7 décembre 2022
Ça m’a pris comme une rage de dents. Hier, jetant résolument mon paquet de chips au paprika dans le fond de la poubelle (celles avec des rainures), je me suis inscrite aux obèses anonymes. Traduis par “Weight watchers”, cette secte américaine attribuant des points à chaque aliment.
Le père de Dédé, aussi à l’aise en anglais que le mien, a un jour dénommé ce régime “le régime wich wach” et, toujours prompts à nous gausser de nos aînés, nous avons gardé cette appellation.
J’ai donc subitement décrété qu’il était temps de m’attaquer à cette partie visible de mon iceberg : le surpoids.
Quelques jours plus tôt, je m’étais plainte de mes nombreux kilos en trop auprès du docteur Valium, lui décrivant que ces kilos, je ne parvenais pas à les endiguer. C’est une sorte de fatalité supplémentaire de mon existence.” Elle a levé les sourcils, pointant du doigt une fois encore la violence de mes propos : “Endiguer ?! Vous vous voyez comme un barrage ?!”.
Ensuite, je lui ai expliqué que j’avais volontairement laissé de côté cette part du travail, décrétant que j’avais assez avec un combat à la fois. Emplie de sagacité, elle a dit : “Ce serait mieux que vous n’en fassiez pas un combat”, car elle est pour l’harmonie intérieure, mais aussi extérieure, car elle a ajouté : “Mais lorsqu’on fait un rééquilibrage alimentaire, il faut accepter de sortir de sa zone de confort”. Depuis, j’ai sans cesse cette aiguille de boussole dans la tête : “sortir de sa zone de confort sans pour autant en faire un combat”. Si je parviens à faire ça chaque jour, reconnais que je suis un Jedi et attribue-moi une médaille.
En attendant, je suis sortie en long manteau dans le froid et le noir de l’hiver et je me suis rendue à ma première réunion. Je m’étais préparée au pire, à savoir que leurs foutues balances te refilent facilement trois kilos supplémentaires dans le cul, chose qui, évidemment, n’a pas manqué. Mais je suis restée stoïque et après ce qu’ils appellent “la pesée” (ce qui me fait furieusement penser à un wagon de bestiaux qu’il est important de soupeser afin de ne pas faire verser le train dans un précipice), je me suis installée gentiment à ma table en attendant la réunion.
Ce qui est chouette, c’est que je connais la coach, Anne, une femme très sympa avec qui j’ai travaillé lorsque j’allais raconter dans les crèches et quand elle m’a demandé comment j’allais, je me suis mise à lui raconter mon malheur : “Tu ne connais pas la dernière ? Je me suis fait virer, figure-toi !” Elle m’a répondu : “Oui, oui, je m’en souviens, tu me l’avais raconté quand on s’est vues”. Le truc, c’est qu’on ne se voit jamais. Genre, absolument jamais. On ne s’est plus vues depuis des années. Mais comme elle avait l’air si sûre d’elle, j’ai hoché de la tête en disant : “Ah oui c’est juste” et j’ai pensé en mon for intérieur : “Celle-là c’est sûr, elle perd encore plus la carte que moi”) Mais ce n’est pas moi qui vais me permettre de juger.
La réunion à peine commencée, voilà que je vois s’engouffrer dans la porte d’entrée Flore. Et Flore, c’est un peu comme ma petite soeur, alors on a crié de concert : “Putain ! Toi ici !” et on a fait le chambard comme dans les rangs d’école.On s’est dit qu’en fait, c’était tout à fait probable de se retrouver là, car on a été élevées ensemble par des Wich-Wach (j’aime bien, ça sonne un peu comme les mormons mais avec une meilleure bouffe).
La réunion était trop marrante. La coach donnait des noms de friandises de Saint-Nicolas et on devait deviner combien de points elle valaient. Une femme répondait aussi ardemment que si elle avait un buzzer sous la main, et toujours avec une exactitude effrayante. Voyant nos regards perplexes, elle s’est justifiée : “Je suis incollable en chocolat”. Elle, s’il existait une roue de la fortune des Wich-wach, aucun doute, elle serait millionnaire.
Pendant ce temps, je repensais aux paroles de Anne, qui affirmait qu’on s’était croisées dernièrement et un souvenir, certes assez flou, affleurait à la lisière de ma conscience. Oui, elle avait raison. On s’est vues. Mais où ? Et quand ?
Alors j’ai repensé au docteur Lion, qui m’a affirmé cet été que je retrouverais tous mes Nic-Nac.
En tous cas, une chose est sûre, ce n’est pas Saint-Nicolas qui me les a rapportés dans mes petits souliers.
