Comme je vous le disais précédemment, avec les copines du cours de peinture, nous sommes allées à l’opéra voir « Les pêcheurs de perles » de Bizet. La consigne : s’imprégner du spectacle, observer le ravissement et/ou l’agacement qu’il provoque en nous et, une fois rentrées à l’atelier, pondre un petit chef d’œuvre néo-classique.

Puisque nous étions une cinquantaine d’élèves, Laurence avait en main un tas de billets et elle nous avait prévenus : nous devions piocher une place au hasard et surtout ne pas s’insurger si nous en avions une mauvaise.

Après avoir pioché sa place, une des élèves est venue trouver Laurence en lui disant : « Regarde, sur mon billet, il est noté « Place à visibilité réduite » » et je me suis écriée : « Nîîît. Error system. Mauvaise pioche », alors elle m’a regardée un peu de travers et je me suis dit que la soirée commençait bien, que j’allais certainement me faire des tas de nouveaux amis.

Pour ma part, j’ai fait une bonne pioche car je me suis retrouvée avec Solange, Claire et Bernie, et on a mis un sacré dawa sur le troisième balcon.

La musique a démarré et j’ai dit : « C’est vraiment expérimental, comme opéra » et Bernie, qui est chanteuse lyrique et qui en connait donc un rayon a précisé : « Ils sont en train d’accorder leurs instruments. Le spectacle n’a pas encore commencé ». Solange a dit : « Tu veux dire qu’ils font les soundcheck ? ». Nous, on y peut rien, on a plutôt un passif rock and roll.

Pour faire passer le temps, on a un peu regardé notre brochure de présentation pendant que Bernie, qui travaille dans l’armement, passait des coups de fil en Irak en disant à des types d’appuyer sur le bouton.

La revue nous a révélé que de grandes personnalités avaient œuvré pour cet opéra. Tout d’abord, sachez qu’il s’agit d’un opéra d’Alain Chabat, et qu’il y a Nicolas Cage en guest star, ce qui nous a rendues toute chose.


A côté de moi, il y avait un jeune homme qui avait ouvert son carnet de croquis alors j’ai engagé la conversation, en mode « Vazy que j’te drague à l’opéra, c’est que je suis de la Haute, moi, Monsieur » et je lui ai dit : « C’est fou, moi aussi, je suis là pour un cours de peinture », et il nous a fallu au moins cinq minutes de conversation pour subodorer que peut-être, éventuellement, nous fussions tous les deux des élèves de Laurence. Là, pour le coup, je crois que j’ai atteint mon niveau maximal de percolation.

Comme l’attente était un peu longue, je me suis levée de mon siège et j’ai demandé : « Qui veut du pop corn ? Je vais en chercher », mais le rideau s’est levé alors je me suis rassise. C’est qu’on a même pas le temps de casser la dalle, dans cet endroit.

Les chanteurs sont entrés sur scène et là, un écran avec les paroles s’est allumé au-dessus de nos têtes et Solange a dit : « Oh, trop cool ! Je ne savais pas que c’était un karaoké et que l’on pouvait chanter en même temps ! », mais elle a vite déchanté (c’est le cas de le dire) quand elle a compris qu’il fallait du coffre pour pouvoir suivre.

Des danseurs sont arrivés et je me suis écriée : « Ils dansent la mamouchka !!! ». La mamushka, pour ceux qui ne connaissent pas, c’est la danse préférée de la famille Addams.

Mais parlons de l’histoire pondue par Bizet, afin de faire votre culture générale.
Cela se passe dans un village de pêcheurs. Au vu du titre, je subodore qu’ils pêchent des perles, mais en réalité, aucun indice ne va dans ce sens. Je pense que, d’une certaine manière, « Les pêcheurs de perles », ça sonne mieux que « Les pêcheurs de morue ».

Et, allez savoir pourquoi, ils décident qu’une bonne femme qui passait en pirogue sur le fleuve allait devenir leur divinité. Donc ils lui disent, dans les grandes lignes, de garder le voile, de ne jamais montrer son visage, de prier devant l’abîme et de ne pas faire chier. (Cela vous fait penser à quelque chose ? Intégrisme islamiste, dis-moi ton nom).

Mon âme féministe s’est insurgée contre ce patriarcat misogyne et j’ai eu envie de crier : « Libère-toi de tes chaînes, brise le carcan, Leïla ! », mais je suis restée bien sagement calée dans mon siège.

Le problème, c’est que deux amis d’enfance sont amoureux de ladite divinité. Et un soir, l’un des deux va la rejoindre en secret et lui roule une pelle. Mais, comme de bien entendu, l’autre les aperçoit et, vu qu’il est le chef et que c’est lui qui décide du sort de chacun, il décide de les faire tuer.
Mec, tu es jaloux parce que ta dulcinée aime ton meilleur ami, mais est-ce une raison pour les poignarder sous les acclamations hystériques du village ? Va te faire psychanalyser, j’ai envie de dire.

Leïla, voyant sa fin approcher, prend les choses en main et décide d’intercéder auprès du chef. Elle lui demande de la tuer mais d’épargner son mec. Là, elle insiste sacrément en demandant « Tue-moi » pendant des minutes entières et avec moult trémolos dans la voix. Epuisée, j’ai manqué crier : « Mais butez-la, à la fin ! Vous voyez bien qu’elle demande ! ».
Si je dis ça, moi, c’est histoire d’épargner nos tympans.

A la fin, le chef du village décide quand-même de déclarer sa flamme en criant très fort : « Cela fait des années que je t’aiiimeeeuh » et Leila pousse un immense cri aigu qui m’a fait reculer sur mon siège et éclater de rire de surprise, faisant se retourner sur moi un vieux couple habillé en tweed.

Non mais meuf, fais pas genre « J’avais rien catché depuis toutes ces années ». On ne nous la fait pas, à nous.

Et, en parlant de flammes, un incendie éclate à ce moment-là pour détourner l’attention de la foule lapidaire car le chef décide de changer d’avis et de les laisser s’enfuir. En fait, il aperçoit qu’elle porte un collier de perles (il était grand temps que l’on parle de perles) et c’est cet indice qui prouve qu’elle lui a sauvé la vie auparavant, donc, en analyse avec son psy, il a décidé de faire amende honorable, grand bien lui fasse, c’est toujours ça de pris pour son karma de mec colérique et jaloux.

A ce moment-là, Poupette a crié : « Trop bien ! » parce qu’elle adore peindre des incendies, elle en a même fait une spécialité.

Enfin, on a pu libérer les fauves et, dans l’escalier, on s’est tous retrouvés. La femme qui avait fait une mauvaise pioche m’a expliqué qu’elle avait ouvert porte après porte jusqu’à trouver une place qui lui convienne en déclarant qu’elle s’était perdue et j’ai crié « Trop bien » et on s’est clapé dans la main comme si notre équipe de rugby féminine en avait massacré une autre.

Solange m’a montré la vue qu’elle avait depuis la loge qu’elle avait squatté après l’entracte et je me suis écriée : « Oh ! Regarde ! Il y avait même un orchestre ! « , ce qui a fait tiquer une Béatrice de Montmirail qui nous écoutait.

Puis j’ai croisé Margo, qui est une future chanteuse lyrique professionnelle et elle m’a dit : « J’ai tellement hâte que des grands types me hurlent « Il faut te tuer » dans les oreilles. Après, on vient dire que les chanteurs parlent fort. Mais c’est qu’ils sont sourds ! ».

Lessivées par autant d’émotions et de décibels, nous avions hâte de rejoindre la voiture et de se casser fissa. Mais nous n’étions pas au bout de nos peines, car c’est là que nous avons compris qu’il y avait comme qui dirait comme une couille dans le potage car l’escalier du parking était rempli d’une file de personnes faisant plusieurs étages. Des centaines de personnes devaient quitter le même endroit et il n’y avait qu’une seule machine pour payer et une seule barrière pour se barrer.

On a un peu patienté en chantant « Tuez-moi » en mettant des trémolos, puis j’ai déclaré : « Je vous préviens, ce soir, je paye avec des pièces de un centime » et il y a eu un mouvement de foule de mécontentement dans les vestes en jacquard.

Laurence nous a dit : « Allez-y, allez chercher votre voiture sans passer par l’automate » et elle a ajouté tout bas « On peut payer à la barrière avec sa carte Visa ». Les autres l’ont crue sur parole (confiance aveugle en notre Maître), donc on a dépassé tout le monde dans la file, ce qui a hérissé le poil de pas mal de monde.
On est rentrées dans la voiture et j’ai dit : « Vous vous rendez compte que si Laurence a tort et qu’on se retrouve coincées devant la barrière en bloquant tout le monde, ce ne sont pas des tomates, qu’on va nous jeter, mais des parpaings ».

Une fois arrivées devant le guichet, Maria s’est extirpée de la voiture sans que l’on doive appeler le service de désincarcération (cinq personnes dans une petite voiture) et a montré sa carte Visa au type qui l’a regardée avec des yeux ronds et qui lui a dit : « Vous savez, Madame, vous pouviez rester dans la voiture et tendre votre carte sans devoir sortir ». Puis, quand la barrière s’est levée, Cécile a démarré en trombe, faisant mine de laisser Maria sur le parking, ce qui nous a beaucoup amusées.
Ensuite on a repris la route, sous les instructions de Morgan, mon gps.
Quand je suis rentrée, j’étais excitée comme une puce sous acide et je ne parvenais pas à fermer l’oeil. J’ai pensé » C’est à croire que je suis folle d’opéra », jusqu’à ce que je réalise que j’avais tout simplement oublié de prendre mon médicament pour la tension.
Que voulez-vous, c’est exaltant, ce genre de soirée.
