22 juin 2022. Je suis assise sur une chaise de bar chez Mélanie. Elle me sert un grand coca-light avec des glaçons et m’accompagne avec du vin blanc tout en débitant les courgettes du futur repas en petits dés.
Les enfants sont nerveux, excités, plein d’emphase. Elle leur crie de se calmer, vainement. Alors elle dit : « Si ça continue, je vous fous devant la tablette ! » Puis elle me regarde et, réalisant ce qu’elle vient de dire, s’exclame : « Je rêve ou je viens de les menacer avec des jeux vidéos ?! Je ne dois pas être toute juste, moi ».
N’empêche, ça fonctionne. On ne les entend plus. On peut enfin mener notre conversation de la plus haute importance.
Elle me dit :
– Je trouve que c’est positif, cette histoire d’hôpital, mon Bichon.
Comme je ne vois pas très bien où se situe le positif dans le fait de séjourner dans l’aile psychiatrique d’un hôpital, je lui demande de développer. Elle donne des arguments somme toute évidents : cela peut m’aider à trouver des pistes de guérison, accélérer le processus. Puis elle ajoute :
– Et, sait-on jamais, tu vas peut-être rencontrer l’homme de ta vie !
– Tu veux dire parmi les malades ?
– Oui. Ou parmi le personnel soignant, c’est comme tu préfères.
– Tu me vois sortir avec mon psychiatre ?
Elle réfléchit un instant. Semble trouver que non.
– Mais tu pourrais rencontrer un dépressif dans un atelier de vannerie-pleine-conscience !
– Ce serait top. Deux dépressifs en couple.
– Oui, vous vous comprendriez.
– On se tirerait mutuellement vers le bas.
(Je réfléchis)
– Ce serait plutôt inhabituel. Original.
– Digne de toi.
– Mais qu’est-ce qu’on répondrait à l’habituelle question : « Comment vous êtes-vous rencontrés ? » A l’asile ?
– Je ne sais pas. Cela dépendra de l’ambiance que vous voudrez créer. Parce que c’est indéniable que ça produirait son petit effet dans une soirée. « On s’est rencontrés en psychiatrie et entre nous, ça a été le coup de foudre ».
– L’électrochoc.
– Oui, du haut voltage. Et si jamais cela vous mettait mal à l’aise, vous pouvez toujours utiliser un nom de code. Par exemple : « On s’est rencontré en Asie »
– En Asie ?
– Non. En Asile.
On se marre. On glousse. Elle se ressert une rasade de vin blanc pendant que je fais tinter mes glaçons dans le fond de mon verre. J’ajoute :
– Le Docteur Valium m’a dit qu’on y mangeait très bien.
– En Asie ? Oui, on mange beaucoup de riz.
– Non, je voulais dire en asile.
– C’est possible. Par contre les douches sont très froides. J’ai lu ça sur « Tripadvisor » Pour tout te dire, elles sont même glacées.
– Par contre le jet est très puissant.
– Et après tu peux te sécher dans des peignoirs. Mais ils sont bizarres, les peignoirs en Asie : ils n’ont pas de manches.
– Et l’architecture est très étrange. Il parait que les murs sont mous.
– Ah bon ? Tu m’apprends quelque chose.
Elle lève son verre.
– Trinquons, déclare-t-elle solennellement.
– A quoi ?
– A ton futur séjour en Asie.
– A l’Asie, lui dis-je en claquant mon verre de Coca sur son verre à vin.
