Récits

Persécution

As-tu déjà passé cinq jours d’affilée avec un enfant de moins de trois ans, Gary ?
Cela ressemble à s’y méprendre à la fameuse phrase Carambar : « Préfèrerais-tu avoir des sourcils en frites ou être suivi même dans les toilettes par vingt-huit canetons enragés ? », sauf que tu remplaces les vingt-huit canetons enragés par un enfant blond et crollé qui répète « Tataaa » à longueur de journée.
Je suis habituée. Elle me persécute de la sorte depuis qu’elle est en âge de se déplacer et d’émettre ce doux nom de Tata. Mais je pense bien que c’est la première fois que je passe cinq jours d’affilée avec elle.
Ce n’est pas une mince affaire.
A croire qu’elle est bionique ou envoyée depuis l’espace afin de détruire notre planète, s’attaquant en premier aux plus faibles d’entre nous. C’est comme les animaux : ils sentent que je suis incapable de leur dire non, alors ils me grimpent littéralement dessus, me réduisant à l’état d’esclave.
Le Pimousse me suit absolument partout en me racontant sa vie ou en me demandant des choses : Tataaa… tu parles à Bébé ? (Veux-tu bien faire parler Bébé ?) Tataaaa… quelle glace à quoi tu prends ? Tataaa… tu joues avec moi ?
Parfois, je la soupçonne de m’interpeller juste pour le plaisir de prononcer mon nom.

  • Tata…
  • Quoi ?
  • Rien, Tata.

Elle est étrange, cette petite. Limite inquiétante, parfois.
Hier, par exemple, je l’observais alors qu’elle était en train de jouer avec Bébé-Petit. Elle le tenait dans ses bras quand soudain, je la vois jeter le poupon dans l’escalier. Il dévale les marches et échoue violemment tête contre sol en contrebas.
« Oooh, pauvre bébé. Il a mal » s’étonne Hannah. Elle fait semblant de pleurer, puis le rassure. : Je vais te soigner, mon chéri.

Quelques jours auparavant, elle lui avait tendu les bras au milieu des bégonias qui regorgeaient d’abeilles en disant : « Pauvre Bébé, il va se faire piquer, peut-être » Et en effet, cela n’a pas manqué, Bébé-Petit s’est mis à pleurer sous les piqures de guêpes avant de se faire soigner par Hannah à coup de désinfectant et de pansements.

  • Il faudrait peut-être avertir les services sociaux, me dit Célia. Car il parait que les enfants procèdent par imitation de leur entourage.
  • Je crois qu’elle a le Syndrome de Munchausen perpétré. Ce fameux syndrome où la mère rend volontairement son enfant malade afin de le soigner ensuite et le garder sous son joug.

Une autre fois, elle négocie ferme avec sa mère une demande de jouer avec Bébé Fraises dans les escaliers. Caro lui répondant non sans relâche, elle la menace, en levant les mains en l’air et prenant un air désolé :

  • Alors tu n’auras plus d’enfant.
  • Non mais je rêve ou elle est en train de m’avertir que si je ne la laisse pas jouer dans les escaliers elle va se casser pour toujours !!! s’écrie ma soeur, scandalisée par tant d’audace.
  • Je pense bien que c’est ce qu’elle est en train de te dire en substance, reconnait Célia.

Moi je dis que ça promet des lendemains qui chantent.

Récits

Glaces

Bébinou fait une légère obsession pour les glaces. Toute la sainte journée, elle ne parle que de cela, se préparant à l’avance au moment où nous les dégusterons.

Elle commence son tour d’inspection dès le matin, au saut du lit, alors qu’on se rassemble toutes sur le lit de Caro afin de lui souhaiter la belle journée en la bombardant d’oreillers.

  • Quelle glace à quoi tu prends, maman ? 
  • Pistache chocolat, ma chérie.
  • D’accord. Et toi, Maname ? Quelle glace à quoi tu prends ?
  • Melon chocolat, lui répond marraine.
  • D’accord. Melon chocolat
  • Et toi, Tata ? Quelle glace à quoi tu prends ?
  • Je ne sais pas encore, ose-je affirmer.
  • Tataaaa ! … Quelle glace à quoi tu prends ?
  • Ketchup choucroute.
  • D’accord. Pochok choucroute.
    Je sens que mon humour est encore en cours d’acquisition, pas encore totalement assimilé ou compréhensible pour un enfant en si bas âge.

Ensuite, elle se met en jambe en en préparant quelques unes faites maison sur la plage. Des glaces au varech. Pour ce faire, il faut aller chercher de l’eau de mer dans un seau et le déverser dans le sable chaud. Puis malaxer le tout afin d’obtenir une pâte homogène qu’il faut tasser dans des petits moules en plastique. On démoule le tout, et hop, on obtient un petit pâté de sable extrêmement appétissant. On termine par une garniture faite d’une pincée de sable fin, une décoration en coquillages sur le dessus et il ne reste plus qu’à les déguster. Au cours de la préparation, Hannah ne manque pas de demander à chacune ce qu’elle prendra.

  • Quelle glace à quoi tu prends, maman ? 
  • Pistache chocolat
  • D’accord. Et toi, Maname ? quelle glace à quoi tu prends ?
  • Melon chocolat
  • D’accord. Melon chocolat
  • Et toi ? demande Caro.
  • Hannah, elle prend framboises banamme. Et toi, Tata ? Quelle glace à quoi tu prends ?
  • Tiramisu crevettes.

Tu te doutes ; connaissant l’apôtre que le questionnaire ne s’arrête pas là. Il faut également décider de ce que prendront Mimi, Tata Adi, Petite Tata, Nana, Dada, Boubou, Agé, Tonton Dieudo et toute la sainte smala, et ce, bien évidemment, plusieurs fois de suite, jusqu’à épuisement des troupes adultes qui décident de tirer un trait sur cette énumération en roulant les serviettes et décrétant qu’il est temps de lever le camp.

Tout cet entraînement nous prépare au moment fatidique, tant attendu ; celui où on les mange vraiment, sur le coup de seize heures. On s’installe en terrasse, dans un recoin ombragé, et nous passons commande. Melon chocolat pour marraine, chocolat pistache pour maman, citron cassis pour Tata, framboises pour le Pimousse, ravie de faire enfin un sort à sa boule, mais qui, en cours de dégustation, n’hésite pas à tout de même s’enquérir de ceci : « Quelle glace à quoi elle prend, mimi ? »

Je sens que ces cinq journées risquent de s’étirer en longueur.

Récits

Memory

22 octobre 2021. J’ai gardé Hannah. Au début, tout se passait vraiment bien. On était calmes et sereines. En accord parfait. Une vraie photo pour catalogue Catimini. On a donné un bain imaginaire à sa poupée, nommée sobrement “Bébé”. J’ai posé Bébé dans sa petite baignoire rose. J’ai dévissé les bouteilles miniatures de shampoing. Puis j’ai proposé que Bébé puisse s’amuser avec des jouets dans son bain. “Oui” a approuvé Hannah, en jetant dans la baignoire un chien en plastique, un petit bébé brun et un petit bébé blond. J’ai suggéré que le cochon puisse lui aussi aller dans le bain, après s’être roulé dans la boue, mais Hannah n’a pas approuvé. Elle s’est saisie du cochon, a dit “Non, Tata” et a lancé le pauvre malheureux a l’autre bout de l’appartement. Très rapidement, j’ai pris conscience que ma nièce ne laisserait que peu de place à mon imagination débordante et à mes initiatives. Les trois personnages devaient être posés sur le rebord de la baignoire dans un ordre très strict et si Chien se posait à gauche au lieu d’être au centre, il se faisait sévèrement recadrer (“Non, Chien”). Après avoir fait ces gestes vingt-trois fois de suite, je me suis sentie un peu lasse. Alors j’ai appliqué une technique utilisée par les plus grands pédagogues de ce monde : la diversion. Je me suis emparée d’une boîte contenant un memory et j’ai proposé que l’on y joue, parce que, d’après moi, Bébé était maintenant propre comme un sou neuf après ses 23 bains. Ma manœuvre a semblé fonctionner. Je ne suis pas inconsciente. Je sais que ma nièce est trop jeune pour faire un memory, mais je comptais lui en proposer une version simplifiée. Je me suis mise à étaler les cartes sur le plancher, face illustrée sur le dessus, selon un quadrillage très minutieux afin de lui faciliter la visibilité du jeu. Je pensais lui demander de trouver le double de ceux que je lui laisserais dans son escarcelle. Au bout de trois secondes à peine, elle m’a fait comprendre qu’elle n’entendait pas partager avec moi ce moment d’apprentissage. D’un geste brusque, elle a balayé mon installation et s’est couchée dessus, sur le ventre, en agitant les bras tel un nageur en s’écriant “Mimi, Mimi!”, mimant de façon assez bluffante sa mamy qui, chaque jour, obéit à son programme d’immersion en eau froide en se plongeant dans la piscine glacée. Elle a littéralement brassé les cartes que je m’appliquais à poser, m’obligeant à revoir ma pédagogie. Désoeuvrée, mécomprise, j’ai vidé le reste de la boîte de cartes sur son dos, pour son plus grand bonheur, et le jeu est devenu un peu plus proche d’une installation d’art contemporain. Bien entendu, j’ai dû recommencer la manœuvre un nombre incalculable de fois puis, voyant tout à coup que quelques cartes étaient restées dans le four de sa nouvelle cuisinière (on en avait mis quelques-unes à cuire), je les ai prises et les ai ajoutées elles aussi sur son dos. Malheur ! Apparemment c’était la chose à ne pas faire, ces cartes devaient rester dans le four, et ça a mis Hannah d’humeur chafouin, elle s’est levée d’un geste brusque, les cartes sont tombées dans un petit bruit sur le sol, et elle est partie s’asseoir derrière la poubelle où elle a boudé un petit moment, insensible à ma promesse de remettre les cartes au four. Parfois, Gary, lorsqu’on s’occupe d’un bébé de deux ans, on est amené à vivre des journées plus qu’étranges. Un rien surréalistes, je dirais même.

Récits

Mathilde est revenue

03 octobre 2021. Mathilde est revenue. Ma plus jeune sœur. Celle qui vit à Val d’Isère.

Avec Caro et Hannah, on est allées la chercher à la gare. Comme Hannah a peur de sa tata qu’elle voit moins souvent que les deux autres et qu’elle a l’habitude de se mettre à hurler quand elle la voit, je l’ai prévenue : “N’oublie pas que Petite Tata a la peau très bronzée, qu’elle a des très longs cheveux de hippie et des looongs bras et des looongues mains et des looongues jambes”. Mon avertissement a eu l’air de porter ses fruits parce qu’Hannah a certes un peu crié en voyant débarquer sa beatnik de tante, mais elle était surtout trop impatiente de lui montrer qu’elle n’avait pas oublié leur cri de ralliement, à savoir l’imitation d’un lion qui crie et lacère l’air de ses pattes. 

On est arrivées à la maison. Mère a serré très fort sa fille chérie dans ses bras puis, dès qu’elle a eu jeté ses immenses sacs sur le sol, Mathilde a balayé la pièce du regard et s’est exclamée : “J’AI FAIM”. J’ai dit : “Le criquet ravageur est de retour. Planquez vos provisions” et Adèle a dit à sa sœur : “Si tu veux, je t’ai acheté des sandwichs mous”. “Oh trop cool !!!” a répondu Mathilde, ravie. Mais Mère, qui tente encore d’œuvrer à parfaire l’éducation de ses nombreuses filles malgré leur âge adulte parfois très avancé, a décrété : “Mais enfin, Mathilde. On va passer à table. Ne mange pas tes sandwichs maintenant, tu n’auras plus faim”, et Mathilde a dû ronger son frein. Nous, on a eu très peur qu’elle mute, la faim la rendant passablement agressive et invivable, alors on a détourné son attention en expliquant à Hannah : “Tu sais, ta Petite Tata adore les sandwichs mous. Et avant de les mettre en bouche, tu sais ce qu’elle fait ? Elle les raplatit avec sa graaande paume. Comme ça”. Et on a imité la manœuvre culinaire de Mathilde qui consiste à raplatir ses sandwichs. Je sais, Gary. C’est à se demander comment cette fille travaille dans de grands restaurants étoilés. Hannah a bien aimé notre démonstration, alors elle a aplati des sandwichs imaginaires pendant un petit moment en riant très fort.

Ensuite, Hannah a montré à sa Petite Tata les marrons qu’elle avait récolté chez son Papy et Petite Tata a eu l’idée géniale d’initier une partie de bowling-marrons dans le salon. Mais comme le lancer d’Hannah est encore approximatif, le bowling s’est assez rapidement transformé en machine lanceuse de balles de tennis, mais qui lancerait des balles magiques. Les marrons ont jonché le sol et j’ai essayé de faire très attention à où je posais les pieds car avec mon bol légendaire, j’allais encore parvenir à rouler sur l’un d’eux et me briser la colonne. 

Hannah a pris soin d’expliquer dans les moindres détails en quoi consiste son nouveau jeu. “Tu vois, Tata, je m’empare d’une petite casserole de dinette et je dépose un œuf en plastique dedans. Ensuite je ferme le couvercle de la casserole, je secoue très fort la casserole puis je l’ouvre. Là, il faut s’exclamer : “Miaaaaam !!!” et prendre l’œuf. Ensuite il faut faire semblant de manger l’œuf, puis il faut faire semblant de se brûler et déclarer : “Il est encore chaud”. Le mieux étant de répéter l’opération cinquante-deux fois”. Apparemment, Petite Tata n’a pas compris tout le règlement. Elle a imité une radio qui crachote et, avec son doigt-antenne, elle nous a fait comprendre qu’il faudrait rapidement l’initier au langage complexe de sa nièce parce qu’apparemment, elle a juste capté : “Ana a Mh. A oh. Ah Tata. Oh miaaaam. Oh ! Ako chau”.

Récits

Smog spirit

11 septembre 2021 – Je vais mieux, c’est indéniable. Je retrouve de ma superbe. Mais certains jours, ce que les médecins dénomment le “brouillard cérébral” reste épais. Une véritable purée de pois. Hier, par exemple, c’était carrément le smog londonien. 

D’abord, après de nombreuses circonvolutions et de fameuses angoisses métaphysiques à propos de mon système immunitaire déficient, j’ai décidé de me faire vacciner contre la Covid 19. On dit bien la Covid, même si ça sonne vilain aux tympans. J’avais rendez-vous au matin et bien-sûr, alors que c’était ma seule obligation depuis des mois, j’ai oublié de m’y rendre. “Tu n’as pas reçu un rappel ?”, m’a demandé Mère. Si, mais j’ai oublié malgré tout. Ne me demande pas comment je fais, c’est hors catégorie. Smog londonien, te dis-je. J’ai donc supprimé mon rendez-vous et heureusement, il restait une plage horaire de deux minutes disponible le jour-même. Seulement, une suppression de rendez-vous pour la première dose supprime automatiquement la seconde et ça a été un sacré bordel de s’y retrouver dans mon mich-mach organisationnel. La femme dans l’aubette ne me retrouvait pas, elle confondait ma date d’anniversaire avec la date du jour et c’est à peine si elle ne m’a pas demandé si je m’appelais bien Jean-Claude de la Sarriette. “On ne retrouve plus votre identité”, a-t-elle dit en substance. Mais j’extrapole peut-être un peu

Pour y aller, je ne reconnaissais plus le chemin. Les routes se mélangeaient dans mon esprit. Comme si la nuit toutes les routes qui partent du rond-point s’intervertissaient parfois pour le seul plaisir de me jouer un vilain tour. Alors je me suis arrêtée sur le bas-côté, là où Hannah avait vomi il y a quelques jours à peine et j’ai appelé Mère pour qu’elle me confirme que je devais bien prendre le deuxième embranchement. Mère m’a répondu gentiment, sans me demander si j’étais devenue dingotte (c’est un rond-point proche de chez moi que j’emprunte régulièrement depuis ma plus tendre enfance), mais je pressens que c’est parce que, quand je vois venir la confusion mentale et que je deviens proactive (je m’arrête et je demande), c’est une attitude qu’elle encourage. C’est peut-être un peu maboule de perdre des repères qui sont proches de chez moi mais c’est mieux que de foncer tête baissée et d’arriver à Paris-Roissy en panique. 

Ensuite, comme tous les vendredis, Adèle et moi sommes allées chez Caro. Hannah a découvert les joies des dessins animés, ceux de Tchoupi en particulier et elle les réclame en chantonnant “Tap tap tap”. “Je croyais que les écrans étaient interdits avant trois ans”, ai-je dit à ma sœur. Elle m’a répondu : “Tu joueras ta Françoise Dolto le jour où tu te seras reproduite. En attendant, assieds-toi sur le canapé, ferme-la et regarde Tchoupi”. 

As-tu déjà regardé un épisode de Tchoupi, mon bon Gary ?

Quand je donnais mes formations “Lecture et petite enfance”, je n’arrêtais pas de répéter à qui voulait bien l’entendre que Tchoupi était le Mal incarné, un fléau contre lequel il faut se battre, ne pas fléchir et continuer la lutte, mais alors, en dessin animé… 
Eh bien, cela s’apparente à sept minutes de lobotomie. Un peu comme cette scène dans “Dragon rouge”, quand Hannibal Lecter fait bouffer à sa victime son propre cervelet et qu’il le fait revenir dans du beurre. Le graphisme est laid, il y a une petite métisse qui a des cheveux en une matière qui donne envie de rendre ton petit déjeuner, et ça raconte la vie de pingouins aux voix nasillardes qui font des choses intéressantes au possible. “Ce sont des enfants qui vont à l’école, quoi”, se défend ma soeur. Dans l’épisode que j’ai regardé, Madame Sibylle leur demande de coller une queue d’animal auprès de l’animal qui s’y rapporte. J’étais scandalisée pour eux. “Mais c’est hyper compliqué !!! ai-je dit. C’est quoi cette école de Tchoupi ?! C’est une école pour HP, ou quoi ?!!! Ils sont censés avoir trois ans, ces gosses ! On sait faire ça à trois ans, peut-être ? Même moi, je n’y parviendrais pas”, me suis-je écriée. “Oui, mais toi, tu es teubé”, m’a dit Adèle avec la placidité qui la caractérise. 

Enfin, on a mis le Bébé au lit et, comme tous les vendredis, on a mangé thaï en regardant une affliction sur Netflix. C’était une daube. Une jeune fille mourait subitement en s’éclatant la tête contre des latrines (pire encore que de périr à cause d’un américain avarié) et elle avait le droit d’entrer au paradis seulement si elle parvenait à régler les problèmes de ses proches qui figuraient sur une petite liste. Je n’ai pas arrêté de pleurer, c’était trop métaphysique pour moi, dès qu’il est question de la mort je me mets à braire comme un veau. 
A la fin du film, sans vouloir te spoiler, elle a pu se rendre au paradis, et ça m’a sacrément estomaquée. J’ai dit : “Mais elle ne va plus pouvoir voir sa famille, alors???!” et Caro m’a dit brutalement : “Tu sais, c’est le principe même de la mort”, alors j’ai pleuré de plus belle. 
Et au bout d’une heure et demie de film j’ai demandé à mes soeurs : “C’est quoi, cette histoire de liste, au juste?”, et elles m’ont regardé avec des yeux de merlan frit, elles ont dit “Tu sais que c’est le fil rouge de l’histoire et que c’est un film de pipiches ? C’est pas non plus un David Lynch, hein”. Quand le film a été terminé, Adèle a dit à Caro : “On y va. Je ramène Natha à la maison. Elle doit aller se coucher, elle a eu une rude journée. Une journée de smog londonien. T’inquiète, c’est moi qui conduis”.

Récits

27 août 2021 – Je crois qu’Hannah fait une obsession pour son nouveau casque de vélo. A moins qu’elle ne préfère le confort d’une vie où elle ne se prend pas chaque jour les coins de la table en pleine tête, je ne sais pas. Mais elle a décrété que moi aussi je devais me protéger le crâne. ça ne me plait pas forcément. Disons qu’il fait chaud, là-dessous, et que ce n’est pas fort seyant. En plus, on ne peut pas avoir les cheveux attachés, alors je dois me défaire le chignon et ça me donne un air négligé. Enfin, je dis ça, mais vu que ça fait neuf mois que je traîne en pyjama à la maison, je ne devrais pas être inquiétée par la brigade de la mode. Ensuite, je ne sais pas ce qui s’est passé exactement. Tout est allé très vite. En deux temps trois mouvements je me suis retrouvée à quatre pattes dans le salon, le cul coincé entre deux canapés, essayant de m’en extraire en rampant. “Tata ! Dodo!”, criait une petite tête blonde, m’enjoignant à “construire la cabane à dodo”. Hissée debout sur le canapé, ayant auparavant pris soin de s’extirper de tous ses vêtements, hormis le fameux casque, elle bondissait en l’air, risquant de chavirer en contrebas, dans le chantier que je lui créais. Puis Adèle est entrée dans le salon pour se servir une tasse de café et elle m’a regardée. J’étais là, allongée sur des coussins, coincée entre les deux canapés, en pyjama, casque de vélo sur la tête et elle a dit, en touillant dans sa tasse : “Tu sais, Natha. Tu n’es pas obligée de faire tout ce qu’elle te dit”.

Récits

Love on the beach

Ce week-end, on s’en va respirer l’air du grand large. C’est escapade en famille à la mer du Nord. Il faut que Bébé découvre de nouveaux horizons, et sa Grande Tata aussi. On charge la voiture, et quand elle est pleine comme un œuf, on embarque toute la clique et on démarre. “On the road again !!! ” me mets-je à crier, pleine d’allant, coincée contre la portière arrière par un immense sac rempli de pelles et de seaux. Pendant ce temps, Hannah s’occupe sagement avec un livre que je lui tends, une aventure de Petit Ours brun. A peine arrive-t-on à hauteur de Fosse-la-Ville qu’elle se met à vomir, comme ça, sans crier gare. “Stooooop”, que je dis. “Alerte au vomi!”. Caro pile sec et arrête la voiture sur le bas-côté. Les portières de devant s’ouvrent en grand et Caro et maman sortent de la voiture en hâte afin d’extraire l’enfant de son siège. Moi, je suis coincée par la sécurité. Il y a du vomi partout, surtout sur Doudou. Hannah pleure à chaudes larmes “Doudouou doudouou”. Je l’avais pourtant prévenue que Petit Ours brun, c’est à gerber. Mère et Caro s’agitent. Parent au plus urgent. Connaissent les gestes qui sauvent. Elles changent les vêtements d’Hannah, arrosent Doudou avec l’eau de la gourde, décident de le faire sécher sur la plage arrière. Pendant ce temps, j’envoie un sms à Adèle. “A peine démarrées de dix minutes que Bébé a fait un grande gerbe dans la bagnole”. On redémarre dans cette charmante odeur de lait caillé. Les vacances commencent bien.

Après une halte pénible sur une aire d’autoroute, nous arrivons enfin à la mer. Une station où de vieux pensionnés en polo Burberry déambulent fièrement au bras de momies oranges, fripées par une trop grande exposition aux UV, en bikini blanc et cheveux péroxidés, se prenant toujours pour des jeunes filles, mais peu importe, c’est calme, c’est joli et l’enfant a repéré qu’on ne l’a pas arnaquée, il s’agit bien d’une étendue d’eau à perte de vue, précédée d’un bac à sable tout aussi gigantesque.

On étend nos serviettes. Mère dit : “C’est infernal, il y a du sable partout. En fait je déteste la mer”. Hannah n’est pas du même avis. Elle veut découvrir au plus vite cette attraction. Elle arrache ses chaussures d’un geste un peu violent et s’encourt au-devant. Je lui tiens la main pendant qu’elle apprivoise la sensation de ses orteils dans l’eau froide. Elle rit. Visiblement, elle ne se contentera pas de n’y mettre que les pieds. Elle me montre le signe “nager”, puis celui de l’eau, puis déclare “Hannah” et hoche la tête en signe d’approbation. “Non, Hannah, tu ne vas pas nager”, lui explique sa tata. “L’eau est trop froide”. Mais des avertissements de Tata, Hannah n’a cure et c’est alors qu’elle se met à plier les genoux de façon étrange en faisant slalomer tout son corps tout en levant les bras au ciel, exactement comme  Iggy Pop quand il va se jeter dans  une foule en délire. Je suis seule avec elle alors je prends une décision adulte, je lui retire ses vêtements pour les sauver de l’immersion, sentant venir la douille. J’essaye tant bien que mal de retenir le bébé qui se jette à corps perdu dans les vagues en hurlant quelque chose. Welcome San Francisco, je suppose. Elle se débat un peu, elle ne veut pas que Grande `Tata la tienne, elle veut hurler cul nul dans les vagues et  ne faire qu’un avec l’océan. Elle veut faire son Woodstock à elle et la situation commence à dérailler sensiblement. Apparemment, c’est aussi l’avis de ma sœur car elle apparaît soudain au bord du rivage, aide salutaire qui donne un ordre clair : “Maintenant Hannah tu sors de l’eau et tu remets tes vêtements”. Caro emporte sa fille, qui claque des dents enroulée dans sa serviette tel un burrito. 

On découvre notre appartement. Caro et maman vont faire quelques courses pour le repas : “Tu restes avec Hannah”, me disent-elles. Hannah repère une petite table basse qui s’ouvre et dans laquelle se trouvent des plaids enroulés. Elle ouvre la table basse, la vide de ses plaids. Puis elle entre dans la table basse, se contorsionne pour s’y installer. Je remets les plaids sur ses genoux puis, quand je veux refermer la table, je lui explique qu’elle doit baisser sa tête un peu plus, pour que je puisse refermer le couvercle. Elle a pigé. Je l’enferme dans la table. Elle rigole. Elle ressort. Elle veut recommencer. Une fois, deux fois, 52 fois. Caro et maman reviennent des courses. “Tu n’as pas plus stupide, comme jeu?” me demande ma sœur en nous observant. Je ne prends pas la mouche pour autant. Je pressens que même Maria Montessori a dû par moment se heurter aux nombreux doutes de ses congénères. 

Mère et moi, privées d’eau chaude depuis six semaines, nous précipitons sous la douche. Quand on en ressort, on sent le sable qui crisse sur le sol. Mère déclare : “Je déteste la mer. On ne reviendra plus jamais”. 

C’est l’heure d’aller se coucher. Hannah dormira avec sa maman sur un gros matelas posé à même le sol. Cette nouveauté, combinée au bon air de la mer, la met en joie. Un peu trop peut-être. Il semblerait qu’elle ait décidé de ne pas dormir. Régulièrement, une petite tête crollée passe dans l’embrasure de la porte et dit : “Coucou!” en se bidonnant. Ca fait un peu moins rire Caro qui essaye de la convaincre de dormir avec un tas de techniques à sa portée : la compréhension, la menace, tout y passe, sans succès.  “Ça doit être l’iode”, explique Mère. “Il parait que ça a un effet énergisant sur certains enfants. L’iode stimule une glotte”. Je dis : « C’est vrai qu’elle a la glotte bien stimulée” et Hannah apparaît à nouveau dans le salon en courant à quatre pattes en imitant un chien qui halète.  “Quand Adèle était petite, a continué maman, ça lui avait fait le même effet et on a carrément dû écourter notre séjour tellement elle était infernale”. Ma soeur blêmit.  “Et c’est maintenant que tu me le dis?”“Je pensais que tu le savais”. Elle s’affale dans le canapé, qui se déplie encore plus car elle a par inadvertance poussé sur un mécanisme et elle conclut : “On ne viendra plus jamais à la mer. Regardez, ma fille ressemble à une échappée de l’asile ». Et de fait, son bébé déambule avec une démarche étrange dans le salon, sa tétine dans la bouche, Doudou en bandoulière et lève la tête vers le plafond en riant à gorge déployée. “Je n’ai pas l’impression qu’elle soit en passée en phase trois”, dis-je à Caro qui m’a enseigné les rudiments des techniques d’animateurs scouts : phase un on excite, phase deux on maintient la bonne ambiance, phase trois retour vers le calme. Je ne sais pas comment elle compte s’en sortir, mais moi, je commence à être fatiguée. Probablement que l’air de la mer m’a assommée. Je rejoins mon canapé-lit. En fond sonore, j’entends Caro qui entame sa phase trois, le fameux “Colchique dans les prés” que Mère nous a toujours chanté en berceuse et qui me donne envie de me tirer une balle dans la tête. Je me cache sous les coussins. Vers 23h30, quand Caro a épuisé tout son répertoire et qu’elle doit entamer la méthode forte : entonner les chants gauchistes, je n’y tiens plus et je m’endors comme une masse, Georges Moustaki ayant raison de moi.  

Récits

A bicyclette

Mère a dit : “Je vais ramener Hannah chez elle. J’y vais à vélo”. Elle m’a proposé de venir avec elle. Hannah a frappé plusieurs fois sur sa tête, pour nous montrer qu’elle n’oublierait pas de mettre son casque. Je me suis dit que ça me ferait du bien, de me remettre en selle. Je prendrais le vélo d’Adèle, ça rendrait la promenade plus agréable : il est électrique.

L’été passé j’avais un peu roulé avec mais je ne l’aimais pas, je suis revenue en le jetant par terre, déclarant qu’il était fichu, certainement encore une vieille ferraille de chez Aldi qui méritait de finir à la casse. J’avais voulu monter la rue juste à gauche de la maison, une longue côte abrupte et pénible et le moteur électrique m’avait carrément laissée en rade, je devais lutter contre la gravité et le poids du vélo, ce qui avait rendu l’exercice encore plus pénible que lorsque je prenais mon vélo normal. Mais Adèle l’a essayé cet été, m’a dit qu’il allait très bien, que j’avais peut-être eu un problème technique ce jour-là, va savoir. Alors c’est confiante que je lui ai emprunté son vélo ; elle m’a juste prévenu d’économiser la batterie parce qu’elle arrivait à la fin.

A l’aller, la route descend jusqu’au halage, puis c’est du plat tout le long. N’empêche que je suis arrivée chez Caro suant sang et eau, dégoulinante, rouge comme une pivoine. Déjà à la base j’ai tendance à suer fortement. Je tiens ça de mon père. Mais en ce moment, c’est pire encore, à cause du traitement. Il parait que c’est bon signe, je détoxine. “Hypersudation”, que les spécialistes appellent ça. Moi je dis : “goret dégoulinant”. Maman s’est beaucoup moquée de moi. Elle s’écriait : “Mais la route était plate ! Comment est-ce possible d’être dans cet état !”. “Je crois que j’ai un peu forcé sur la pédale”, lui ai-je dit. “Il y avait longtemps que je n’avais plus fait de sport, j’ai le cuissot brûlant”. Apparemment c’était anormal d’être si éprouvée après si peu de temps, mais je suis malade, me disais-je en mon for intérieur.

Après, il y a eu le retour. Toute route qui descend finit un jour par remonter, mais je me disais : “qu’est-ce que je m’en fiche, je suis sur un vélo électrique”. Au début il y avait cette sensation agréable, celle que j’éprouvais quand Jean-Chri avait pitié de moi et qu’il me poussait dans le dos. Une main tendue qui vous propulse au sommet, une aide bienvenue. Puis l’écart entre moi et Mère a commencé à se creuser. Elle avait la jambe légère pendant que je luttais péniblement contre la gravité des montagnes. “Mets ta batterie à fond” me criait-elle au loin. Ma batterie était à fond. Moi aussi. C’était trop difficile, alors j’ai mis pied à terre et j’ai poussé cette fichue bécane, soufflant comme un buffle. Maman a dit : “Je t’attends en haut”. J’ai croisé une vieille dame qui promenait son chien. Je les ai salués et je suis remontée sur mon vélo. La route continuait à monter inexorablement et de plus en plus fort. Je forçais. Je donnais tout ce que j’avais. La vieille dame m’a rattrapée alors que j’étais à vélo et elle à pied, et qu’elle avait au moins cent ans.

Je n’y arrivais plus, alors j’ai à nouveau poussé mon vélo à côté de moi. Mère était devenue un petit point au loin. Immobile, elle scrutait l’horizon, assise sur un ballot de paille. La route semblait infinie. J’entendais mon cœur battre à se décrocher de ma cage thoracique. Mon souffle ressemblait au râle du morse de Pairi Daiza, celui que Hannah adore imiter. Quand je suis arrivée à sa hauteur, Mère, loin de compatir à ma souffrance, s’est mise à s’énerver. “Mais enfin Natha ! Comment est-ce possible d’être aussi lente alors que c’est un vélo électrique!” “Je ne sais pas, moi ! Mais je n’arrête pas de vous dire de partir faire du vélo sans moi parce que je vais vous ralentir et vous me dites que ce n’est pas vrai mais tu vois bien que je n’ai aucune condition physique !”. “A ce point-là ça ne se peut pas” “Alors c’est que ce fichu vélo a un souci, je n’arrête pas de le dire à Adèle”. “Et tu as changé ton plateau, au moins, dans la montée?”.

Que veux-tu que je te dise, Gary ? Que j’ignorais qu’il y avait différents plateaux sur ce vélo ? Il parait que ça fait cent ans que tous les vélos ont au moins trois vitesses.

Mais moi, si on ne me dit rien, je ne peux pas le deviner.

Récits

Les bulgares

Quand il fait beau et que le soleil brille, Adèle aime bien donner des bains sauvages à Hannah. Elle remplit son coquillage en plastique d’eau tiède et la lave dans le jardin. C’est bucolique. Il y a des bulles de savon qui s’envolent, des petites coccinelles viennent s’abreuver et Hannah peut balancer autant d’eau qu’elle veut dans la pelouse. Mais hier, voilà que j’aperçois Adèle qui emporte la coquille bleue et la rentre dans la cuisine. Intriguée par son grand déménagement, je lui demande ce qu’elle fabrique, et elle me répond qu’elle va donner le bain du Pimousse dans la cuisine parce qu’il fait trop froid dehors et qu’elle a la flemme de monter des casseroles d’eau chaude jusqu’à la baignoire. (Nous n’avons plus d’eau chaude depuis que la cuve à mazout a été inondée).

Tu sais, Gary, j’ai grandi dans une famille un rien bohème alors je ne suis pas du genre à me formaliser pour si peu. J’ai quand-même rappelé que cet enfant avait une salle de bains chez elle et qu’elle pouvait très bien s’y rendre, mais ma proposition a semblé incongrue, tant à Adèle qu’à Caro qui ont levé les yeux au ciel. Quoi de plus normal que de donner son bain à un enfant dans un coquillage en plastique au milieu d’une cuisine ?

Stanislas était très intéressée par ce qui se déroulait, alors elle est venue boire l’eau du bain. Pour parfaire cette impression de manouche-attitude qui ne nous quitte plus, des tas de vêtements et de jouets jonchaient le sol, et Happy était étendu au milieu du capharnaüm.

Là où ça a commencé à partir un peu en sucette, c’est quand Mère est rentrée du potager et qu’elle s’est exclamée : “Oh génial ! Une baignoire ! Laissez l’eau, j’irai après Hannah”. Caro a dit : “Euh, maman… Tu vas te laver dans la coquille ?!”. Je crois qu’elle n’était pas certaine d’avoir bien compris. “Mais oui !”, s’est exclamée maman en ajoutant, assez choquée : “C’est de l’eau chaude!!!”. Caro, elle, a de l’eau chaude qui sort de ses robinets et comme la plupart des personnes privilégiées, elle ne se rend même plus compte de la chance qu’elle a.

Immédiatement, Mère a commencé à retirer son short, l’envoyant valser sur les autres vêtements éparpillés et Caro a crié : Mais maman !!! Tu vas te laver là au milieu de la cuisine?! Devant nous?!” “Mais comment veux-tu que je fasse d’autre, ma chérie ?” “Je ne sais pas, moi ! Et en plus, mes pâtes sont en train de cuire et elles sont bientôt prêtes, je dois les sortir de la casserole” a précisé ma soeur. “Mais qu’est-ce que ça change ?” a demandé Mère.”Je ne sais pas, moi. C’est juste que ça me semble bizarre d’aller touiller dans mes pâtes à côté de ma mère qui se lave dans un coquillage”, a dit Caro. “Oh, ce que tu peux être classique, quand tu veux”, a dit Mère. Et ensuite elle a demandé à Caro : Tu crois que je pourrais récupérer l’eau chaude de tes pâtes ? Le bain de la petite a un peu refroidi”.

Caro a mis sa tête entre ses deux mains, d’un geste las, et elle a dit : “Et après on s’étonne que les amis de Jean-Chri nous surnommaient “les bulgares”.

Récits

Pairi Daïza

Aujourd’hui, tout comme les rivières des environs, je suis sortie de mon lit. (Première fois en sept mois/je veux bien une médaille/tu vois que je retrouve de ma superbe).

Je me suis rendue à Pairi Daïza avec Caro et Célia, deux éminentes spécialistes animalières.

Caro nous a annoncé d’emblée: “Moi, s’il y a un bien un truc qui m’emmerde sur Terre, ce sont les animaux”. Ça foutait bien l’ambiance. C’est vrai que ma sœur est loin d’être une Brigitte Bardot. Les chiens l’indifférent, elle a la hantise des chauve-souris, elle a pris les renardeaux qui sont en poster chez le médecin pour des oursons, et j’en passe. Mais elle tient tout de même à faire découvrir à sa fille la grande diversité de la faune mondiale, et cette visite avait la saveur des excursions de l’enfance.

Cette photo n’est pas de moi, je l’ai éhontément volée sur le net

Il faut savoir qu’en matière d’excursions, nous avons été élevées à la dure : pas de restaurant à midi mais un sandwich avec des oeufs qui ont eu chaud et un saucisson suant, pas de boisson sucrée mais une gourde d’eau tiédasse, pas de promène-couillons mais des pieds pour marcher, pas de souvenirs à la boutique mais des rêves plein la tête et des kilomètres plein les bottes. Caro a décrété à Célia : “Moi, j’ai été élevée par des sauvages. Des gens qui m’ont fait faire du camping et de la randonnée dans les montagnes alors que je rêvais de lire un bouquin dans un transat. Alors, pour ma fille, je vais me venger”. Et elle a ajouté : “On va prendre le petit train.” J’ai blêmi. De peur et d’envie. “On a le droit de prendre le petit train ?” “Oh que oui!” a-t-elle répondu. J’ai douté : “Et si quelqu’un l’apprenait? ». Elle a levé les yeux au ciel et elle a dit d’un ton ferme : “Jean-Chri, où que tu sois, regarde-nous : on va prendre le petit train.” Et elle a ajouté, en me regardant : “On va aussi aller manger des frites. Et acheter un nounours.”

C’est peut-être un peu trop d’émancipation à la fois, Gary, mais le programme me convenait. Caro, en bonne mère, a déposé une madeleine dans tous les sacs, y compris nos sacs à mains, en cas de petit creux. Célia m’a glissé : “Comment fait-elle pour penser comme ça aux autres ? Moi si j’avais des biscuits, je ne voudrais pas les donner, je les mangerais en cachette”. Je lui ai répondu qu’en toute honnêteté, moi aussi j’aurais fait pareil.

On a commencé en douceur, avec la petite ferme. Des canards verticaux se dandinaient et s’ébrouaient dans une mare. J’ai dit à Hannah : “Oh, regarde ! Ce sont des coureurs indiens!”. Caro m’a taclée. Elle m’a dit : “Tu ne peux pas dire une saloperie de canard, comme tout le monde ?”. Je crois que ma soeur est jalouse de mes connaissances animalières. On a aussi vu un truc brun avec des grands bois et une maman a dit à sa fille : “Regarde le beau cerf” et je me suis dit que si un jour elle se retrouvait nez à nez avec ça dans les forêts d’Ardennes, c’est qu’elle en a pris de la bonne. Mais soit. Tout le monde ne peut pas être aussi féru que moi.

Ensuite on est montées dans le petit train. Je crois que Mélanie m’oblige trop à regarder Jurassic park, parce que rentrer par une porte automatique sur des rails dans un parc parcouru de câbles gros comme mon poing, ça m’a un peu foutue en stress, j’avais l’impression qu’un Raptor allait surgir de derrière les bambous pour faire de moi sa madeleine du goûter. Je crois que je ne suis pas la seule à qui ça a tapé sur le système parce que ma sœur s’est penchée vers moi et m’a demandé tout bas, derrière son masque : “Dis… est-ce que les mammouths existent encore?”. J’ai fait des yeux grands comme des soucoupes puis, voyant qu’elle était sérieuse, j’ai répondu avec un ton pédagogue : “Non ma chérie, ce sont des bestioles préhistoriques ». Et elle a dit : “Ah”. Silence. “Parce que j’en vois un.” Je me suis tournée dans la direction qu’elle montrait d’un doigt tremblant et là, derrière les branchages, j’ai vu une masse brune immense. Elle a dit : “C’est peut-être une statue”. Et j’ai trouvé que cette explication était somme toute plausible, alors j’ai répondu qu’en effet, ce devait être une statue.La masse a bougé. J’ai crié : “Le mammouth a bougé !!!” et Célia a dit, toute excitée : “Il y a un mammouth?”. La voix dans l’enceinte nous a dit que c’était un éléphant et Célia a demandé : “Mais Seigneur, c’est un éléphant ou un mammouth ? Il faudrait savoir!”. On lui a dit : “Célia, ça ne peut pas être un mammouth, enfin !” “Et pourquoi donc ?” “Parce que les mammouths n’existent plus” a dit Caro avec une voix lugubre et une main qui mimait une gorge qui se tranche. “Couic, les mammouths”. Visiblement, Célia n’était pas convaincue parce qu’elle a dit : “Ah bon ? Et pourtant il y en a !” “Ah oui ? Et où ça?” “Dans l’âge de glace”. Parfois, Gary, ma famille me donne juste envie de me taper la main sur le front en soufflant.

Pour le goûter, on a fait une petite halte sur un banc. Nos madeleines ont beaucoup intéressé les canards des environs qui se sont rappliqués en gang, rendant Célia et Caro très nerveuses, l’une criant : “Dégagez, volatiles de malheur!” et l’autre se mettant debout sur le banc, comme attaquée par des crocodiles affamés. Pendant ce temps, les canards en question picoraient avec leur bec les orteils d’Hannah qui riait aux éclats.D’ailleurs, c’est la seule chose qu’elle ait retenue de Pairi Daïza, parce que dans la voiture, quand on lui a demandé si c’était bien, elle s’est montrée du doigt, a fait le signe du canard avec sa main puis a montré ses orteils.

Montrez à ma nièce des pandas roux, des hyènes, des hippopotames et tout le tintouin et elle vous parlera des canards qu’elle voit tous les jours sur le halage.