29 juin 2022. Quand j’avais quatre ans et Caro deux, nos parents se sont séparés. Maman avait rencontré Jean-Chri, et Jean-Chri était le fils de Willy Peers, célèbre gynécologue. Célèbre pour avoir pratiqué des avortements en toute illégalité, célèbre pour avoir été emprisonné après avoir aidé une handicapée mentale à se faire avorter suite à un viol. Célèbre pour être sorti de prison suite à une mobilisation très forte des femmes dans la rue. Célèbre pour sa grande humanité.
Comme Jean-Chri vivait toujours chez ses parents, nous avions été accueillies par eux dans son petit appartement de fonction aux abords de l’hôpital. Ces souvenirs-là, je t’en parlerai un autre jour. Il est question de comptines, de tourne-disques et de massepain.

Hélas, nous n’avons pas connu Willy longtemps car il est décédé brutalement cette même année, et ma mémoire de quatre ans n’est pas suffisante pour en restituer un souvenir précis. Heureusement, je sais que les disparus portent mal leur nom, puisqu’ils ne disparaissent pas de nos existences pour autant.
J’ai vécu dans le sillage de Willy. J’ai grandi avec ses portraits accrochés aux murs de sa maison de campagne, la barbe, la pipe à la bouche, l’air empreint de sagesse.
J’ai grandi parmi ses objets : ses canes à pêche multicolores, ses mouches alignées comme des bijoux, ses pipes sculptées dans le bois, et sa bibliothèque, obsédée par le communisme, l’anarchisme et l’accouchement sans douleur, avec un brin de poésie, aussi. C’est grâce à lui qu’adolescente j’ai rencontré Aragon, en me plongeant dans les livres qu’il nous avait laissé.
J’ai grandi parmi des coupures de presse en noir et blanc relatant son parcours. J’ai mangé mon sandwich de midi devant la fresque de la Ville qui le met ; entre autres personnes ; à l’honneur.
J’ai grandi avec les récits que m’en ont fait ses enfants : les après-midis de pêche à la mouche le long de sa Lesse adorée, les voyages entassés dans la Warburg jusqu’en Yougoslavie.
J’ai grandi avec les récits que m’en ont fait des femmes croisées à différents moments de ma vie : Madame Simon, ma prof de français en humanité, qui ne tarissait pas d’éloges à son propos, les parents de Maud et Julien chez qui j’étais passée une après-midi et chez qui j’ai trouvé avec surprise un grand portrait de lui, et Mamy Jo qui lui voue une admiration sans failles. Toutes ces femmes et ces hommes ont en commun d’avoir fait de lui un être qui a beaucoup compté à des moments cruciaux de leur vie, que ce soit pour donner naissance ou pas. Toutes ces femmes et ces hommes ont en commun qu’aujourd’hui encore, s’il fallait sortir dans la rue pour poursuivre son combat, le feraient sans le soupçon d’une hésitation, intimement convaincus qu’ils ont le droit de faire ce choix parfois douloureux dans les meilleures conditions techniques et psychologiques possibles.
Alors, tu comprendras pourquoi, quand je vois la Pologne reculer et les Etats s’unir pour régresser, ça me fout la rage. Ça me fout la rage pour mon « presqu’ancêtre », ça me fout la rage pour toutes les personnes concernées, c’est-à-dire l’ensemble de l’humanité. Cette humanité qui quitte nos dirigeants et semble les laisser comme des coquilles vides. Ça me fout la rage de constater que les combats que l’on pensait gagnés ne le sont jamais tout à fait et que, sans cesse, il faut reprendre la fourche et aller clamer haut et fort ses désaccords.
Et je tire mon chapeau à ces médecins qui, à travers le monde, entament le même combat sans jamais rien perdre de leur grâce, dans un climat pourtant putride qui sent de plus en plus le vieux relent de dictature
Et oui, il leur faut du sang frais pour leurs armées, pour leurs guerres à venir madame. Pour eux, c’est du snobisme de choisir qui va naître ou pas. La chair à canon, ou la criminalité pour leurs prisons haute sécurité. C’est un bassin d’emploi énorme. Ils ne veulent pas de ces adultes qui ont été aimés, éduqués, choyés, etc…ils savent que ça ne fera pas des adultes soumis au système. Comprends tu madame?
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