Récits

Julien Doré

27 octobre 2021. Hier, j’ai regardé “Le meilleur pâtissier » avec Caro et Célia. Dans l’émission, il y avait une surprise pour les invités : la venue de Julien Doré. Caro et moi, on a un peu gloussé comme des dindes. Pour une fois, on était bien d’accord en matière d’homme, ce qui ne nous arrive absolument jamais. Quant à Célia, elle était bien plus flegmatique. Elle a dit : “Qu’est-ce qu’il vient foutre là, le mec ? Il n’est pas pâtissier, tout de même.” Moi j’étais toute en émoi. J’ai dit : “Lui, je ne le ferais pas dormir sur ma carpette”. Et j’ai dit tout un tas d’autres choses encore, qu’il est inutile de te relayer, mais il était question d’étoiles de mer et de fonds marins. Eh bien, cher Gary, figure-toi que je pense qu’il a dû m’entendre, et peut-être même me voir à travers le poste de télé, car cet après-midi, en rentrant d’un entretien éprouvant, j’ai trouvé ce message de lui dans ma boîte mail. Tu trouves cela étonnant ? Bon sang moi aussi ! Mais ce genre de choses arrive quelquefois, uniquement pour les plus chanceuses d’entre nous, et apparemment, j’en fais partie. Comme quoi, parfois, la roue peut tourner, et là, c’est à 180 degrés, c’est moi qui te le dis.

Récits

Gary

14 octobre 2021


Cher Gary,


Hier matin, j’avais rendez-vous chez le Docteur Synapse. Comme j’étais cinq minutes en avance, je suis allée m’asseoir dans la salle d’attente. Il y avait déjà un vieux monsieur assis là, un masque un peu sale sur le visage, une casquette rouge vissée sur la tête, le dos voûté, un peu gros, des sacs de courses installés à ses pieds. Il s’est adressé à moi. “Excusez-moi, Madame. Est-ce que les bus passent sur la chaussée ?” a-t-il demandé. “Oui, lui ai-je répondu. Mais comme aujourd’hui c’est jour de marché, je n’en suis pas tout à fait certaine. Il faudra que vous vérifiiez”. “Je prends le 12, ou n’importe quel bus qui va vers Namur”, a-t-il précisé. “Je crois qu’ils vont tous à Namur, mais demandez au chauffeur avant pour être sûr, lui ai-je quand-même stipulé”. Depuis le temps que je ne prends plus le bus, je ne voulais pas envoyer ce bon monsieur à Pétaouchnok. Il y a eu un petit silence, puis il a demandé l’heure. “Il est trente-cinq”, lui ai-je appris. Et il m’a expliqué qu’il accompagnait une dame et que cette dame était en ce moment en rendez-vous et qu’elle n’allait pas tarder à sortir. Il m’a demandé ce que c’était au juste, ce bâtiment, et je lui ai expliqué que c’était un bâtiment qui rassemblait plusieurs psychologues. Il a demandé : “Qu’est-ce que les gens viennent faire ici ? Ils viennent parler ?””Oui, ils viennent parler de leurs problèmes.””Ah”, a-t-il conclu, satisfait de ma réponse.
Je crois que, comme dirait Mère, ce vieux monsieur était un peu “sur le doux”, si tu vois ce que je veux dire.
Ensuite il s’est intéressé à mon heure de rendez-vous. “J’ai rendez-vous à quarante”, ai-je dit. Il m’a annoncé que la dame qui l’accompagnait allait bientôt sortir et que ce serait ensuite à mon tour. “Tout à fait”, lui ai-je dit et, au même moment, la porte du bureau du Docteur Synapse s’est ouverte et une dame en est sortie.
Elle est venue jusqu’à la salle d’attente et, s’adressant au vieux Monsieur qui était déjà debout, portant ses sacs de courses à bout de bras, elle a dit : “Alors ? Tu viens, Gary?!”.

Je suis d’abord restée bouche bée, stupéfaite et, puisque j’ai tendance à avoir du chou dans les oreilles, je lui ai demandé, afin d’en être bien certaine : “Vous vous appelez Gary ???!”
”Oui, en effet”
”Mais c’est merveilleux!!!” me suis-je écriée en me levant de ma chaise, la larme à l’œil, en proie à une joie violente.
“Si vous le dites”, m’a-t-il lancé, et il est parti.

Récits

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Cher Gary,

J’aurais pu me rendre dans une papeterie à l’ambiance feutrée et déambuler dans les rayons au son du carillon qui tinte dans l’entrée. Passer ma main sur diverses couvertures. En sentir le grain, le relief, la texture. Te choisir en fonction de ta beauté, de la douceur et de l’épaisseur de tes pages ou même de ton odeur.

Seulement voilà, si tu existes, c’est justement que je ne suis plus capable d’un tel émerveillement, ou même de réaliser une chose aussi simple que de m’acheter un carnet.

Sans vouloir te vexer, je me suis contentée d’exhumer un vieux cahier sans charme, aux feuilles austèrement lignées parfois paraphées par Hannah, une artiste âgée de 19 mois qui manie le pastel gras avec grande habileté. Si tu existes, c’est parce que le Docteur Synapse m’a suggéré de tenir un journal de mes déboires du moment. 

Au début, j’étais un peu réfractaire à l’idée. Je ne trouvais pas cela bien réjouissant. En général, j’aime mieux amuser la galerie. Loin de moi l’idée de plomber l’ambiance déjà lourde de tous les malheurs que porte la Terre. Mais c’est un fait que j’adore écrire. J’ai toujours écrit. Depuis que je suis en âge de tenir un stylo. D’ailleurs, quand j’avais sept ans, j’ai écrit un haïku percutant qui a provoqué un tel émoi dans ma famille que j’ai un peu eu l’impression de remporter le Médicis précocement. Ma marraine, illustratrice, en avait fait un dessin que Mère avait mis sous cadre et il a trôné dans le bureau de mon papy, grand avocat, pendant des années. “Je te souris petite pâquerette toi qui fleuris près de la ciboulette”. Ma première œuvre, et pas des moindres. J’étais fière. Fière de moi. Dans ma famille on a toujours encouragé l’expression de soi. 

A l’adolescence j’ai rempli des carnets et des carnets que j’ai poursuivis jusqu’à l’âge adulte. Des carnets débordant de mal être, d’amours impossibles. J’ai rempli des pages jusqu’à une date plus récente où mon journal s’est arrêté brutalement, faute de mots. 

Gary. Je vais t’appeler Gary. C’est court, vif, dynamique, piquant. Comme la vie. Je t’emmènerai partout avec moi. Je me vois déjà installée dans un parc de Manhattan, les jambes repliées sur une belle couverture à carreaux, observant mes semblables, “trempant ma plume dans un vitriol qui dépeindrait mes contemporains sans la moindre concession”. Ou buvant un café dans le Starbuck de mon quartier, prenant des notes, relatant une vie sexuelle riche et débridée. Ou plus simplement avachie dans le canapé, en pyjama en pilou et chaussettes mauves antidérapantes, gaspillant ton papier de mes anecdotes insignifiantes. On verra bien.