Récits

Lâchez les chiens

16 octobre 2022.

Tu es un carnet. Tu n’as donc jamais eu à faire la chose suivante : promener deux chiens en même temps. C’est ce qui m’est arrivé cet après-midi. Très naïvement, j’ai annoncé à Ella et Sarko que nous allions partir à l’aventure. Je ne pensais pas si bien dire. Je leur ai enfilé un collier puis j’y ai attaché leurs laisses et j’ai démarré…sur des chapeaux de roue, puisqu’ils m’ont tirée en bas du sentier escarpé menant à la maison paternelle, dans un grand nuage de poussière et de caillasse. Tirée de la sorte, une laissé retractable dans chaque main, on aurait dit que je faisais du ski nautique. Sauf qu’au ski nautique, si je ne m’abuse, il n’y a qu’une poignée. Quand il y en a deux, elles s’entremêlent, et pour peu que le chien de droite décide de passer à gauche et inversement, tu te retrouves facilement dans l’embarras. Je me suis retrouvée emmêlée dans les laisses, tentant vainement d’extirper de la mêlée tantôt une jambe tantôt un bras, en beuglant :  » Sarkozy, au pied! » devant des promeneurs du dimanche se gaussant de moi. Cela n’a pas l’air évident, m’a soufflé une vieille dame compatissante promenant un gros bulldog. Je ne vous le fais pas dire, lui ai-je répond en levant haut la jambe afin de faire passer les deux laisses par-dessous, quand les chiens ont soudain décidé de partir dans deux directions diamétralement opposées.

Récits

Barrage policier

4 octobre 2022. Je me suis rendue d’un pas très décidé chez le docteur Valium (j’ai désormais MA tranche horaire, comme les habitués des cabinets).

Cela faisait quelques jours que quelque chose rôtissait sur le grill de ma conscience et je ressentais un besoin pressant d’aller vider mes entrailles entre ses quatre murs.

J’ai pris mon élan, comme avant de sauter du grand plongeoir, et je me suis élancée dans le vide.

Si je te disais que j’ai pleuré des rivières, ce ne serait qu’une image édulcorée, une métaphore littéraire te cachant la triste réalité plus terre à terre qui est que je me suis tellement mouchée que le docteur Valium a avancé vers moi la corbeille qui était à ses pieds en me disant : “Ne vous tracassez pas, j’en ai encore plusieurs paquets. »

Ensuite, pour ne rien te cacher, ma morve s’est mise à couler sur mes vêtements. J’ai crié un « Erk ! » de dégoût, mais comme elle en a vu d’autres (elle a fait la guerre du Vietnam de la santé mentale), elle n’a pas bronché et a continué à soutirer patiemment tout ce qu’il y avait à extraire de moi.

Une fois sortie, j’ai continué à pleurer dans ma voiture. J’ai sillonné le village en larmoyant, traversé le pont en sanglotant, longé la Meuse en gémissant, quand soudain un barrage policier s’est dressé devant moi.

Plusieurs policiers, de concert, m’ont invitée à me ranger sur le bas-côté et j’ai obtempéré à la manière d’un automate, les yeux brouillés. J’ai coupé la musique, ouvert ma fenêtre.

Le policier s’est penché vers moi et a déclaré :

– Contrôle de routine. Veuillez me tendre votre permis de conduire ainsi que les papiers de votre véhi…

Mais assez rapidement, il a vu que je n’avais pas l’air dans mon assiette car il m’a demandé, avec un air inquiet : « Ça va, Madame ?! ».

Devant tant de sollicitude, j’ai redoublé de larmes et hoqueté un assez long « Noooon ».

– Qu’est-ce qui vous arrive ?

Voyant que je ne peinais à articuler, il m’a rassurée :

– On est en dehors de la relation policière, là.

– Je sais… je sors de chez ma psy.

Il a eu l’air surpris de celui qui se demande si sortir de là dans un état pareil ne serait pas contre-productif, alors, pour le rassurer, je me suis justifiée :

– Il fallait que ça sorte.

Il a hoché la tête, reconnaissant muettement que chaque être humain a un jour à vider le trop-plein.

Il m’a regardée dans les yeux, comme pour vérifier que je n’allais pas directement m’encastrer dans la berne centrale en le quittant.

J’ai plongé la main dans le sac qui était posé sur mon siège passager et j’en ai sorti mon portefeuille afin de saisir mon permis de conduire, mais il m’a stoppée d’un geste en disant :

– Ne vous tracassez pas avec ce contrôle. Oublions les papiers, ce n’est pas la peine de vous stresser avec ça.

– Merci, ai-je balbutié.

– Est-ce que vous vous sentez en mesure de conduire ? Si pas, garez-vous ici en retrait, le temps de vous calmer.

Ce que j’ai fait.

Il m’a ordonné de respirer tranquillement. M’a dit que quand je serais en mesure de repartir, je n’avais qu’à lui faire signe.

Quand j’ai eu l’impression d’avoir attendu suffisamment pour pouvoir le rassurer sur le fait que j’avais repris mes esprits, je le lui ai dit. Il a éparpillé ses collègues loin de lui à l’aide de grands gestes puis il a stoppé la circulation afin que je puisse regagner la chaussée en toute sécurité, telle une diva éplorée.

Ainsi s’est déroulé, mon cher Gary, mon premier contrôle policier.

Récits

Version 1

Aujourd’hui est un grand jour, Gary.

Je suis bientôt venue à bout de … toi.

Deux années ou presque d’écriture au jour le jour.

J’avais 500 pages (euh… je me suis peut-être emportée) et j’en ai gardé une centaine que je vais maintenant me mettre à corriger.

J’ai tout imprimé, fait relier, afin de voir ce que ça donne.

Que dire ?

Il y a encore beaucoup de travail mais je suis d’ores et déjà fière de moi.

Allez, bon vent, chère « version 1 »

Récits

Le travail c’est la santé

9 septembre 2022.

Je suis enfin parvenue à m’extraire du canapé pour aller faire quelques courses.
Une fois installée dans ma voiture, j’ai observé mon visage dans le rétroviseur. Ce que j’y ai vu m’a fichu la trouille : j’avais des cernes violacés sous les yeux, le cheveu gras et le regard d’une droguée en pleine descente d’héroïne. J’ai démarré.

Quand je suis sortie de ma voiture, j’ai soudain réalisé que j’étais sortie de chez moi en pyjama. Je portais un pantalon mou informe et une blouse lâche ayant perdu toute notion d’élasticité. J’ai haussé les épaules d’indifférence et pris un panier dans l’entrée pour y jeter négligemment quelques victuailles.

A la caisse, il y avait un type qui prétendait se nommer : « le marseillais » et, de fait, son accent était chantant. Il reprochait à la caissière de mettre beaucoup de temps à s’occuper de son total. Celle-ci lui a rétorqué que pour lui, c’était facile, parce qu’il ne cessait pas de venir lui déposer des articles avant de disparaître pour aller en chercher d’autres, ce qui lui demandait beaucoup de travail.
Pour lui répondre, il lui a sorti la définition du mot « travail ».

C’est qui, le mec ? un marseillais qui travaille au petit Robert ?

Comme je sais ; ou crois savoir ; que le mot « travail » tire son origine du mot « souffrance », j’ai tenu, dans un souci purement pédagogique, à en informer l’assemblée.

Mais ma voix a déraillé et j’ai dit de façon grave et ténébreuse : « Souffrance. Le travail vient de la souffrance »

Tous les regards de la file d’attente ont instantanément pivoté vers moi.
La caissière a fait des yeux exorbités.
Elle était à deux doigts d’appeler les urgences psychiatriques avec son micro.

J’ai alors précisé, pour me justifier : « Je pense vraiment que l’étymologie du mot travail vient de la souffrance » et je me suis cassée sans demander mon reste sur le parking battu par la pluie ; une pluie que j‘ai traversée insensiblement, en pyjama et sandalettes, jusqu’à ce que je réalise que, pour couronner le tout, j’avais enfilé ma blouse à l’envers, laissant apparaitre ses coutures ainsi qu’une grande étiquette blanche sur laquelle était inscrit « XXL ».

Je me suis dit que si seulement j’en avais un ; de travail ; le docteur Valium, si elle avait assisté à cette terrible scène, m’aurait signé un nouvel arrêt maladie, des deux mains et les yeux fermés, et ce pour une durée d’une année entière minimum, non négociable.

Récits

Ella est là

8 septembre 2022. Je fais, pour quelques jours, du dog-sitting. Ella et Sarko, les chiens de Père et Belle-maman.

Quand je veux fermer la maison en vue de la nuit, je constate qu’Ella n’est plus là, et ce depuis un bout de temps. Je m’étais aperçue de son absence, tout en lisant, mais je pensais qu’elle était en train de jouer dans le jardin. Or elle n’y était pas le moins du monde.
Je l’appelle. Elle ne répond pas. Je l’appelle de plus belle. Toujours aucune réponse.

-Putain, dis-je à Sarko, qui me regarde en dressant ses oreilles pointues de Batman, sur le qui-vive, prêt à retourner ciel et terre avec moi pour retrouver sa soeur.

Il pleut des cordes et il fait un noir de cul. J’enfile ma veste de pluie, allume la lampe de poche de mon téléphone et m’enfonce dans la nuit pluvieuse, flanquée de mon acolyte qui part en éclaireur vers l’arrière du jardin.

« Ella ! Ella ! » me mets-je à beugler sans relâche, telle une France Gall égarée. La fenêtre arrière des voisins est ouverte et leurs lumières allumées. Je me dis qu’heureusement que ce n’est pas Sarko qui a filé, parce qu’alors ils se demanderaient qui est cette maniaque qui hurle « Sarkozy ! Au pied ! » dans la nuit tombée et la pluie battante. Toujours est-il qu’Ella ne répond pas. Elle n’est visiblement pas dans le jardin, elle a dû filer sous le grillage et la voilà livrée à elle-même dans le Bronx qu’est le quartier de mon père, à la merci des rôdeurs et des chiens de gouttière, elle, âme pure et accessoirement trouillarde comme pas deux.
Je rentre. Je commence à paniquer. J’envoie un message à Caro :

-Ne dis rien à Carine, mais Ella a disparu.

-Quoi ?! Mais ce n’est pas possible ! Tu es certaine d’avoir cherché partout ?

-Je viens de passer tout le jardin au peigne fin.

-Par ce temps ?

-Affirmatif.

-Ah merde alors.

-C’est le moins qu’on puisse dire.

-Cela m’étonne d’elle, me dit-elle, soudain devenue experte canine.

Je ressors faire une seconde ronde, histoire d’en avoir le coeur net. Je gueule comme un putois, mais je dois bien me rendre à l’évidence : elle s’est volatilisée.

Quand je rentre à la maison, Ella est là, en train de me dévisager avec cet air placide qui la caractérise. Immobile, le poil sec, elle nous dévisage, Sarko et moi, le poil dégoulinant, plaqué sur le crâne.
Je rassure Caro :

-Elle est revenue ! Mais elle était à l’intérieur, cette ingrate !

-J’allais justement te proposer d’aller inspecter sa panic room, parce qu’il pleut et elle croit peut-être qu’il va y avoir de l’orage. » (Belle-Maman a installé un petit recoin sous une table pour son chien en cas d’attaque de panique, et elle a baptisée celle-ci « la panic room »).
Caro m’envoie un dernier message.

-Je me marre, mais qu’est-ce que je me marre !!!

C’est mal, de se moquer.

Récits

Perd son pneu

18 août 2022. J’avais rendez-vous à 13h30 chez « Perd-son-pneu » afin de remplacer mon pneu crevé.

Je n’ai pas pu faire ma sieste à cause de cela. 13h 30, c’est l’heure de ma sieste, et ma sieste, c’est sacré. Sans elle, je pars en free style, je bats de l’aile.

J’ai tendu mes clés de voiture à un employé qui m’a invitée à patienter dans le salon. Il y avait du thé, du café, des fauteuils confortables, une jolie décoration. De quoi avoir envie de crever chaque semaine.

Je me suis enfoncée dans mon siège et j’ai ouvert « Mansfield Park ». A peine ai-je eu le temps d’en lire trois lignes que l’employé est revenu vers moi.

– Où est votre roue, Madame ?

– Ma roue ?

– Oui, votre ancien pneu. Votre pneu crevé.

– Je l’ai jeté, pourquoi ? (Trop fière de ne pas avoir, pour une fois, laissé traîner l’affaire)

– J’en ai besoin

– Besoin ?!!! Mais il est crevé !

– Le pneu, oui. Mais la roue… j’en ai besoin.

– Oh. Je n’avais pas pensé à cela.

– C’est fâcheux.

– Je retourne chercher ma roue ?

– Ce serait mieux, oui. Voire nécessaire.

Alors je repars à la maison, sur les chapeaux de roue, et je jette ma roue dans mon coffre.

Je reviens m’installer dans le salon. Une dame, qui était là depuis le début, m’interpelle :

– Puis-je me permettre ?

– Euh, oui…

– Vous avez une étiquette qui dépasse de votre blouse.

C’est vrai, j’avais enfilé ma nouvelle blouse et en avais sorti la grande étiquette afin de la couper dans la cuisine, mais dans mon empressement, j’avais omis cette étape. J’ai rentré l’étiquette dans ma blouse. J’ai manqué dire : « C’est la mode à New-York », mais ma nouvelle personnalité m’en a empêché.

J’ai récupéré Etoile et ses nouveaux pneus rutilants, suis rentrée à la maison, lassée de moi-même.

Je me suis dit que ce qui me remonterait le moral, ce serait une bonne dame-blanche. J’ai ouvert le congélateur. Le bac de glace vanille n’y était plus.

Comment se fait-ce ? J’ai cherché vainement dans les autres compartiments de tous nos congélateurs (on en fait une collection). J’ai ouvert le frigo afin de me rabattre sur autre chose. Le frigo était désespérément vide. Quatre petits suisse, un pot de moutarde et… un bac de glace vanille. Qui, évidemment, n’avait pas survécu à son séjour sous hautes températures. J’ai vidé son contenu dans la cuvette des wc. Je me suis assise dessus, et j’ai soufflé.

Pour me changer les idées, je suis allée me promener sur Facebook. J’ai vu que ma copine Cécile avait noté : « Cécile M. est avec Arnaud». Je lui ai laissé un commentaire : « ça alors !!! Tu connais Arnaud ? ». Sauf que la Cécile en question n’était pas Cécile-ma-copine-de-l’-hôpital, mais Cécile-ma-copine-du-basket et que Cécile-ma-copine-du-basket n’est autre que la mère d’Arnaud. Du coup, elle m’a répondu : « Oui en effet, je connais bien Arnaud. Très bien, même ».

C’est un coup classique, car je l’avais déjà fait avec Célia. Je lui avais dit : « ça alors, tu es partie à Honolulu et tu ne nous as rien dit ?!!! », mais ce n’était pas Célia-ma-cousine qui était partie à Honolulu mais Célia-la-soeur-de-Marilou. D’où l’utilité de regarder les noms de famille.

Le soir, Caro nous a invitées à passer la soirée chez elle. Célia m’a dit : « Dis Natha… tu as une étiquette dans ta blouse ». Je ne l’avais toujours pas coupée. Je lui ai demandé : « Veux-tu bien me la couper ? ». Elle s’est exécutée en s’écriant : « Quoi ?! T’as payé ça trente balles ?! ».

Bref. Tout cela pour t’expliquer à quel point mes journées sont fatigantes.

Récits

Pluie sur mes terres

17 août 2022. «Il pleut, c’est malheureux il pleut, depuis ce matin » chantait Emilie Simon.

« Malheureux », je ne sais pas, puisque cette pluie, qui fait suite à une sécheresse sans précédent, était attendue comme le Messie par tout un chacun.

Les uns respirent enfin et les autres se voient soulagés.

Mais qui sont ces autres ? (Qui sont-ce ?) Je veux parler des Terreux. A ne confondre ni avec terriens, ni avec les bouseux. Les Terreux, c’est un terme de mon invention dont je me dois d’affubler ceux et celles qui sont encore en lien avec la terre. Les fermiers, les Potagers, les culs-terreux, les paysans, les bienheureux. Ceux dont je n’ai jamais fait partie, étant plus urbaine, plus portée sur le sushi en terrasse que sur l’arrachage de la betterave chiogga.

Mais maintenant que je suis en charge du potager, je me prends à sortir des phrases de cet acabit : « Ce qu’il nous faudrait, c’est une bonne pluie » « Mes cultures sont en danger » « Encore un été comme celui-ci et je serai bien en peine de nourrir toutes les bouches de ma famille ».

Hier par exemple, je me prenais pour le Bossu de Marcel Pagnol, transportant des seaux d’eau à travers la garrigue, fourbue sous un soleil de plomb, et je regardais avec angoisse le fond de mon puits (mon tonneau) desséché, me demandant de combien d’allers et retours j’aurais encore besoin pour sauver choux et brocolis.

Hier encore, nos amis à quatre pattes me foutaient une paix royale, hormis les épisodes narrés dans ma missive.

Le chien faisait corps avec le carrelage, la langue pendante. Les chats étaient comme figés sur des coussins, ou partis en ribote le long des sentiers en fleurs.

Les moutons paissaient dans leur prairie, à la recherche d’une herbe devenue chips au sel tant elle était jaune et craquante.

Hier encore, la chaleur était telle qu’en allant manger en ville avec Sophie, nous nous espongions les aisselles avec des serviettes en tissu en déclarant : « Il fait tellement chaud qu’on a l’impression de vivre dans un panier de Dim sum ».

Mais aujourd’hui le monde a changé.

Une pluie fine et continue arrose mes terres. La flore comme la faune reprennent allégresse.

Dans les bois, la terre est encore à l’état de poussière, et ce malgré les ondées, rendant mes chaussures immaculées couleur truite saumonée en vieux marron sale.

Le chien continue son oeuvre en vidant les pots de fleurs. Lui aussi, tout comme moi, se met à prôner son amour de la terre.

Les chats rentrent au logis.

Et c’est exactement là que le bât blesse.

Stanislas ne me quitte pas d’un pouce. Elle s’étend sur la méridienne du fauteuil et j’ai beau lui expliquer que si je me suis installée en cet endroit, c’est précisément pour pouvoir allonger mes jambes, elle semble rester insensible à mes arguments.

Elle miaule beaucoup. J’ai l’impression qu’elle tente de m’expliquer quelque chose, mais mes connaissances en langage félin sont trop rudimentaires pour pouvoir la comprendre et lui répondre.

Et c’est sans parler de Bébédoux, qui lui aussi me les brise menu en miaulant dans ma direction toute la sainte journée, soit parce qu’il ne parvient pas à descendre l’escalier et qu’il veut que je le porte, soit parce qu’il veut monter sur Jocelyne (étrange tournure de phrase) et qu’il veut que je l’y dépose. De plus, c’est à croire que ce chat est aquatique ou submersible, car il rentre détrempé par la pluie comme s’il avait chu dans l’étang.

Les moutons eux aussi commencent à ressembler à s’y méprendre à des barbe à papa tant ils sont gorgés d’eau. Je n’ai plus qu’à les immerger dans le sucre et je fais un tabac à la foire d’été.

Tout cela pour te dire qu’il n’est pas de tout repos d’être Terreuse, même si je pressens qu’en aimant la terre, « t’es rien, peut-être, mais t’es heureuse ».

Récits

Jane Austen et des croquettes

Wépion, 17 août 2022

Bien chère Mère, très chère Adèle,

Etant donné que vous vous êtes retirées à la montagne en vue d’un repos amplement mérité, je suis en garde de la maisonnée et j’espère me montrer digne de la confiance que vous me témoignez.

Tout se passe pour le mieux en cette délicieuse compagnie que représentent nos animaux domestiques, si tant est que l’on considère comme normales les situations suivantes :

Stanislas, cette adorable petite chatte grise, me prive souvent du bénéfice qu’une nuit complète de sommeil serait en droit d’amener à mon organisme en m’éveillant à des heures indûes afin de réclamer que je remplisse sa bolée de croquettes, de préférence au ras (au rat fonctionne aussi).

Happy de la Champenotte, ce vieux sage, commence peut-être quant à lui à battre la campagne car il s’évertue chaque matin à vider les pots de plantes de la terre qu’ils contiennent dans l’étrange dessein de la répandre sur le carrelage, avec un goût assez sûr, il est vrai, témoignant d’un sens esthétique développé et subtil.
Voyons le côté positif de toute cette affaire : il m’est obligatoire de passer quotidiennement l’aspirateur, besogne que j’aurais en d’autres temps délaissée.

Akatek continue à m’apporter chaque matin, au lever, une souris détêtée qu’il pose en offrande sur la terrasse. Ces petits cadavres désarticulés sont eux aussi du meilleur goût, dans le sens esthétique du terme, s’entend.

Kodak, ce noble Seigneur, toujours pareil à lui-même, reste si précieux et délicat qu’il demande l’autorisation pour toute tentative d’entreprise. Il demande la permission de sortir au jardin, assis sur le pas de la porte, porte qui demeure ouverte, bien entendu, et il demande également à ce que je le dépose aux points stratégiques suivants : sur Jocelyne, la machine à laver, en vue de manger son mou, ainsi que sur le bureau d’Adèle, qui, de son odeur, lui rappelle certainement sa Maîtresse.

Pour ma part, j’ai entrepris de grandes transformations dans votre potager, mais je vous en ferai part par missive plus tard car il me tarde de lire encore un brin de Jane Austen en écoutant tomber cette pluie si délicate qu’on ne l’attendait plus.

Je reste votre très dévouée Nathalie Sacré.

Récits

16 juillet 2022. Je suis arrachée à mes écrits par des cris venant du fond du jardin. « Viens nous aider, Natha !!! »

Ni une ni deux, j’accours.

C’est dingue, quand-même : je pars cinq jours à peine, et à mon retour, mes colocataires se sont transformées en véritables bergères faisant paître leurs troupeaux dans la lande.

Sauf que leur troupeau est récalcitrant. L’un d’entre eux (j’ignore lequel, je n’ai pas encore imprimé qui était qui) a commis une évasion à la « Prison break » et se dirige dangereusement vers les choux luxuriants d’Adèle.

Mère ouvre ses bras en croix et lui parle avec douceur et fermeté : « Retourne à la maison. Retourne à la maison »

Le mouton-chèvre la regarde d’un air étrange, de ses yeux jaunes fendus à l’horizontale et semble très clairement se foutre comme d’une guigne de ce que la bergère à semi-folle lui murmure à l’oreille. Il s’en bat totalement les steaks, lui, ce qu’il veut, c’est se faire un gueuleton à base de choux et éventuellement de branches de framboisiers qu’il commence d’ailleurs à arracher avec détermination et volupté.

« Non, pas les framboisiers » lui défend Adèle. Natha, va chercher leurs graines dans la cuisine, s’il-te-plait ».

J’ignorais que les ovidés mangeassent des graines, mais je dois bien reconnaître que ceux-ci échappent à tout signalement, alors je m’exécute.

Quand je reviens avec mon seau de graines, un second mouton s’est échappé de l’enclos. « Ce sont les Houdini des moutons !!! » s’exclame Adèle qui craint de plus en plus que ses crucifères ne s’évanouissent dans la nature. Elle secoue le seau. Ils aiment ce bruit. Ils relèvent la tête. J’imagine que pour nous, cela équivaut au tintement d’un paquet de M.M’s version familiale que l’on secouerait pour nous appâter. Ils la suivent.

– Mais tu ne les avais pas entendus ?! Cela fait un moment qu’ils étaient en train de bêler » dit maman.

– C’est à cause de son audition remarquable », répond Adèle.

Récits

Sainte Nathalie

27 juillet 2022. C’est la Sainte Nathalie. Et ce n’est pas moi, c’est l’adage qui le dit : « A la Sainte Nathalie, tu fais un peu c’que t’as envie ».

Et ce dont j’avais très envie, c’était de m’octroyer une parenthèse entre la journée à l’hôpital et la soirée à la maison. Une sorte de sas de décompression.

Quand je suis passée devant chez Fleur de lait, j’ai pillé sec, réalisant subitement que c’était exactement cela qu’il me fallait : lécher un cornet de glace assise sur un banc, en regardant passer les familles en bermuda devant la Meuse et ses rochers, au beau milieu des fientes de canards.

Je me suis garée à la nawak sur un rebord de trottoir et je suis entrée dans le bâtiment.

Il y avait des clients attablés à l’intérieur, à qui l’on servait de colossales coupes de glaces surmontées de nuages de chantilly et d’éventails biscuités et j’ai su que c’est à cet endroit précis que je m’accorderais ma pause glacée, à une petite table solitaire dressée dans un recoin, une sorte de bow-window donnant pile sur la jetée.

Il a fallu un temps fou à la serveuse ; une jeune étudiante chaussée de ces étranges lunettes vintage qui donnent un air d’inspecteur Derrick enfumé (je ne comprends plus la mode, peut-être est-ce le signe que je suis devenue has-been) avant de daigner prendre ma commande, mais elle a fini par m’apporter ma montagne de glace que j’ai commencé à déguster en pleine conscience, comme Madame Pirette venait de nous l’apprendre, quand j’ai été dérangée par un bourdonnement désagréable.

Une guêpe s’épuisait à se taper contre la vitre.

Je l’ai observée un temps, le coeur serré, car elle me faisait étrangement penser à moi, qui suis en train de me débattre en vain contre une surface imperméable et vitrée, laissant deviner par transparence un idéal inaccessible et ignorant peut-être que la sortie vers la liberté se trouve à deux encablures de là.

J’ai observé les lieux et joué ma Brigitte Bardot. La fenêtre à ma gauche pouvait s’ouvrir en oscillo battant.

Je voulais me la jouer discrète, bien entendu. L’ouvrir et inviter la bestiole à se diriger vers la sortie.

Mais tu te doutes que les choses ne se sont pas déroulées aussi simplement.

J’ai ouvert la fenêtre, certes, mais cette abrutie de guêpe ne semblait pas comprendre ma proposition, alors je me suis emparée de la carte des desserts et je m’en suis servie pour rabattre mon insecte vers la sortie, ce qui était complexe depuis ma position assise, donc je me suis levée tout en restant devant ma chaise, dans un entre-deux inconfortable et j’ai éventé le bestiau jusqu’à l’embrasure de la fenêtre. Mais, à croire qu’elle dédaignait mon aide, elle restait littéralement sur le carreau, alors j’ai fait un geste plus ample avec mes bras, ce qui a fait pencher l’ouverture de la fenêtre d’encore un cran, ce qui a heurté une sorte de grande plante qui décorait ma table, ce qui a fait basculer un petit vase qui est venu s’encastrer dans ma coupe de glace, qui a penché dangereusement, du coup j’ai lâché le menu qui est tombé avec fracas sur le sol afin de rattraper ma coupe qui s’est redressée avec fierté malgré tous les objets tombés pêle-mêle autour d’elle.

J’ai jeté un coup d’oeil vers l’assemblée en déclarant : « Tout va bien, que personne ne bouge ».

A la table d’à côté, deux adolescentes au visage acnéen se riaient de moi, mais pas de manière amusante, plutôt de manière cynique, comme on le fait à quatorze ans, jugeant de très haut toute incartade à la bienséance, peut-être gênées pour moi qui me donnais en spectacle de la sorte.

J’ai fait comme si de rien n’était, leur envoyant en échange mon sourire contrit et me suis rassise sur ma chaise. J’ai redressé le vase, remis dedans la grande plume, ramassé le menu qui traînait par terre et me suis racheté une dignité en plongeant ma grande cuillère dans mon immense coupe de glace qui, finalement, n’était pas si bonne que cela, et en plus la garniture me collait aux dents, mais quelle idée aussi de demander une coupe miel-nougat, quand rien ne remplace une bonne brésilienne ou une classique dame-blanche.

« A la Sainte Nathalie, n’oublie jamais que tout peut partir en vrille ».

Récits

Aie confiance

18 juillet 2022. L’infirmière Systole et le Docteur Labeille entrent dans la pièce. On comprend vite, à la façon dont ils communiquent, qu’ils sont deux pôles indissociables.

Lui s’installe droit comme un I sur son tabouret, les jambes repliées sous lui, pieds chaussés de Croc’s bleues. Il ferme les yeux, joint les doigts de chaque main, se recueille, s’aligne sur le cosmos, pendant qu’elle nous explique le fonctionnement du séjour. Elle nous distribue le planning des deux semaines qui nous attendent. « Ce séjour peut être très éprouvant, nous prévient-elle, car le rythme est soutenu et les émotions intenses ». En effet, les colonnes montrent un enchaînement assez serré d’activités. « Il y aura des moments de travail ensemble, mais sans que cela soit de la thérapie de groupe pour autant, car vous n’y parlerez pas de votre vécu ; cela est réservé aux entretiens individuels. Vous parlerez de vous de manière métaphorique, afin de prendre de la distance par rapport à vous-même et ne pas vous mettre en insécurité vis-à-vis des autres. En plus de ce travail en groupe, il y aura des plages horaire pendant lesquelles vous serez vus en entretiens individuels avec un psychologue, un psychiatre, une assistante sociale, un généraliste, à raison de plusieurs séances avec chacun d’entre eux. Il y aura également des ateliers corporels, des tests de potentiels évoqués et des questionnaires à remplir. Deux semaines somme toute très chargées. Je serai avec vous chaque jour, mais pas toute la journée. Le matin, je distribuerai les rendez-vous individuels. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis dans la bureau juste à côté ».

Visiblement, l’infirmière Systole sera notre point d’ancrage dans la tempête. Il émane d’elle douceur et bienveillance.

Quand elle a terminé ses explications, le Docteur Labeille sort de son sommeil paradoxal pour s’adresser à nous.

Le docteur Valium m’avait un peu parlé de lui. Elle m’avait dit : « Vous verrez, quand le Docteur Labeille vous parle, sa voix est tellement posée que vous pourriez piquer du nez et entrer dans un sommeil profond». C’est vrai qu’il parle lentement, voire très lentement, à la manière d’un hypnotiseur de cabaret. Ses yeux ronds et fixes ressortent étrangement, coincés entre son masque et de grands sourcils broussailleux, lui faisant un regard allumé. « Vos paupières sont lourdes », me dis-je en mon for intérieur.
Il nous prévient qu’il va plonger ses yeux dans les nôtres, afin d’entrer en contact avec chacun d’entre nous. Je pense à Kaa le serpent, qui, de ses pupilles tournoyantes et psychédéliques tente de faire entrer en léthargie sa proie avant de la dévorer.
« Aie confiance », semble-t-il sous-entendre. Puis, quand il plonge son regard en moi, Gary, je fais moins la maligne, à ressortir à tour de bras mes références toutes pourries made in Walt Disney, et je rends un peu les armes, je le laisse entrer en contact avec mon âme ; après tout c’est lui qui détient l’une des dernières chances de me tirer de là. Il est l’une de mes planches de salut, alors je décide ici et maintenant de lui faire confiance. Des êtres au bout du rouleau, il en a vu d’autres, il en a aidés à la pelle, il en a croisé à qui mieux mieux.

Regarder l’autre et soutenir son regard : voilà une vraie rencontre, au-delà des prénoms, au-delà des mots, hors des banalités.

« Vous ne vous connaissez pas encore, tous les sept. Vous ignorez ce qui amène les autres ici. Votre point commun, ce qui vous relie, c’est la souffrance. L’expérience de la souffrance. Et cette souffrance est loin d’être anodine puisqu’elle vous a menés ici : à l’hôpital. Et ce n’est pas un lieu anodin, un hôpital. »

La femme assise à ma droite se met à pleurer à gros sanglots dans son masque. Je la suis. La troisième s’y met aussi. Je sens qu’on forme déjà une magnifique tryade.

Nous sommes trois femmes et quatre hommes. De quoi défier les statistiques, car la dépression touche plus facilement les femmes, à ce qu’il parait. A moins que tout le monde ici ne souffre pas de dépression ? A moins que d’autres problèmes puissent mener en ce service ? J’avoue que je suis un peu curieuse de savoir ce qui amène mes comparses en ces lieux. J’aurai certainement tout le loisir de le découvrir. Mais avant tout, si je m’occupais un peu de moi-même, pour changer ?

Récits

Mouton breton

  • Il faut commencer par débroussailler le terrain, m’explique maman.
  • Pourquoi ?
  • Tu as vu la hauteur des herbes ?! Si on jette des moutons nains là-dedans, sûre qu’on ne les retrouve plus avant la fin de l’hiver.

C’est vrai que les herbes sont hautes. Mère a semé un immense pré fleuri s’étendant jusqu’au ruisseau du fond. Elle se met à débroussailler. Je ratisse derrière elle, sous le soleil exactement, un fichu sur la tête.

  • Comment ça va, Gwenda la saxonne ? me crie Adèle, faisant référence à notre cher Ken Follett.
  • Mal, lui dis-je, le dos en compote, le visage ruisselant de sueur.
    Le soir, je dois faire des étirements tant mon corps est perclus de douleurs.

On cherche des renforts pour nous prêter main forte samedi. Alain, Loren et Dorian répondent présents. Il faut enfoncer les pieux à coups de massue. Je me charge d’arroser les piquets afin qu’ils entrent plus facilement dans une terre meuble. Alain se fout de ma balle. « Ils ne pousseront plus, tes piquets, Natha ».
Il faut déplacer tout un tas de bûches de bois qui se trouve pile à l’endroit où viendra la clôture. Dorian et Loren s’en chargent. Ils sont si méticuleux qu’on dirait qu’ils ont travaillé au fil à plomb. Leur méthode plait à Mère qui leur promet de les réengager dès qu’elle en aura besoin.

A midi, on se pose. Je ne redémarrerai plus ; j’essaye de respecter mes limites qui sont déjà bien entamées. On parle des noms que l’on aimerait donner à nos moutons.

  • J’ai pensé à Helmut, dis-je fièrement.
    Loren apprécie mon idée. Helmut comme El’mouton, Helmut le moutmout’, bref un trait de génie.
  • On cherche plutôt dans les noms bretons, explique Adèle. Parce que c’est une espèce bretonne.
  • Nolwenn ? Dis-je, car c’est le premier prénom qui me vient.
  • Euh… tu permets, me tempère Alain. C’est ma fille.
  • Ah ouais, pas sûre qu’elle sera d’accord qu’un de nos moutons porte le même nom qu’elle…
  • Manau ?
  • Matthieu ?
  • Enora ?
  • Gaëlle ?

Rien ne sonne bien à nos oreilles. Et puis, autre difficulté, on aimerait que les prénoms aillent par trois.

  • Comme Riri, Fifi et Loulou, dis-je.
  • Oui, mais en mieux.
  • J’ai une idée ! s’exclame Loren.
  • Vas-y, balance, lui ordonne Adèle.
  • Gigot, Méchoui et Ragoût.
Récits

Compter les moutons

5 juillet 2022. Mère a remis sur la table le sujet des moutons. Elle trouve que ce serait bien d’en mettre dans le fond du jardin afin qu’ils mangent les herbes hautes et qu’elle ne doive plus faucher. Mais cette fois, Adèle, devenue une véritable métayère, la prend au mot et lui annonce : « Je vais me renseigner ».

Quand Adèle se renseigne, il faut craindre le pire. Disons qu’elle est plutôt du genre efficace ; tout l’inverse de moi. Ce qui fait que Mère a à peine eu le temps de passer la journée à son stage de poterie qu’à son retour, les moutons broutaient dans la prairie.

J’exagère, Gary.

En vérité, elle avait pris tous les renseignements nécessaires et avait noté sur un papier les races intéressantes et sociables, calculé le nombre qu’il fallait compter au cheptel proportionnellement à l’étendue de nos terres, (trois moutons nains) ainsi que le nombre de piquets à planter et le kilométrage de clôtures à acheter, laissant Mère la bouche close devant le fait accompli.

Si je te raconte tout ça, tu te doutes bien que c’est parce qu’il y a un hic.

Adèle s’est renseignée auprès d’une société nommée « La petite biquette dans la prairie », parce que le nom lui inspirait confiance. Le type lui a dit :

– J’avais 120 moutons et j’en ai vendu 110, ce qui signifie qu’il ne m’en reste plus que 10. En d’autres mots, vous devez vous dépêcher.

Adèle se demande comment venir les chercher.

– Est-ce que vous faites des livraisons ?

Je me marre. On dirait qu’elle téléphone à Déliveroo pour se faire porter un plat de sushis. Je vois déjà le Uber sur son vélo, sonnant à la porte, deux moutons accrochés au porte-bagages, le troisième accroché à son dos.

Elle précise :

– Je n’ai pas de camionnette. Juste une voiture.

– En effet, répond-il, les transporter dans votre voiture n’est pas recommandé.

Je me demande si c’est parce qu’ils ont le mal des transports et qu’en plus de chier sur les sièges, ils se permettent de choisir la station de radio et exigent des pauses au Flunch sur l’autoroute.

– Voulez-vous que je vous les dépose aujourd’hui ? demande l’homme, pressé de nous jeter ses bestiaux.

Bon. Il se fait que la clôture n’est pas mise et que si on nous décharge une brouettée de moutons cet après-midi, ils risquent de mettre le dawa dans le jardin que Mère a passé tant d’heures à rendre parfait.

J’imagine déjà les moutons allongés sur les transats, installés dans le flamand rose gonflable, un verre de porto à la patte ou encore s’en prenant aux rosiers Charles Aznavour.

– Hors de question, crie Mère. Tu ne peux pas lui demander de nous les laisser de côté ?

– Maman, ce n’est pas comme si un lecteur me demandait de lui laisser un Barbara Cartland sur l’étagère, lui dis-je pour la raisonner.

– Ben quoi… on peut peut-être faire une réservation ?

Après négociations, le vendeur nous annonce qu’il les livrera lundi matin, très tôt. Il ne nous reste que quelques jours pour installer la clôture.

Je me réjouis intérieurement.

J’ai vraiment hâte de m’occuper de ce genre de chantier.

Récits

La soupe aux choux

L’ hôpital, c’est inévitable, brasse son lot de « drôles », comme dirait Bouboule (prononcez « drols », à la wallonne).

Je passe ma pause sur un banc à l’ombre. Un homme bedonnant, bide à l’air sous son marcel, s’approche dangereusement de moi en s’appuyant sur sa canne. Il porte de grands bas de contention dans ses claquettes en guise de chaussettes.

Il continue à s’approcher. « C’est pour ma gueule », me dis-je intérieurement. Aimant à cas soc’.

De fait, il s’arrête pile devant moi. Et quand je dis pile, c’est pile, alors qu’il y a devant nous l’étendue d’un parc.

Il tape à un rythme régulier sur le sol poussiéreux avec sa canne et brandit son téléphone en l’air, tentant vainement d’entrer en contact avec sa planète.

Initierait-il une danse de la pluie ?

Il me gêne un peu dans ma tentative de me créer un petit temps pour moi.

Sa chorégraphie reste vaine : il fait un soleil de plomb, irrespirable, une véritable fournaise.

Récits

Ils étaient sept

18 juillet 2022. Une infirmière m’installe dans un petit local sans charme bénéficiant malgré tout d’une belle vue sur toute la vallée et plus encore. Quelques fauteuils en skaï aux couleurs pastel sont placés en rond au centre de la pièce. Certains sont en mauvais état, on croirait qu’un jaguar agressif y a fait ses griffes. Je m’y enfonce. C’est confortable, il y a même un appuie-tête. Le lieu est impersonnel ; à quoi est-ce que je m’attendais, on est dans un hôpital.


Les autres entrent un par un, d’abord interrogés par l’infirmière, et prennent place dans la ronde. On se regarde un peu en chiens de faïence, muets, calmes, sur la défensive. Je pense au fameux roman d’Agatha Christie, les dix petits nègres. Dix personnes qui ne se connaissent à priori pas sont amenées à se côtoyer pendant un certain laps de temps dans une villa ultra moderne construite sur l’île du Nègre. Ils ne savent pas exactement ce qu’ils font là, ils ont été appâtés par un millionnaire. Sur la table de la salle à manger sont placées dix statuettes de « nègres ». La première nuit, quelqu’un meurt assassiné. L’une des statuettes est retrouvée brisée sur le sol. La seconde nuit, une deuxième personne meurt, une seconde statuette a disparu, etcetera etcetera.
Si je veux être honnête, voilà à quoi je pense quand les autres participants entrent les uns à la suite des autres dans la pièce. Je pense : « Ils étaient sept » et vont passer ensemble deux semaines très intenses qui les rendront plus que probablement copains comme cochons, ou du moins, compagnons de déroute, mais en attendant, ces individus sont encore des inconnus pour moi, et je respire mal, en sachant très bien que si je suis là c’est que pas mal de choses dans mon existence sont sacrément parties en couilles.

Sur la table, pas la moindre statuette, seulement un distributeur de gel hydroalcoolique et un pack de mouchoirs version familiale, nous rappelant bien que ça va chialer à fond dans les chaumières.