(Souvenir du 2 mai 2016)
Il y a quelques jours, un homme s’est assis à côté de moi à l’arrêt de bus. La cinquantaine, les cheveux grisonnants coiffés à la brosse, les traits tirés, une chaîne imitation or autour du cou, des vieux tatouages délavés sur les poings et les doigts.
Mel et Nel me surnomment : « BDC », parce que, d’après elles, j’ai « Beaucoup De Chance » dans la vie. Et c’est vrai. Parce que l’homme, en plus d’entamer la conversation avec moi, s’installe à mes côtés sur la banquette du bus et commence à me livrer quelques éléments de sa palpitante existence.
En quelques minutes à peine, je sais déjà qu’il habite seul dans une grande maison avec son dalmatien et son chihuahua, qu’il a un seul ami sur cette vaste Terre, que cet ami est facteur et que cet ami facteur a essayé de tuer sa femme quand il a appris qu’elle le trompait. Que Mister Chihuahua a tenté d’arrondir les angles et a expliqué à son ami facteur que s’il tuait sa femme, il ne serait pas plus avancé (ce qui me fait dire qu’il est à la fois pacifiste et empli de bon sens). Il a perdu son travail il y a quelques années, se sent seul à Namur et ne connaît aucuns chouettes endroits où sortir et faire des rencontres féminines.
Bien entendu, c’est à ce stade de la conversation que le bât a commencé à blesser, mais je ne me rendais pas encore compte à quel point. Je n’avais pas de recul, et je voyais la gare se rapprocher salutairement de nous.
Je suis descendue en saluant Mister Chihuahua avec toute la politesse que m’ont transmise mes parents.
Mais voilà que, quelques jours plus tard, on frappe à ma baie vitrée. Je descends de mon atelier et tombe nez à nez avec… Mister Chihuahua en personne.
Je n’ai jamais donné mon adresse à cet homme. Ni mon nom, d’ailleurs. Ce qui sous-entend qu’il a probablement quadrillé le quartier à ma recherche. Tout cela est digne d’un scénario de film d’horreur, si ce n’est ce petit chihuahua qui sautille au bout de sa laisse, content de sa promenade.
J’ouvre la porte. Que faire d’autre ? Il s’agit d’une baie vitrée qui révèle l’entièreté de la maison.
– Que faites-vous ici ?! demande-je à Mister Chihuahua.
– On est venus te dire un p’tit bonjour, me répond-il, visiblement ravi.
Il fait une grande enjambée, entre chez moi et s’affale sur le canapé en demandant à Câline d’arrêter de sauter en l’air comme ça.
En moi parle la pédagogue. J’explique à l’homme que je suis une femme seule et que ça peut éventuellement foutre les boules de savoir qu’un inconnu a sillonné le quartier à ma recherche et s’invite chez moi. Et ce n’est pas un chihuahua qui rendra l’affaire moins sordide, bien au contraire.
Je lui demande de ne plus jamais mettre les pieds chez moi.
L’homme, visiblement déçu, regarde tristement ses pieds et déclare :
– C’est fort dommage, parce que j’avais envie de te présenter mon dalmatien qui est resté à la maison.

Mais non, ça s’est vraiment passé ? C’est dingue ! Ça me rendrait complètement parano.
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