Récits

Le vent dans la nuque

12 juillet 2022. Lorsqu’on perd des proches au seuil de l’été, la saison reste à tout jamais corrompue. Les premières sensations estivales, normalement empruntes de chaleur et de liberté, gardent un arrière-goût de drame. Celui-ci s’éloigne cependant. Peu à peu. Revient parfois au grand galop, te sautant à la face. Aléatoire. Imprévisible.

Nous sommes le 12 juillet ; date funeste s’il en est, et cette fois, étrangement, j’ai à peine pensé à l’horreur qui d’habitude me secoue vivement. J’ai à peine ressenti la date : un simple effleurement. La peine n’est pas venue, trop absorbée que j’étais à me sentir immergée dans la vie. Trop occupée que j’étais à arpenter la plage, la petite main d’Hannah calée dans la mienne. Trop affairée que j’étais à sélectionner les plus beaux coquillages et à apprécier la rare caresse du vent sur mon visage.

Nous avons trinqué à leur santé, tout de même. Caro a versé dans le gobelet d’Hannah un petit jus de cerises aves des glaçons. « Trois » a exigé l’Enfant.
« A Jean-Chri » a déclaré Célia en brandissant son Ice Tea Pêche. « A Jean-Chri » avons-nous répliqué. « Santé à Pépé » a dit Caro à Hannah. « Santé, Pépé » a-t-elle répondu de sa petite voix mignonne.

Hannah n’a pas connu Jean-Chri. Ne le connaîtra jamais. Cette réalité est une brisure. Mais on s’y fait. Caro lui parle de lui. Hannah le salue au réveil, spontanément, sans que Caro lui ait appris à le faire, quand elle l’aperçoit dans le cadre accroché dans le couloir.

On l’appelle Pépé parce que c’est ce qu’il aurait voulu. Quand Caro lui a parlé de son envie d’enfant, il a déclaré : « Elle m’appelera Pépé ». On a contesté.

  • Tu ne vas pas faire ça, quand-même !
  • Mais pourquoi pas ? J’aime bien, moi.
  • C’est super kitsch. Ça fait un peu vieux papy installé sur son banc et qui commente les matchs de pétanque.
  • Justement !

Ainsi soit-il.

Jean-Chri n’est plus là. Il est devenu le vent dans nos cheveux, le sable sous nos pieds, l’air iodé dans nos bronches, la vague qui se brise dans nos coeurs.

Récits

Ginkgo biloba

Je me sentais grise, le lendemain de ton départ.

Un nuage de tristesse planait au-dessus de ma tête et peinait à descendre.

J’avais rendez-vous chez Synapse. On peut dire qu’il tombait à point nommé.

Puis, sortant de la voiture, j’ai vu cet arbre, comme en feu.

A ses pieds, de magnifiques feuilles jaunes de ginko biloba, éclatantes parmi cette grisaille.

Je me suis penchée pour en ramasser.

Je les ai suivies. Elles jonchaient mon chemin. La dernière d’entre elle, comme endormie sur le paillasson du Docteur Synapse, semblait me dire : Il y aura autour de toi toujours assez de ressources pour ne pas perdre racine. Pleure s’il faut pleurer. Mais n’oublie pas, je serai à présent sur ta route sous des formes diverses et variées, de belles formes colorées.

En rentrant, je n’ai toujours pas pleuré.

Mais je les ai dessinées.

Récits

Papy Menu

29 novembre 2021. Il faisait un tel froid ce matin… Un froid de canard. “A se peler le cul”, aurais-tu peut-être dit dans ton langage direct et poétique. Les premiers flocons sont arrivés en cortège depuis la Gaume pour te rendre hommage. On s’était tous mal habillés, alors on sautillait sur place, mais nos pieds se sont transformés en glaçons dans nos petites chaussures. Tant mieux, qui sait, ça anesthésiera peut-être la tristesse de te perdre, toi le patriarche qui a régné en maître sur ta famille, la défendant bec et ongles, la soudant, l’inspirant au quotidien.
On a suivi le cortège, englobées dans cette tribu qui nous a adoptées, à force d’années et de conneries racontées autour de repas copieux. Tu te tracassais d’abord pour ma ligne. “Mais tu as maigri !”, me disais-tu alors que je venais de me prendre 13 kilos dans le cul. “Attention, il faut manger, tu n’as plus que la peau sur les os!”. Pour toi, la santé et la bonne chère, c’est sacré. Un Sacré-Menu, je dirais même. C’est une boutade que personne n’aime dans cette famille, tant pis, je la fais quand-même.
Ensuite, tu nous racontais des anecdotes, chaque fois différentes. “Le 29 juillet 1984…” “1985”, te corrigeait Mamy “Joe la frite est parti en camionnette sur les routes de Martué…”. Histoires rocambolesques peuplées de personnages de terroir, toujours certifiées véridiques, avec ragots de village et secrets dévoilés au final. Un vrai conteur. Nous buvions tes paroles et, toujours, à la fin, le rire ou la surprise incroyable : “Nooon ? Ce n’est pas possible”. Une vie parsemée de récits, car tu observais les gens autour de toi avec un intérêt réel.
La chasse, la pêche, les rallyes automobile. Autant dire que nous n’avions aucun centre d’intérêt en commun, et pourtant, on pouvait discuter à bâtons rompus car en fait, tu t’intéressais à tout ce qui faisait la vie des gens autour de toi.
Solide, dur en affaire, au regard si doux… Tu vas nous manquer.

Mais promis, Papy, nous veillerons les uns sur les autres et nous nous raconterons tes exploits le sourire aux lèvres.

Illustration, Récits

Carlotta

On est arrivées le même jour. On nous avait envoyées à une journée de formation des nouveaux agents communaux. Tu prenais consciencieusement note, pendant que je baillais aux corneilles en mimant de la pâte à gâteau qui s’écoule de sa chaise. Tu me regardais d’un oeil amusé, un peu comme si tu n’avais jamais entraperçu une créature aussi étrange que moi.

Tu voulais tout savoir sur moi. Tout. Aucun détail ne devait échapper à ton analyse impitoyable. Et à la fin, tu as déclaré : “Tu seras mon amie”. un peu comme on le faisait dans la cour de récré. Un peu comme dans l’enfance. Quand c’était facile. Quand il suffisait d’énoncer une réalité pour qu’elle existe. “Tu seras mon amie”.

J’ai essayé de t’échapper, au début. Non pas que je ne veuille pas te rendre cette amitié, bien au contraire, mais ça me semblait être une entreprise risquée. On était trop différentes. Mais tu disais : “Peu importe, c’est ça l’amitié”. Tu rajoutais : “Au contraire”.

Puis il y a Sophie. Et on a nous trois, on a reformé le trio des trois Grâces. Non, Bichette. Pas les trois grasses. Peu importe le volume des popotins tant qu’à l’intérieur nous soyons grâce et volupté. Et des femmes de poigne avant tout.

Sophie et moi, on arrêtait pas de te mettre en garde : Nous sommes désordre et chaos là où tu es ordre et méthode. Nous sommes indiscipline là où tu es maîtrise. Nous sommes renoncement là où tu persévères sans relâche. On avait peut-être peur de te décevoir, je pense. Tu étais tellement intransigeante. Mais nous avons formé ce trio étrange, déconcertant parfois. Et tu as eu raison d’avoir foi en nous trois.

D’ailleurs, ça me fait mal à la gueule de le reconnaître, mais tu as toujours raison.

On a travaillé, un peu. Mais avouons que ce n’était pas notre principale préoccupation. On a parlé, beaucoup. Pour ne pas dire sans relâche. De tout. De la pluie, du beau temps, des maris, de l’enfant. Et de ce que l’on ressent. Peines, joies. Plénitude, irritations, il fallait tout te dire, tout te confier sans rien omettre et ton oreille était absolue. Ai-je déjà rencontré une oreille aussi absolue que la tienne ? Je ne pense pas, non.

On a mangé des sushis tous les vendredis midis. 1 B2, 2 B3, 2 coca light, 1 coca. A ce rythme-là pendant huit ans. Ton règlement d’ordre intérieur ne tolérait aucune dérobade. Seules excuses valables : des vacances à l’étranger, et la mort. Mais Bichette, on vient ici pour t’annoncer qu’on a modifié cette clause. Nous perpétuerons nos traditions, et tu seras avec nous. On t’emmènera. Parce qu’on a besoin que la vie continue à avoir cette saveur que tu lui as insufflée. Une saveur de vendredi midi, un petit arrière-goût de sushi.

On a joué aux apprenties sorcières, aussi. Mais ce chapitre-là, on le garde pour nous. Les murs de nos appartements n’en reviennent toujours pas, mais il faut bien secouer la rationalité, parfois, pour faire entrer la magie.La magie, parlons-en. La spiritualité. Tu ne pensais pas qu’il y avait une vie après la vie : tu le SAVAIS. Et à nouveau, il aurait été vain de t’en dissuader. C’était un savoir qu’il n’était pas envisageable de remettre en question. Honnêtement, Bichette, j’en suis fort heureuse et soulagée. Parce que ça signifie que tu seras toujours là pour nous, et que nous serons toujours là pour toi, ma harceleuse préférée. On ne sait pas encore la forme que ça prendra : pardonne notre ignorance, mais c’est nouveau pour nous. Enfin… pour toi aussi, à vrai dire.

Mais compte sur nous pour continuer : à faire semblant de travailler, à glousser comme des dindes, à discuter à bâtons rompus, à manger des frites, à boire du thé, et à ne jamais nous accorder sur nos chanteurs préférés. Parce que c’est ça, la vie, parce que c’est ça qui nous fait et c’est ça qui nous lie.

Et dis bien à Charlie qu’il pourra toujours venir nous trouver pour qu’on lui parle de sa maman qui l’aimait tant. Promis Bichette, on lui fera un portrait élogieux de toi, car tu es une grande femme comme la terre en porte trop peu.

On t’a aimée, on t’aime, et on t’aimera toujours.

Tes deux amies pétées du casque.

Récits

La mort est partout

“Avec cette pandémie, la mort est partout”, m’a dit dernièrement le Docteur Synapse, dont le métier est de rassurer ses semblables. “Dans les chiffres, dans les rues, dans les discussions”.

Il est vrai que j’ai senti que la pandémie, c’était un peu le truc en trop pour moi, sans pouvoir expliquer exactement en quoi. Un peu comme la goutte d’eau qui ferait déborder la perfusion, si je puis dire.

J’y ai perdu le sens même de mon métier, l’essence même. Je me suis retrouvée dans ma chambre, face à mon ordinateur, comme une ado en blocus, incapable de me concentrer, le cerveau en compote.

“Je vous invite à réfléchir à la façon dont vous appréhendez la mort”, m’a dit ensuite Synapse. 

Et, comme si Le-Grand-Tout avait orchestré un exercice à mon intention, quand je suis rentrée à la maison, il y avait un hérisson qui était allongé d’une étrange façon sur le bitume. Celui-là même qui était venu quelques jours auparavant parader sous mes fenêtres, m’obligeant à sortir en culotte dans la nuit, armée de ma lampe de poche. Celui-là même qui m’avait fait réveiller Mère pour lui annoncer que nous allions avoir des choupissons. 

Caro, qui conduisait parce que je ne roule plus depuis que j’ai d’un seul coup arraché mon rétroviseur et éclaté ma voiture contre un lampadaire, connaissant ma compassion à l’égard des animaux, s’est exclamée : “Oh un hérisson qui bronze tranquillement !”. Mais je ne suis pas dupe, Gary. Je sais que les hérissons ne bronzent pas, pas plus qu’ils ne sortent en plein jour ou font des séances d’acupuncture, d’ailleurs.

Elle m’a déposé chez moi et je suis allée voir l’animal. Il respirait à grand peine et posait sa tête contre le sol. Seul. Il était seul, en train d’agoniser loin des siens. Il avait une plaie sur le dos de laquelle sortaient des mouches. Il me regardait de ses petits yeux tout mignons et il semblait me dire qu’il était désolé pour les choupissons à venir.

J’ai fait ce que j’ai pu, je crois. J’ai appelé le centre des urgences vétérinaires. Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire car les hérissons transportent trop de virus dangereux. Ils m’ont donné un numéro spécialisé en animaux sauvages. C’était déjà fermé. J’aurais pu le mettre dans une caisse et l’amener à la maison mais je le sentais moyen, de savoir qu’un animal agonisait sous mon toit. Et je l’avoue, je l’ai senti moyen aussi de me taper une nouvelle zoonose. Je pense que j’ai déjà assez avec Vertigo et Spiroquette.

Je me suis sentie impuissante. impuissante et lâche. Mais j’avais l’impression d’avoir fait le tour des solutions, sans succès.

Alors je suis allée me coucher.

Il a commencé à pleuvoir. Un peu d’abord. Puis beaucoup. Des torrents. J’entendais parfois passer quelques voitures, totalement indifférentes à son sort.

Comme de bien entendu, le combo imagination fertile /délire fiévreux à la doxycycline a fait son oeuvre et je l’imaginais, telle une grosse éponge, se gorger d’eau de pluie jusqu’à occuper toute la rue et à barrer le passage aux voitures qui s’inquiéteraient enfin. C’était un rien cauchemardesque. 

Le lendemain matin, j’ai repoussé le plus longtemps possible le moment d’aller le voir. Puis, n’en pouvant plus, je me suis enfin décidée à y aller et, crois-moi ou pas, mais il avait disparu.

Quand je suis rentrée, maman m’a demandé : “Alors ?” et j’ai répondu qu’il n’était plus là, qu’il était probablement parti retrouver sa famille pour le pique-nique du dimanche.

Il paraît que la première étape du deuil est le déni. il parait aussi qu’il peut durer longtemps. Personnellement je n’en sais rien. Car aucun membre  de ma famille n’est mort.

En parlant de mort, justement, cette nuit, j’ai rêvé de Vincent M.

Vincent M., c’était mon collègue et il est mort il y a quelques années dans un accident de la route. Il était jeune, il avait une femme et trois enfants en bas âge et tout le monde adorait sa gentillesse, sa disponibilité, sa façon toujours détendue de voir la vie. Je ne me remets toujours pas de sa mort. Je veux dire que je ne peux toujours pas y croire. Cela m’est impossible.

Dans mon rêve, il m’expliquait que maintenant, il travaillait sur un nouveau projet, il vendait des cornets de pâtes dans la bibliothèque de Boitsfort. Il disait que ça marchait bien, il se faisait de l’argent parce qu’il y avait de plus en plus de bobos qui mangeaient des spaghettis le midi. 

Il était bien, ce rêve, parce qu’il m’a fait penser à un projet que l’on avait imaginé ensemble quand on travaillait au bibliobus et qu’il y avait peu de passage dans notre halte, qu’on s’ennuyait comme des rats. On avait imaginé vendre des frites. Il y avait justement une sorte de petite aubette et on aurait pu allier nos passions communes pour les poulycrocs et Danielle Style.

Puis il est devenu moche, ce rêve, quand je me suis réveillée pleine d’effroi, me disant qu’en vrai Vincent M. est mort, qu’il ne vendra jamais ni frites ni spaghettis dans la bibliothèque.

Et pourtant, malgré son absence corporelle, il semblait me dire, à travers ma nuit : “Crois en tes rêves, même les plus saugrenus”.

Car c’est peut-être cela qu’il faut retenir de la mort : les morts continuent à nous divulguer leurs enseignements malgré leur absence.

Récits

Saint Pèlerinage

Cher Jean Chri,

Aujourd’hui, tu aurais eu 60 ans.

Et avec mes 40 qui approchent, on aurait fêté notre centenaire. On aurait passé un été séculaire.

Alors tu comprendras qu’hier, les doigts couverts de sauce, léchant notre plat de mouton jusqu’à la dernière goutte, j’aie parlé à Laurence de cet événement spécial. Elle a confirmé qu’il fallait marquer le coup et a proposé que l’on fasse un pèlerinage en ton honneur.

Je te vois te marrer d’ici. Un pèlerinage ? Pour un mécréant comme toi ? Aurais tu perdu la tête, Natha ?!

Rassure toi. Laurence n’ayant jamais que de bonnes idées, on a fait un pèlerinage d’un genre qui te ravirait. Un pèlerinage féministe.

Quelques haltes importantes : un monastère, un asclépion, une rivière, des côtes d’agneau, pour terminer par une chapelle. Oui, tu entends bien. Une chapelle. Miraculeuse. Sur le toit de laquelle poussent des arbres. Érigée en l’honneur de Sainte Theodora qui n’est pas la moitié d’une aventurière car elle a joué sa Mulan grecque en se travestisant en homme pour aller combattre à la guerre. Tu le vois venir, le trip féministe ? J’ai liké. Même si la pauvresse a terminé avec la tête tranchée. Mais que veux tu… On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs.

Tu seras ravi de savoir que, comme il se doit, on a mis notre réveil. Pour profiter à fond de notre journée. Parce que nous avions UN PROGRAMME.

Nous avons roulé jusqu’à un monastère haut perché qui s’est dévoilé au détour d’un chemin, bien à l’abri dans la montagne.

Ensuite, nous sommes allées nous baigner dans une rivière glacée, telles des nymphes qui n’ont pas froid aux yeux (ni froid nulle part, d’ailleurs).

Ensuite, on s’est régalées de côtes d’agneaux jusqu’à en avoir la panse qui éclate, puis on a repris la route.

Paumée, la route.

Sur laquelle nous étions seules pendant des kilomètres, et sur laquelle poussaient moult arbrisseaux de lauriers roses.

Puisqu’il n’y a pas de hasard, seulement des rendez-vous, nous avons trouvé sur le chemin un tas de chardons géants, fleur que tu aimais tant.

Puis l’ambiance a comme qui dirait changé parce que nous avons traversé une zone industrielle à l’abandon, wagons de charbon pendant des kilomètres, turbines par ci par là et terres en friche à perte de vue, sous un ciel plombé, de préférence.

Puis la chapelle est apparue. Parée de sa miraculeuse coiffe.

Laurence a acheté un petit parfum à l’encens que l’on a baptisé « Odeur de sainteté », puis on a bu un café frappé qui nous a été servi avec un toast à l’ail. Autant te dire qu’il fallait avoir l’estomac bien accroché.

On est revenues par l’autoroute, fatiguées de tous ces virages, non sans une halte sur une aire pour s’acheter du chewing-gum au goût « Rain forest » pour couvrir nos haleines de fennecs aux abois.

Voilà comment nous avons fêté tes 60 ans.

La prochaine fois, je te raconterai le reste du séjour, à rebours, car dans deux jours je retrouve la famille.

Je t’embrasse, je pense à toi.

Récits

Tentons d’être sereines

Même si les cimes ont accueilli deux des nôtres, tentons d’être sereines.

Avec les montagnes pour seul domaine, terrain de jeu rêvé pour leur éternité, ils se délectent certainement. S’asseyent au rebord et, nous contemplant, sortent un canif et se coupent une belle part de saucisson. (A manger obligatoirement avec un morceau de pain, hein, car ce n’est pas l’absence corporelle qui justifierait pareil sacrilège que de manger du fromage ou du saucisson sans le pain obligatoire).

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Oui, ils se délectent certainement.

A droite, une montagne à gravir. A gauche, une magnifique arrête qui les titille et, droit devant, s’étendant jusqu’aux confins de tous nos horizons, un sommet recouvert de neiges éternelles.

sommet des dieux

Nous, en bas.

Tellement en bas que cela fait mal. Tellement en bas que cela meurtrit la chair, éclate le cœur et bousille le cerveau. Tellement en bas qu’on en a hurlé parfois et qu’on en hurlera encore.

MAIS.

Tentons d’être sereines.

Car leur joie de vivre nous a irradiées pendant tant et tant d’années que cela ne pourrait s’arrêter. Ce serait trop impensable.

Car leur philosophie de vie nous a tellement éclairées que cela ne pourrait disparaître.

Allant jusqu’à les transmettre à leurs filles.

Cette joie de vivre, cette philosophie, cet optimisme, on peut à présent les détecter dans leur sang – c’est génétique (l’un d’eux dirait « C’est scientifique ») – elles portent en elles la part d’eux qu’ils ont léguée.

Tentons d’être sereines.

Parce que nous avons eu l’immense privilège d’être de leur Clan. Le clan des hommes bons. Des êtres à part. Des hommes d’exception.

Des hommes d’exception qui ont su, jour après jour, prendre soin de leurs femmes d’exception.

Tentons d’être sereines.

Car avoir vécu dans leur sillage a fait de nous des femmes de lumière. Une lumière scintillante qui ne nous quittera jamais plus, même dans la tourmente, même dans ces torrents de tristesse qui, comme en montagne, se heurtent à des pierres sans jamais perdre de leur puissance.

Tentons d’être sereines.

Car c’est ce qu’ils auraient voulu, tout simplement.

drapeaux de prières