Lecture

Le chien de Madame Halberstadt – Stéphane Carlier

De Stéphane Carlier, j’avais lu « L’enterrement de Serge » avec un plaisir incroyable car j’avais découvert « un grand auteur ». Les livres de Stéphane Carlier, simples en apparence, sont en réalité de petites pépites, d’autant plus qu’ils sont à l’image de ses héros : humbles et sans prétention, craignant de ne pas laisser de fortes impressions derrière eux. Et pourtant, il nous en reste une truculence certaine ainsi que beaucoup de joie. Ses récits jouent toujours avec les clichés, mais tout en finesse, sans jamais y tomber, ce qui relève d’une grande prouesse. Et puis, surtout, on rit. On rit beaucoup, et on est émus, aussi, par ces situations cocasses dans lesquelles on est parfois jetés bien malgré nous.

Baptiste, écrivain, a connu des jours meilleurs. Son dernier roman a fait un flop, sa compagne l’a quitté pour un dentiste et, à bientôt quarante ans, il est redevenu proche de sa mère. Il passe ses journées en culotte de survêtement molletonné, à déprimer dans son studio qui sent le chou… Jusqu’à ce que Madame Halberstadt, sa voisine de palier, lui demande de garder son chien quelques jours.

« Notre prise de contact fut glaciale. J’avais autant envie de garder ce chien que de passer une coloscopie et lui ne semblait pas dans de meilleures dispositions. (…) Sa morphologie me fascinait. Ces yeux sortant légèrement de leur orbite, ce bout de langue à l’air libre, ces pattes ridicules, cette absence de cou. Il n’y avait rien de normal chez cet animal, tout en lui était trop gros ou trop petit. Sa respiration, courte et très sonore, était celle d’un être chétif, modifié, qui manquait d’oxygène. (…) On aurait dit E.T. On aurait dit une vieille dame snob à cheval sur ses principes mais profondément bonne. On aurait dit Angela Lansbury dans Arabesque ».

« Le chien de Madame Halberstadt » de Stéphane Carlier – Le Tripode

Récits

Le banc du fond

Il semblerait que j’aie survécu à la grippe.

Je ne tousse plus, je ne me mouche plus, je ne crache plus le moindre mollard.

J’ai même réussi à me lever tôt. J’ai remplacé mon petit-déjeuner par un cocktail de ma composition fait de paracétamol et de codéine, histoire de me donner la pêche.

J’arrive certes groggy à mon premier jour de formation, mais conquérante.

Je m’installe au premier rang, histoire de démarrer en bonne élève, et ouvre ma trousse pour en sortir quelques bricoles. Autour de la longue table, il n’y a que des femmes. Seize en tout.

Nathalie, que je connais déjà pour avoir suivi avec elle la formation en bibliothérapie, vient s’asseoir à côté de moi.

Quand Benoit, le formateur, s’installe à l’autre bout de la pièce, je comprends que je suis en réalité au dernier rang.

Il se souvient de nous et nous surnomme très vite : « Les Nathalie, là, dans le fond ».

Damned, ça promet.

Ça me rappelle mes études.

Quand, avec ma classe, on avait foutu un sacré bordel lors d’une visite de bibliothèque universitaire.

Nous nous étions allègrement moqués du directeur qui essayait tant bien que mal de nous égarer parmi les compactus pour se venger. N. avait déclaré : « Vous ne trouvez pas qu’il a une tête à jouer dans des mangas de cul japonais ?! »

Le hic, c’est que Madame C., notre prof d’OBP (Organisation des bibliothèques publiques), nous avait entendus.

L’autre hic, c’est que nous ignorions alors qu’elle se le tapait, ce type qui avait ce fameux faciès.

Alors, vu que nous avions sacrément manqué de respect à son amant, Madame C., blême de colère, nous avait crié : « Quant à vous, là, le banc du fond… vous démarrerez votre examen d’animation avec quatre points de moins ».

Je ne sais pas si tu te rends bien compte, Garry, mais quatre points de moins, c’était un manque énorme à gagner, surtout pour qui tentait toujours le rase-mottes : en faire le moins possible en visant la moyenne.

Alors, quand mon nouveau formateur nous dit, « Les Nathalie du fond », j’ai comme qui dirait un sale pressentiment. Serais-je éternellement condamnée au banc du fond, celui des accusés ?

Lecture

Guérir à deux voix – Irvin Yalom et Ginny Elkin

Une fois sa rédaction terminée, j’ai fait lire mon livre « Le ver est dans la pomme » au docteur Valium. Evidemment, ça n’a pas loupé, elle est partie de certains passages de celui-ci pour alimenter ma thérapie (on ne se refait pas) et elle m’a dit que ces allers-retours lui faisaient drôlement penser à une expérience menée en son temps par le grand psychiatre Irvin Yallom. Il a demandé à l’une de ses patientes, aspirante écrivain, de lui rendre un compte-rendu écrit de chacune de leurs séances, compte-rendu que lui rendrait également de son côté. C’est donc ainsi que se présente « Guérir à deux voix » : une succession de séances racontées par l’un puis par l’autre. Cette expérience a été déterminante dans sa carrière car il s’est très rapidement rendu-compte que (selon le docteur Valium) « là où le psychiatre pense avoir exposé une grande théorie, le patient, quant à lui, a surtout retenu que le psychiatre s’est souvent curé le nez ». Un porte-à-faux à mon avis inévitable et qui fait tout le sel de « la rencontre ».

J’étais donc très emballée d’entamer ce livre, mais j’ai rapidement déchanté, jusqu’à ne pas pouvoir continuer plus loin qu’au tiers de ma lecture. Ce Irvin Yalom, dont on dit tant de bien, me semble être un gros pervers (je sais, mon opinion est très pro) qui se soucie un peu trop fort de l’impression qu’il laisse sur sa patiente et semble jouer un jeu écoeurant, vérifiant régulièrement qu’elle fantasme à mort sur lui. Beurk, débectant.

Lecture

L’homme-miroir – Lars Kepler

Cela faisait bien deux ans que je n’avais pas lu un bon polar bien dark made in « un pays sans chaleur et sans lumière ». J’avais entre autres lu la série « Dark secrets » de Hans Rosenfeldt, que je recommande mais dont les histoires, à côté de celles sorties des cerveaux torturés de Lars Kepler (association mari et femme) semblent sorties de celui d’un enfant de choeur.

Lars Kepler, c’est bien connu, ne fait pas dans la dentelle, et ce dernier tome n’échappe nullement à la règle. Who putain que c’est glauque ! C’est quoi, mon problème, à lire des trucs pareils et, en plus, à ne pas savoir le lâcher ? Je dois être une grande malade mentale, je ne vois que ça…

Illustration

Flaques

La pluie est tiède et des flaques translucides recouvrent le sentier. Des animaux, chaussés de grandes bottes en caoutchouc, sautent sauvagement dans les flaques. Ce jeu a l’air très tentant, mais maintenant qu’il est un écrivain reconnu, Saint-Amour ne peut pas se permettre de se laisser aller à de telles frivolités. Il les salue de la tête, inclinant poliment son parapluie, et continue sa route.

Récits

Akaktek

Mon chat a des obsessions. Il tient absolument à établir un contact physique avec moi. En temps normal, il se greffe dans mon cou, m’offrant son arrière-train dans le visage en cadeau, mais étant donné que j’essaye de rester assise bien droite, les narines situées à la verticale de mon cerveau, cela anéantit temporairement ses projets. Je creuse la couette à mes côtés et lui montre le joli petit recoin moelleux que j’ai façonné pour lui, mais il le boude. Pire, il le dédaigne et monte sur mes genoux, sur lesquels il s’installe en équilibre précaire en me fusillant du regard.
Je n’aime pas ça. S’il venait à tanguer, il sortirait à coup sûr les griffes afin de me les planter dans les genoux. Et puis, trop c’est trop. Après deux années de thérapie, je décide qu’il est temps de faire preuve d’assertivité, à commencer par les félins. « Non, Akatek, je ne m’allongerai pas » , lui dis-je d’un ton tranchant. Il boude. Je tapote le petit nid. « Viens plutôt ici, tout à côté ». Il se redresse en vacillant. Ne bouge pas d’un iota. Fait la forte tête. C’est à qui cédera le premier. Je ne veux pas, je ne peux pas céder. Je suis solide comme un roc.

Récits

La grippe, encore

Clemsou a la grippe. David aussi. Et Gégé n’en mène pas large.

Si je résume bien, les Eplorés se sont fait striker les uns à la suite des autres comme de vulgaires quilles renversées par un joueur de bowling semi-professionnel. Eradiqués de la carte. Fauchés dans la fleur de l’âge.

Faut dire que jeudi soir, on a assisté à un spectacle de stand-up dans une vielle cave pleine de miasmes. Ça m’apprendra à sortir, tiens. Chaque fois que je fous le pied hors de la maison, je chope une saloperie et je dois rester alitée pendant des jours.

Ça m’apprendra à rouler des pelles à des humoristes dans des caves humides.

***

Aliments ingérés ces trois derniers jours :

– 5 crackers à l’origan

– une tranche de cheddar fondu

– un bol de soupe préparé par Mère qui, bravant les anticyclones, s’est mise à arracher des poireaux sous le regard offusqué des trois moutons intimement persuadés que tout ce que contient le potager leur appartient.

– une pleine poignée de chips au paprika

– un bol de chicken soupe

C’est moche, quand j’y pense. Parce que j’ai loupé la seule réunion Wich-wach à laquelle j’aurais enfin perdu du poids. Mais Flore m’a rassurée : « T’inquiète, t’as rien raté : +700g cette semaine ».

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Hortense se porte à merveille, elle.

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Appuyée contre une pyramide de coussins, je regarde Ally Mac Beal sur mon ordinateur en me mouchant sans discontinuer. J’ai l’impression que l’entièreté de ma matière grise est en train de s’écouler par mes narines. Dès que j’ai utilisé un mouchoir, je le jette dans un sachet en plastique posé au pied de mon lit et il va rejoindre la montagne de mouchoirs usagés. J’ai calculé : j’utilise à peu près un paquet par heure. A ce rythme-là, j’aurai bientôt créé un nouveau continent. Le Continent-mouche-truffe.

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La psy d’Ally Mac Beal est encore plus givrée que la mienne ; c’est te dire. Elle lui fait chercher une chanson fétiche. Une chanson qu’elle doit écouter mentalement quand elle a besoin de se sentir belle et puissante. Une chanson qui lui donne envie de tout déchirer. Moi aussi je voudrais une chanson fétiche.

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Je crois que ma plante en pot me nargue. Elle brille d’un éclat aubergine prodigieux et étend ses feuilles dans des poses alanguies. En fait, elle respire la santé, cette perverse.

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La seule chanson fétiche qui me vienne à l’esprit c’est « Solide comme un roc » de Nadiya. Pour te dire mon taux de désespérance.

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Je soupçonne Akatek de ne pas apprécier Nadiya à sa juste valeur. Quand je l’écoute, il relève son nez d’entre ses pattes et jette un regard oblique plein de reproches vers la chanteuse acclamée par la foule.

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Ce qui est bien quand on est malades à plusieurs, c’est qu’on peut se refiler des tuyaux. « T’as essayé Rhino-fébrile ? que je demande à Clemsou.Vas-y, c’est de la bonne »

Récits

La grippe

Cher Gary,

Je t’écris des confins de ma chambre où je suis enfermée depuis maintenant plusieurs jours, telle une créature agonisante lâchement abandonnée par les siens.

Tout a commencé samedi. Je suis allée me faire masser chez Mathilde et, en me relevant, je lui ai dit : « Il était étrange, ton massage. J’ai mal partout, comme si j’avais la grippe » Ensuite, j’ai toussé, d’une violente toux qui m’a arraché les bronches. Peut-être que cela aurait dû me mettre la puce à l’oreille. En tout cas, c’est ce qui s’est produit chez Mère qui a crié : « Vade retro Satanas, file dans ta chambre ». Il se fait que Mère, suite à une bronchopneumonie, s’est démis une côte et elle voit moyen venir l’embrouille : si elle tousse, elle se disloquera à coup sûr tel un pantin désarticulé. Je suis donc rapidement devenue l’ennemi numéro un, la pestiférée abandonnée sur une île déserte, sans même un paquet de chips pour survivre.

Alors je me suis enfermée. J’ai souffert des pieds à la tête, j’ai toussé, j’ai trembloté de tout mon être et transformé ma couette en hutte de sudation.

Quand j’ai dit à Mélanie que je n’avais pas mangé depuis deux jours elle a paniqué. Elle a dit : « C’est très grave, mon Bichon. Tu dois aller voir le médecin ». Ce que j’ai fait pas plus tard que maintenant.

« C’est la grippe » a déclaré le docteur Jivago, qui ne m’avait plus vue depuis longtemps. « Je vais te faire un certificat pour le boulot » Pauvre docteur Jivago, il commence à perdre la boule. « Ce ne sera pas nécessaire » l’ai-je rassuré, et je suis retournée me terrer dans mes oreillers.

J’ai froid. Mes genoux jouent des castagnettes. Mais Caro se charge dès ce soir de me faire livrer du chicken soupe, alors je sens que je vais déjà un peu mieux. « La santé repose sur de petites choses » confessait autrefois Docteur Queen, femme médecin.

Lecture

Caitlin – Arnaud Nihoul

Adolescente, Caitlin débarque du jour au lendemain sur une petite île écossaise, mettant en émoi un trio d’amis formé depuis l’enfance et bousculant leur équilibre. Bien des années plus tard, elle disparait mystérieusement. S’ouvre alors une enquête implacable afin de la retrouver. Mais cette enquête, rendant chacun suspect, ne laissera pas la petite communauté indemne…

Regroupant plusieurs ingrédients parfaits (une île battue par les vents, un enquêteur revenant sur les lieux de sa jeunesse, un mystère intriguant), « Caitlin » ne faillit pas à ses promesses en dévoilant au fur et à mesure de la lecture des questions de plus en plus nombreuses, créant un suspense insoutenable. Un livre prenant au style soigné, l’auteur excellant à rendre les ambiances îliennes, faisant du lieu un personnage à part entière.

« Cette faille, c’était comme mettre la force du large en éprouvette, la faire exploser dans cette fracture chaotique. La puissance de l’océan retentissait d’être contenue entre ces deux parois abruptes, projetant ses crêtes d’écume en tous sens. Le flot claquait sur la roche, en déflagrations successives, dans un décor infernal où en venait à imaginer que l’eau pourrait vaincre le roc et l’emporter avec elle comme une plume dans le vent. Et toutes les minutes environ, une vague plus forte que les autres recouvrait les amas rocheux de deux mètres qui tapissaient le fond du gouffre, faisant tout disparaître dans un bouillonnement assourdissant.« 

« Caitlin » – Arnaud Nihoul – Genèse édition

Lecture

Marées – Sara Freeman

L’histoire d’une fuite, d’une solitude, d’un anonymat. Suite à un drame, Mara se retrouve dans une ville inconnue, comme au hasard, et vit au jour le jour. Un roman construit en une mosaïque de textes courts, d’impressions qui, se succédant, apportent quelques éclaircissements sur le passé et les pensées de l’héroïne.

« Quand elle était enfant, elle aimait les histoires de transformation, de rédemption, de réinvention façon Pygmalion. Dans ces histoires, une fois le nouveau moi façonné, l’ancien est vaincu, il ne traîne plus dans les parages à longueur de temps en menaçant de revenir dans chaque geste, dans chaque rêve, dans chaque lapsus.