Récits

Extrait : « Comme Victor avant moi »

21 janvier 2022. Le premier exercice proposé par Doug (je me permets d’ainsi surnommer Douglas Kennedy, maintenant que nous sommes intimes) est de s’essayer à écrire dans différents endroits : un jour chez soi bien au calme, le lendemain dans un café au milieu d’un peu d’agitation. 

Bien entendu, je compte me prêter à l’expérience. Sinon, ce n’est même pas la peine d’avoir grillé ma carte Gold. Le hic, c’est qu’entre le tournage de ses capsules vidéo et maintenant, une légère pandémie mondiale a comme qui dirait eu lieu et j’ignore si les êtres humains sont encore en droit de s’installer pépouze dans les cafés. 

D’ailleurs, hier encore, quand j’ai fait scanner mon pass sanitaire, une grande croix rouge en barrait l’écran, accompagnée de ce message énigmatique : “Accès à l’évènement refusé”. Comment ?! Le grand événement de ma semaine, aller déguster un petit gâteau, allait m’être refusé par les Autorités ?! Puis ce matin, voilà que ma quarantaine était enfin levée, je pouvais à nouveau carapater hors de l’appartement.

Mes parents m’ont appelée Simone en hommage à Simone de Beauvoir, réputée pour avoir traîné ses savates et son existentialisme dans les cafés du tout-Paris. Il se peut donc que je sois prédestinée à écrire dans les cafés. A vrai dire, il me tarde de tenter l’expérience. Par contre, je me sens moyennement d’attaque à me prendre le chou avec un type qui louche violemment et qui déclare que l’enfer, c’est les autres. Jean-Paul… tes parents ne t’ont jamais appris que c’est très mal de reporter toujours la faute sur les autres ?

“On ne nait pas femme, on le devient”, “une femme qui n’a pas peur des hommes leur fait peur”, “Je suis un intellectuel. Ca m’agace qu’on fasse de ce mot une insulte : les gens ont l’air de croire que le vide de leur cerveau leur meuble les couilles”, écrivait-elle, confortablement installée sur une petite table en formica lui étant attribuée au fond du café, vidant à longueur de journée des litrons de thé, quand ce n’était pas un peu plus corsé. Je dois bien dire que je m’en sens la digne héritière.

J’ai réfléchi à un endroit pouvant nous accueillir, ma prose et moi. Je ne voulais pas me rendre chez Maître Zen. D’abord parce que je sentais confusément que j’avais besoin de dépaysement, et ensuite parce que ses desserts sont tout simplement dégoûtants. Dans le meilleur des cas, il propose ses horribles biscuits de la chance tout secs et dans le pire, on se retrouve avec d’étranges gâteaux ronds, blancs et gluants, peut-être roulés sous les dessous de bras (“Mais… mais ce sont des yeux !”, s’est écriée un jour Charlotte en les tâtant du bout de sa fourchette. Et c’est vrai que la ressemblance était confondante).

Mon choix s’est finalement porté sur “La brioche dorée”, un salon de thé bien connu de la ville, un genre d’établissement pour vieilles dames chic. 

Récits

La Colette du pauvre

23 octobre 2021. Mes colocataires sont parties en vacances. Direction le Queyras. Je vais rester une semaine seule à la maison. Cela ne m’était plus arrivé depuis la nuit des temps. Je ne te cache pas mon ambivalence à ce propos. J’appréhende un peu, tout comme j’exécuterais bien une petite danse de la joie.

J’essaye de profiter de ma semaine seule à la maison pour avancer dans l’écriture de mon journal, mais c’est sans compter que c’est l’anarchie avec les animaux. C’est dans leur nature. Ils ont un instinct. Ils sentent que je suis une créature plus faible que mes deux colocataires. Ils hument mon laxisme légendaire et s’en repaissent. En profitent pour imposer leurs lois, me faire chanter, me faire devenir barge. C’est bien simple, ils me suivent partout, dans mes moindres déplacements. J’ai un peu l’impression d’être Blanche-Neige quand elle est suivie par sa horde de bestiaux, à part qu’elle, elle est ravie, elle est suivie par des créatures trop mignonnes, alors elle leur chantonne des chansons mièvres (“Quelle cucuche, cette Blanche-Neige”, dirait Axelle) pendant que moi, je suis prise en filature par un vieux chien mal poilu qui sent les égouts et un chat qui passe sans arrêt devant mes jambes dans le but à peine dissimulé de me faire trébucher dans les escaliers. Quant aux deux autres, l’un me souffle dessus avec les oreilles rabattues quand je lui intime de descendre du canapé où il a élu domicile, et le second me regarde avec une telle frayeur dans les yeux que j’ai l’impression d’être un cuisinier chinois en quête d’un gueuleton.

Quand ils ne me suivent pas, ils exigent que je leur ouvre la porte. Puis que je la referme. Puis que je l’ouvre à nouveau. Pire, ils me font me lever du canapé pour leur ouvrir une porte que finalement ils ne daignent pas franchir. Happy se poste au pied de Jocelyne, la machine à laver sur laquelle est posé le distributeur de croquettes des chats et il se met à aboyer très bruyamment afin de me faire comprendre qu’il en exige, attitude inédite qu’il ne se permettrait jamais avec Mère. Stanislas est la pire d’entre eux, comme d’habitude. Hier, alors que je prenais ma douche, je vois sa petite tête apparaître par-dessus la paroi. Elle l’avait escaladée, mais la vitre étant lisse, elle s’y cramponnait pour ne pas glisser. Puis elle s’est mise à marcher sur le faîte de la douche, tanguant dangereusement, manquant tomber en contrebas, c’est-à-dire sur moi, et il est bien connu que les chats adorent l’eau, nul doute qu’en cas de chute elle m’aurait lacérée de ses griffes. Quoi d’autre ? La nuit elle dort tranquillement sur moi, m’empêchant d’être libre de mes mouvements, puis, de temps à autre, elle se lève pour renverser soit mon verre d’eau, soit mon pot à crayons qui sont posés sur ma table de nuit, me réveillant en sursaut et m’obligeant à me lever pour aller esponger. Dès la deuxième nuit, je l’ai prévenue. Si tu me fais le même coup qu’à Mathilde, me ramener une souris vivante en pleine nuit, je te réserve le même sort qu’à la souris. Elle m’a fixé avec un air de défi.

Question. Comment Colette est-elle parvenue à écrire autant de livres, qui plus est de qualité, sachant qu’elle était envahie par les chats ? Je subodore qu’elle possédait une chatière. Ou qu’elle avait employé un groom afin d’ouvrir et fermer les portes à ses protégés.