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Le chien de Madame Halberstadt – Stéphane Carlier

De Stéphane Carlier, j’avais lu « L’enterrement de Serge » avec un plaisir incroyable car j’avais découvert « un grand auteur ». Les livres de Stéphane Carlier, simples en apparence, sont en réalité de petites pépites, d’autant plus qu’ils sont à l’image de ses héros : humbles et sans prétention, craignant de ne pas laisser de fortes impressions derrière eux. Et pourtant, il nous en reste une truculence certaine ainsi que beaucoup de joie. Ses récits jouent toujours avec les clichés, mais tout en finesse, sans jamais y tomber, ce qui relève d’une grande prouesse. Et puis, surtout, on rit. On rit beaucoup, et on est émus, aussi, par ces situations cocasses dans lesquelles on est parfois jetés bien malgré nous.

Baptiste, écrivain, a connu des jours meilleurs. Son dernier roman a fait un flop, sa compagne l’a quitté pour un dentiste et, à bientôt quarante ans, il est redevenu proche de sa mère. Il passe ses journées en culotte de survêtement molletonné, à déprimer dans son studio qui sent le chou… Jusqu’à ce que Madame Halberstadt, sa voisine de palier, lui demande de garder son chien quelques jours.

« Notre prise de contact fut glaciale. J’avais autant envie de garder ce chien que de passer une coloscopie et lui ne semblait pas dans de meilleures dispositions. (…) Sa morphologie me fascinait. Ces yeux sortant légèrement de leur orbite, ce bout de langue à l’air libre, ces pattes ridicules, cette absence de cou. Il n’y avait rien de normal chez cet animal, tout en lui était trop gros ou trop petit. Sa respiration, courte et très sonore, était celle d’un être chétif, modifié, qui manquait d’oxygène. (…) On aurait dit E.T. On aurait dit une vieille dame snob à cheval sur ses principes mais profondément bonne. On aurait dit Angela Lansbury dans Arabesque ».

« Le chien de Madame Halberstadt » de Stéphane Carlier – Le Tripode

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Guérir à deux voix – Irvin Yalom et Ginny Elkin

Une fois sa rédaction terminée, j’ai fait lire mon livre « Le ver est dans la pomme » au docteur Valium. Evidemment, ça n’a pas loupé, elle est partie de certains passages de celui-ci pour alimenter ma thérapie (on ne se refait pas) et elle m’a dit que ces allers-retours lui faisaient drôlement penser à une expérience menée en son temps par le grand psychiatre Irvin Yallom. Il a demandé à l’une de ses patientes, aspirante écrivain, de lui rendre un compte-rendu écrit de chacune de leurs séances, compte-rendu que lui rendrait également de son côté. C’est donc ainsi que se présente « Guérir à deux voix » : une succession de séances racontées par l’un puis par l’autre. Cette expérience a été déterminante dans sa carrière car il s’est très rapidement rendu-compte que (selon le docteur Valium) « là où le psychiatre pense avoir exposé une grande théorie, le patient, quant à lui, a surtout retenu que le psychiatre s’est souvent curé le nez ». Un porte-à-faux à mon avis inévitable et qui fait tout le sel de « la rencontre ».

J’étais donc très emballée d’entamer ce livre, mais j’ai rapidement déchanté, jusqu’à ne pas pouvoir continuer plus loin qu’au tiers de ma lecture. Ce Irvin Yalom, dont on dit tant de bien, me semble être un gros pervers (je sais, mon opinion est très pro) qui se soucie un peu trop fort de l’impression qu’il laisse sur sa patiente et semble jouer un jeu écoeurant, vérifiant régulièrement qu’elle fantasme à mort sur lui. Beurk, débectant.

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L’homme-miroir – Lars Kepler

Cela faisait bien deux ans que je n’avais pas lu un bon polar bien dark made in « un pays sans chaleur et sans lumière ». J’avais entre autres lu la série « Dark secrets » de Hans Rosenfeldt, que je recommande mais dont les histoires, à côté de celles sorties des cerveaux torturés de Lars Kepler (association mari et femme) semblent sorties de celui d’un enfant de choeur.

Lars Kepler, c’est bien connu, ne fait pas dans la dentelle, et ce dernier tome n’échappe nullement à la règle. Who putain que c’est glauque ! C’est quoi, mon problème, à lire des trucs pareils et, en plus, à ne pas savoir le lâcher ? Je dois être une grande malade mentale, je ne vois que ça…

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Caitlin – Arnaud Nihoul

Adolescente, Caitlin débarque du jour au lendemain sur une petite île écossaise, mettant en émoi un trio d’amis formé depuis l’enfance et bousculant leur équilibre. Bien des années plus tard, elle disparait mystérieusement. S’ouvre alors une enquête implacable afin de la retrouver. Mais cette enquête, rendant chacun suspect, ne laissera pas la petite communauté indemne…

Regroupant plusieurs ingrédients parfaits (une île battue par les vents, un enquêteur revenant sur les lieux de sa jeunesse, un mystère intriguant), « Caitlin » ne faillit pas à ses promesses en dévoilant au fur et à mesure de la lecture des questions de plus en plus nombreuses, créant un suspense insoutenable. Un livre prenant au style soigné, l’auteur excellant à rendre les ambiances îliennes, faisant du lieu un personnage à part entière.

« Cette faille, c’était comme mettre la force du large en éprouvette, la faire exploser dans cette fracture chaotique. La puissance de l’océan retentissait d’être contenue entre ces deux parois abruptes, projetant ses crêtes d’écume en tous sens. Le flot claquait sur la roche, en déflagrations successives, dans un décor infernal où en venait à imaginer que l’eau pourrait vaincre le roc et l’emporter avec elle comme une plume dans le vent. Et toutes les minutes environ, une vague plus forte que les autres recouvrait les amas rocheux de deux mètres qui tapissaient le fond du gouffre, faisant tout disparaître dans un bouillonnement assourdissant.« 

« Caitlin » – Arnaud Nihoul – Genèse édition

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Marées – Sara Freeman

L’histoire d’une fuite, d’une solitude, d’un anonymat. Suite à un drame, Mara se retrouve dans une ville inconnue, comme au hasard, et vit au jour le jour. Un roman construit en une mosaïque de textes courts, d’impressions qui, se succédant, apportent quelques éclaircissements sur le passé et les pensées de l’héroïne.

« Quand elle était enfant, elle aimait les histoires de transformation, de rédemption, de réinvention façon Pygmalion. Dans ces histoires, une fois le nouveau moi façonné, l’ancien est vaincu, il ne traîne plus dans les parages à longueur de temps en menaçant de revenir dans chaque geste, dans chaque rêve, dans chaque lapsus.

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L’hiver ensorcelé de Moomin – Tove Jansson

Les Moomins sont, à coup sûr, mon premier coup de coeur littéraire, les premiers romans lus dont j’ai gardé une sensation intacte.

Quel bonheur que de les re-re-redécouvrir grâce à ce magnifique travail de réédition au Lézard noir. (ICI)

L’univers de Tove Jansson est absolument merveilleux tant par son écriture que par les personnages peuplant sa Vallée. Sans oublier son sublime coup de crayon. Imagination au pouvoir, nature indomptable, gentillesse et parfois, des situations ne connaissant pas de dénouement favorable, comme dans la vraie vie. Je sais que Tove Jansson, tracassée par l’arrivée de la seconde guerre mondiale, a voulu créer un monde à elle, plus beau que le nôtre, et le pari est réussi haut la main car il est bien inconfortable de tourner la dernière page de chacun de ses livres.

 » Toute la Vallée ressemblait à un paysage lunaire et capricieux. La neige faisait de grosses bosses rondes, ou alors de jolis coteaux arrondis d’un côté et de l’autre coupés net comme par une lame de couteau. La moindre brindille avait un chapeau blanc. Et les arbres avaient l’air d’énormes pièces montées en meringue, conçues par un pâtissier farfelu. »

Il y a plusieurs mois, j’avais relu « Papa Moomin et la mer », au style littéraire incomparable.

« Pendant que Moomin avançait au ras du sol et s’enfonçait de plus en plus profondément dans le bois, l’horrible sensation d’être enfermé le quitta. Il se sentit au contraire protégé au cœur de cette fraîche obscurité, il était juste un petit animal qui s’était caché pour avoir la paix. Soudain il entendit de nouveau la mer, et le soleil vint à sa rencontre, chaud, éblouissant. Moomin était arrivé dans une clairière au milieu du fatras des petits arbres. Elle était toute petite, à peu près comme deux lits posés côte à côte. Il y faisait chaud, des abeilles bourdonnaient au-dessus des fleurs et la forêt montait la garde autour. Le feuillage des bouleaux nains se balançait au vent, formant un toit léger que le ciel pouvait percer. C’était une merveille. Moomin avait rencontré l’absolu. Personne avant lui n’avait pénétré jusqu’ici. Cette clairière était la sienne. » 

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Les déferlantes – Claudie Gallay

Je l’ai déjà lu une fois, lors de sa sortie, et j’en gardais une excellente impression, faite d’ambiance maritime sur un rythme lent. En effet, le rythme est lent et, malgré mon amour pour la lenteur, je l’ai trouvé parfois un peu trop tiré en longueur. De plus, les phrases courtes contribuent à créer une sorte de monotonie. Et comme il y a un mystère, on crie un peu : « allez, accouche ! » Très bon livre malgré tout 🙂

« Arrivés à la grande falaise, on a quitté le sentier et on a pris entre les fougères, des passages étroits bordés de ronces. Des buissons ras sur quelques mètres et les ronces ont laissé place à une petite herbe brûlée par les vents. Un à-pic vertigineux. La mer était tout en bas. J’étais souvent venue là, pour oublier. »

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Mauvaise pente – Keith Ridgway

Il pleut, en Irlande. Il pleut sans discontinuer, et le moral des troupes est au plus bas. La vie de Grace Quinn dérape salement. Étrange livre que celui-ci, trouvé au fond d’une boîte à livres. Car si l’écriture est très belle (par moments même superbe), j’avoue m’être demandé pendant très longtemps quel était son propos. Du coup, c’est un « sans plus » pour moi, mais il se pourrait que je sois passée à côté de quelques chose.

« Ensemble ils avaient arpenté la terre détrempée, ils avaient peiné sur la bruyère et les taillis près du lac. Ils avaient parlé, et parlé encore. De quoi, il ne savait plus. Il ne se rappelait que le chemin. Leurs pas, ses pieds qui se posaient l’un après l’autre pour le porter sur un sol toujours neuf, au bord de l’eau, dans l’herbe haute ou sur l’herbe rase, jusqu’au sommet d’une colline. Il se rappelait l’impression que lui procurait la distance parcourue, la sensation sécurisante de se savoir éloigné de tout être humain, excepté sa mère. »

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Un tout petit monde – David Lodge

Existe-t’il au monde un plaisir littéraire plus grand que celui de se plonger dans un bon David Lodge ? A mon sens, non. On se love dans un monde connu : le monde universitaire, avec ses colloques, ses chassés-croisés amoureux, le tout sur fond d’ironie grinçante. Un régal, quoi.

« – Je n’aurais jamais imaginé que vous aimiez courir.
– Ce n’est pas de la course, Percy, c’est du jogging. La course est un sport. Le jogging, une punition. »

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Jenny – Sigrid Undset

« Jenny », c’est le portrait d’une jeune femme qui quitte sa Norvège natale pour rejoindre Rome, où elle se consacre à la peinture et découvre une bande d’amis ayant les mêmes projets, ainsi que la beauté chaleureuse de la ville. C’est le portrait d’une jeune femme qui, au tout début du 20ème siècle, s’interroge beaucoup sur ce que la société attend d’elle, en complet décalage avec ses aspirations.

« L’amour était venu, lent et presque imperceptible comme ce printemps du Sud. Tout aussi égal, tout aussi sûr, sans rien de brusque, sans journées froides ni tempêtes. Le coeur n’était pas ravagé par la nostalgie du soleil, de la lumière éblouissante, de la chaleur torride de l’été. Les soirs ne ressemblaient en rien aux longs soirs du printemps nordique, alors que l’angoisse semble émaner de la clarté insolite, de l’interminable crépuscule. La journée de soleil finie, la nuit tombait douce et égale. La fraîcheur suivait l’ombre, invitant au sommeil paisible et tranquille. La chaleur augmentait un peu chaque jour ; chaque jour quelques fleurs nouvelles s’épanouissaient dans la campagne verte, verte non pas plus que la veille, mais un peu plus que la semaine précédente.
L’amour qu’elle éprouvait était venu ainsi. »