Je crois que j’ai l’agrippe.
Ou plutôt un état gris pâle. « Entre gris pâle et gris foncé ».
Pour la troisième fois cet hiver. Moi qui suis d’habitude une vraie force de la nature. Mon teint s’approche de la couleur 55217 sur le nuancier. A moins que cela ne soit la 55150 (j’ai du mal à trancher).
Je fais des jeux de maux pourris. Je les accumule, sans vergogne. Peut-être est-ce une conséquence de la fièvre ? Et en plus, je me mets à citer Jean-Jacques Goldman. Il va falloir qu’on me pique.
« En fait ce n’est pas du tout la grippe, mais une trachéite ET une laryngite très sévères », a dit le Docteur Jivago.
Est-ce bien la preuve que je ne fais pas les choses à moitié, d’avoir deux maladies d’un seul coup ?
Je toussais. Enfin, quand je dis « je toussais », je devrais préciser que je crachais mes poumons comme un chacal à l’agonie. Je sifflais à l’inspiration, je toussais à l’expiration.
Je toussais tellement que vers 10 heures du matin, je me suis mis un défi : essayer de passer une minute sans tousser. Mais c’était impossible.
Je toussais tellement que vers 14 heures j’ai eu peur que me voisine du bas ne monte avec une fourche afin d’abréger ses souffrances sonores.
Je toussais tellement que vers 15 heures j’étais épuisée et essoufflée comme si j’avais couru un triple marathon dans une montagne, avec en bonus des haies à franchir et des rochers à soulever.
Je toussais tellement que vers 16 heures j’ai commencé à souffrir d’un dédoublement de la personnalité combiné à un syndrome de Gilles de la Tourette (un double syndrome sur ma double maladie). Je me disais « Non mais elle va bientôt la fermer, cette connasse ? Si elle ne cesse pas de tousser ne serait-ce que 10 minutes je vais l’étouffer dans un oreiller. Ou l’étrangler. Mais qu’on en finisse. »
Je toussais tellement que vers 17 heures je m’auto-épuisais. C’est un sentiment que je vis relativement souvent, mais là il était aigu et ingérable.
Tout agent communal œuvrant pour la Grande-Cité doit se rendre chez le médecin contrôle le lendemain du jour où on lui a délivré son certificat médical, à 11h30 tapantes.
Pour moi qui n’avais encore jamais été sous certificat, il s’agissait d’une expérience inédite.
Imagine-toi donc ce que cela a d’agréable. Tu es malade, tu tousses sans discontinuer, tu réclames ta maman et des biscuits au chocolat, tu es au chaud sous les draps, il y a du sirop pour la toux sur la table de chevet et soudain tu dois t’arracher à ton lit douillet, enfiler un manteau et un bonnet, dégivrer ta voiture avec une carte de fidélité, conduire jusque là en toussant, d’une toux qui semble t’arracher des lambeaux de l’intérieur, conduire dans un état second, en te rendant à peine compte que tu crées un tas d’accidents autour de toi.
Eh bien, c’est exactement cela qui m’est arrivé vendredi.
Le bâtiment devant moi était moche et vous j’avais garé ma voiture super loin alors qu’il y avait plein de place devant.
Va savoir pourquoi j’ai fait ça : les conséquences de la fièvre, certainement.
A l’intérieur du bâtiment régnait une ambiance digne d’un mouroir de l’Union Soviétique, pour autant que je puisse me faire une idée précise de ce que cela représente.
Un carrelage froid sur les murs et le sol, quelques chaises en métal faisant office de salle d’attente (mouroir) et, sur une porte d’un brun douteux, une photocopie sur laquelle était indiqué : « cabinet médical ».
Aucun doute possible, j’étais au bon endroit.
Le médecin me reçoit, je m’installe en face de lui, je lui tends mon certificat. Il se lève et ouvre une grande armoire (métallique) remplie de dossiers : un pour chaque agent communal. Il est évident qu’un ordinateur ferait tache dans un mouroir de l’Union Soviétique. Il prend mon dossier, l’ouvre. A l’intérieur, il y a une grande feuille quadrillée, vierge. Car c’est la première fois que je viens.
Le Docteur prend une grande inspiration et me dit : « Aloooooors…. Racontez-moi tout… » avec un l’air passionné d’un éditeur qui attendrait de ma part LE roman du siècle.
-« J’ai une trachéite »
-Ah.
-C’est écrit là, lui dis-je en pointant du doigt mon certificat.
-Une trachéite ET une laryngite, se sent-il obligé de préciser.
-Oui.
-Et qu’est-ce qu’on vous a prescrit ?
Là je sors toutes mes fioles et je les étale sur son bureau (métallique) et il se met à retranscrire le nom des médicaments sur sa grande feuille quadrillée en articulant bien tous les noms.
-Ok, me dit-il. Soignez-vous bien.
-Merci, lui dis-je en toussant fort, pour en rajouter un peu.
Là il me tend une poignée de main moite et molle, comme je les ai en horreur et je sors de son cabinet, puis du mouroir, et je marche super longtemps dans le froid en me maudissant d’avoir garé la Queen Elisabeth aussi loin alors qu’il y avait un super grand parking vide juste devant.
Quelques jours plus tard, au beau milieu de mon délire fiévreux (quintes de toux, shoots de sirop, siestes immenses), telle une éclaircie bienveillante, j’ai entendu la voix de Jil Caplan s’écrier « As-tu déjà oubliéééé?! », de ce ton rauque que je chéris tant (que dis-je ? que je vénère)
Car oui c’est vrai, je vénère Jil Caplan. Ma famille pourra en attester, après avoir été harcelée des années durant à coups de Nathalie Wood et de charmeuse de serpents.
J’ai écouté 7827 fois son album « Avant qu’il ne soit trop tard » et ma sœur, consciente qu’elle n’avait absolument pas le droit de critiquer ma chanteuse, essayait de marquer son désaccord en disant « Ce n’est pas tellement Jil Caplan qui me dérange (menteuse) mais c’est plutôt que quand tu la chantes, tu essayes de l’imiter et… comment dire ? … Ce n’est pas du meilleur effet pour nos oreilles ».
En bref, vous comprendrez que j’ai été une fois de plus brimée par une famille qui ne comprenait pas bien mes talents pour la chanson.
Mais passons.
Quand a retenti dans mon esprit cet envoûtant « As-tu déjà oubliéééé?! », j’ai ressenti le besoin vital de l’écouter vraiment.
Je suis sortie de mon lit, j’ai pris mon CD sur l’étagère.
Quand les premières notes ont éclaté, je me suis saisie de ma brosse à cheveux afin d’en faire un micro et, croyez-le ou non, mais c’est à cet instant que j’ai su que j’étais guérie. C’était un miracle : j’étais dans mon pyjama en pilou, avec le cheveu sale et le teint verdâtre, en train de chanter Jil Caplan à une foule en délire avec des trémolos dans la voix, une brosse à cheveux dans la main.
Après avoir chanté trois fois « Esclave » en ayant mis le son sur 25, je fus prise d’une quinte de toux si violente que j’ai été forcée de reconnaître que je n’étais pas encore totalement guérie, mais seulement « sur le chemin de la guérison ».
Il faut savoir rester humble, et réaliste.
Mais sache, Jil Caplan, que non, je n’ai pas oublié. Je n’ai pas oublié le nombre de fois où tes chansons m’ont guérie. Et ce n’est pas ma voisine que j’entends monter avec sa fourche qui me fera dire l’inverse. Ou qui me fera cesser de chanter. Ni cette nouvelle quinte de toux, d’ailleurs. Car je chante et continuerai de chanter, « avant qu’il ne soit trop tard ».
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