Avec Pascale-Chouchou, nous avons dégoté un nouveau QG dans lequel nous restaurer, nommé fort à propos : « Le QG ». C’est pratique, parce qu’il se trouve à mi-chemin entre nos deux demeures. La dernière fois que nous y avons mangé, j’ai commandé un américain frites et j’ai été malade comme un chien, me transformant le temps d’une nuit en fontaine de Trevi.
Tu pourrais penser que rien ne m’oblige à te parler d’évènements aussi désastreux qu’intimes, mais contrairement à ce que tu crois, ils ont un intérêt littéraire. En effet, les romans célèbres regorgent d’empoisonnements divers et variés. Je pense à Roméo et Juliette, je pense à Tristan et Iseult. Puis il y a moi, la Emma Bovary du pauvre, retrouvée étendue sans grâce dans une flaque de vomi. Reconnais que ça a tout de suite moins de prestige que les héros romantiques précités, mais que veux-tu…on a le destin tragique que l’on mérite.
Pas rancunière pour un sou, je réitère l’expérience du QG, mais en commandant cette fois une viande bien cuite (pas folle la guêpe). Chouchou commande pareil et nous trinquons d’abord avec des cocktails en abordant le sujet des enfants, pour en dire du mal (ces petites créatures sont viles et épuisantes : des nains bourrés, disait mon amie Céline avant de tomber enceinte) quand un vieil habitué tout recroquevillé qui mange son steak à la table d’à côté (« Ce sera sans Madame, ce midi ?! ») nous interpelle. « Excusez-moi, mais j’entends que vous parlez d’enfants… »
Le vieux se lance d’abord dans un laïus sur la politesse, qui est ma foi bien disparue de nos contrées, pour ensuite bifurquer sur ses expériences en tant que famille d’accueil d’urgence. Le type est fort intéressant, mais il parle bas et Pascale est obligée d’entourer son oreille d’une de ses mains, en cornet, ressemblant à s’y méprendre à Tryphon Tournesol.
Il commence à nous sortir ses dossiers, tous plus sordides les uns que les autres, depuis 1734 et dans l’ordre chronologique. Et vazy que je te parle d’enfants élevés dans des parcs à chiens, sodomisés par des bouledogues pendant que tu découpes ta viande saignante, et vazy que je te fragilise le maigre moral que tu as longuement et douloureusement récupéré en te le brisant à coups de misère humaine. Voyant que je blêmis et sachant que je suis pour l’instant d’une sensibilité à fleur de peau, Pascale-Chouchou nous sauve la mise en mettant un terme à cette conversation qui n’en finit pas, nous exfiltrant habilement du restaurant.
Sur le parking, elle me dit : « Sympa, le Raymond, mais je sentais bien que si on le laissait parler, il allait tourner en boucle comme ces chaînes d’info continue. Et puis, il avait pas l’air super en forme, hein. Plutôt du genre à avoir fait une overdose de Xanax ».
Au lieu de rester au QG, devenu une zone doublement dangereuse (viande faisandée et vieillard gore), nous avons bifurqué vers « Le pain de jadis et naguère » afin d’acquérir deux beaux gros desserts, histoire d’avoir à éviter de départager les torts entre les deux boutiques en cas d’intoxication future.

Les enfants, c’est comme le gouvernement dans une dictature : c’est un sujet sensible dont il ne faut parler que quand personne ne peut nous entendre.
Finalement c’était quoi le dessert ? Et la digestion s’est bien passée ? Le suspens est insoutenable !
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