18 juillet 2022. L’infirmière Systole et le Docteur Labeille entrent dans la pièce. On comprend vite, à la façon dont ils communiquent, qu’ils sont deux pôles indissociables.
Lui s’installe droit comme un I sur son tabouret, les jambes repliées sous lui, pieds chaussés de Croc’s bleues. Il ferme les yeux, joint les doigts de chaque main, se recueille, s’aligne sur le cosmos, pendant qu’elle nous explique le fonctionnement du séjour. Elle nous distribue le planning des deux semaines qui nous attendent. « Ce séjour peut être très éprouvant, nous prévient-elle, car le rythme est soutenu et les émotions intenses ». En effet, les colonnes montrent un enchaînement assez serré d’activités. « Il y aura des moments de travail ensemble, mais sans que cela soit de la thérapie de groupe pour autant, car vous n’y parlerez pas de votre vécu ; cela est réservé aux entretiens individuels. Vous parlerez de vous de manière métaphorique, afin de prendre de la distance par rapport à vous-même et ne pas vous mettre en insécurité vis-à-vis des autres. En plus de ce travail en groupe, il y aura des plages horaire pendant lesquelles vous serez vus en entretiens individuels avec un psychologue, un psychiatre, une assistante sociale, un généraliste, à raison de plusieurs séances avec chacun d’entre eux. Il y aura également des ateliers corporels, des tests de potentiels évoqués et des questionnaires à remplir. Deux semaines somme toute très chargées. Je serai avec vous chaque jour, mais pas toute la journée. Le matin, je distribuerai les rendez-vous individuels. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis dans la bureau juste à côté ».
Visiblement, l’infirmière Systole sera notre point d’ancrage dans la tempête. Il émane d’elle douceur et bienveillance.
Quand elle a terminé ses explications, le Docteur Labeille sort de son sommeil paradoxal pour s’adresser à nous.
Le docteur Valium m’avait un peu parlé de lui. Elle m’avait dit : « Vous verrez, quand le Docteur Labeille vous parle, sa voix est tellement posée que vous pourriez piquer du nez et entrer dans un sommeil profond». C’est vrai qu’il parle lentement, voire très lentement, à la manière d’un hypnotiseur de cabaret. Ses yeux ronds et fixes ressortent étrangement, coincés entre son masque et de grands sourcils broussailleux, lui faisant un regard allumé. « Vos paupières sont lourdes », me dis-je en mon for intérieur.
Il nous prévient qu’il va plonger ses yeux dans les nôtres, afin d’entrer en contact avec chacun d’entre nous. Je pense à Kaa le serpent, qui, de ses pupilles tournoyantes et psychédéliques tente de faire entrer en léthargie sa proie avant de la dévorer.
« Aie confiance », semble-t-il sous-entendre. Puis, quand il plonge son regard en moi, Gary, je fais moins la maligne, à ressortir à tour de bras mes références toutes pourries made in Walt Disney, et je rends un peu les armes, je le laisse entrer en contact avec mon âme ; après tout c’est lui qui détient l’une des dernières chances de me tirer de là. Il est l’une de mes planches de salut, alors je décide ici et maintenant de lui faire confiance. Des êtres au bout du rouleau, il en a vu d’autres, il en a aidés à la pelle, il en a croisé à qui mieux mieux.
Regarder l’autre et soutenir son regard : voilà une vraie rencontre, au-delà des prénoms, au-delà des mots, hors des banalités.
« Vous ne vous connaissez pas encore, tous les sept. Vous ignorez ce qui amène les autres ici. Votre point commun, ce qui vous relie, c’est la souffrance. L’expérience de la souffrance. Et cette souffrance est loin d’être anodine puisqu’elle vous a menés ici : à l’hôpital. Et ce n’est pas un lieu anodin, un hôpital. »
La femme assise à ma droite se met à pleurer à gros sanglots dans son masque. Je la suis. La troisième s’y met aussi. Je sens qu’on forme déjà une magnifique tryade.
Nous sommes trois femmes et quatre hommes. De quoi défier les statistiques, car la dépression touche plus facilement les femmes, à ce qu’il parait. A moins que tout le monde ici ne souffre pas de dépression ? A moins que d’autres problèmes puissent mener en ce service ? J’avoue que je suis un peu curieuse de savoir ce qui amène mes comparses en ces lieux. J’aurai certainement tout le loisir de le découvrir. Mais avant tout, si je m’occupais un peu de moi-même, pour changer ?
