adolescentes au visage acnéen se riaient de moi, mais pas de manière amusante, plutôt de manière cynique, comme on le fait à quatorze ans, jugeant de très haut toute incartade à la bienséance, peut-être gênées pour moi qui me donnais en spectacle de la sorte.

J’ai fait comme si de rien n’était, leur envoyant en échange mon sourire contrit et me suis rassise sur ma chaise. J’ai redressé le vase, remis dedans la grande plume, ramassé le menu qui traînait par terre et me suis racheté une dignité en plongeant ma grande cuillère dans mon immense coupe de glace qui, finalement, n’était pas si bonne que cela, et en plus la garniture me collait aux dents, mais quelle idée aussi de demander une coupe miel-nougat, quand rien ne remplace une bonne brésilienne ou une classique dame-blanche.

« A la Sainte Nathalie, n’oublie jamais que tout peut partir en vrille ».

5 réflexions au sujet de “Sainte Nathalie”

  1. Fais attention au deuxième service le 26 août !
    Parce que si on fête Sainte Nathalie de Cordoue le 27 juillet, il y a encore Sainte Nathalie de Nicomédie un mois plus tard

    J’aime

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