Lecture

Vers le phare – Virginia Woolf

Les différentes traductions de ce titre de Virginia Woolf (« Promenade au phare » ou plus sobrement « Au phare ») tendent aujourd’hui à converger vers « Vers le phare » qui marque une intention de s’y rendre, objet même du roman.
Cette couverture est un magnifique tableau du grand Sorolla, que j’aime d’amour.

« D’abord la pulsation de la couleur inondait le golfe de bleu ; le cœur se dilatait avec elle et le corps tout entier avait l’impression de nager, pour être, l’instant d’après, arrêtés et glacés par la noirceur épineuse des vagues contrariées. Puis, derrière le grand rocher noir on voyait jaillir presque tous les soirs à intervalles irréguliers – de sorte qu’il fallait guetter et c’était une joie quand cela venait – une fontaine d’eau blanche. Et tout en l’attendant on regardait sur le pâle demi-cercle de la grève la succession des vagues déposer leur douce pellicule nacrée. »

Joaquin Sorolla
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Mrs Dalloway – Virginia Woolf

« C’est ainsi que par un jour d’été les vagues se ressemblent, basculent, et retombent ; se rassemblent et retombent ; et le monde entier semble dire : « Et voilà tout », avec une force sans cesse accrue, jusqu’au moment où le coeur lui même, lové dans le corps allongé au soleil sur la plage, finit par dire lui aussi : « Et voilà tout » Ne crains plus dit le coeur. Ne crains plus, dit le coeur, confiant son fardeau à quelque océan, qui soupire, prenant à son compte tous les chagrins du monde, et qui reprend son élan, rassemble, laisse retomber. Et seul le corps écoute l’abeille qui passe ; la vague qui se brise ; le chien qui aboie, au loin, qui aboie, aboie. »

Lecture

La vie d’Andrès Mora – Claudine Desmarteau

J’aime bien cette collection « Sygne » de chez Gallimard, proposant des romans un peu en marge, souvent axés sur un humour déjanté (Fabrice Caro publie dans celle-ci)

Celui-ci n’échappe pas à la règle. Il est drôle, caustique, d’un humour plutôt sombre et se dévore au lieu de se lire.

Benoît Cardan est un écrivain dont la carrière semble être sur des rails, jusqu’au jour où son éditeur refuse son nouveau manuscrit. Afin de rester dans le coup, il élabore un plan quelque peu… désabusé.

« Ce qui ne l’a pas tué ne l’a pas rendu plus fort. C’est tout le contraire. Ce qui ne l’a pas tué l’a rendu plus vulnérable. Plus méfiant. Moins téméraire. Plus fragile, physiquement, surtout. C’est le coeur qui s’en est pris plein la gueule. Tout ce qui ne l’a pas tué l’a rendu mélancolique. Tout ce qui ne l’a pas tué s’est accumulé en lui. »

« La vie d’Andrès Mora » de Claudine Desmarteau – Gallimard (Sygne)

Lecture

Roald Dahl : la polémique

Cher Gary,
Tu me connais, je suis plutôt d’un tempérament flegmatique. Mais il n’empêche que parfois, je sens la moutarde me monter au nez et mon poil se hérisser sous le coup d’une violente colère. Rien ne m’agace plus que la bien-pensance. Et justement, il y a quelques jours d’ici, un individu lambda s’est levé quant à lui de fort belle humeur et s’est dit : « Tiens, si j’allais transformer les très vilaines phrases de ce bougre de Roald Dahl ? ». C’est simple. On traque les aspérités, puis on les gomme afin de rendre le tout impeccable, bien lisse. Ça, c’est une première chose. Une chose abjecte qui demande un culot tout aussi abject. La seconde chose, je te la demande : qui es-tu, ô toi, individu lambda pour oser t’autoproclamer ainsi police du bon goût et te permettre de toucher à la colonne vertébrale d’une oeuvre ? Qui es-tu pour oser t’attaquer à Roald Dahl, LE maître ? Ce que tu n’as visiblement pas compris, c’est que Roald Dahl est par nature irrévérencieux. Roald Dahl, c’est l’innocence de l’enfance aux prises avec la malveillance et la cruauté des adultes. C’est la moquerie, le sarcasme, la démesure. Roald Dahl, ce sont des personnages aux mauvaises aspirations, au vocabulaire défectueux. C’est l’insulte lancée dans la cour de récré. Et si tu n’as pas compris cela, individu lambda, j’en suis fort navrée pour toi car il te manque de la vie son sel et son amertume.

Mes peintures

Dans la lande

Il y a environ deux semaines, je me suis disputée avec la peinture à l’huile, après que le chien a marché sur une de mes toiles et que je doive le suivre à la trace avec un chiffon et après avoir jeté mon vingt-huitième pantalon car salement taché… Furax, j’ai chopé les vieilles acryliques de Mère et ai décrété que dorénavant, je ne ferais plus d’huile dans mon étroit atelier. J’ai commis ainsi quelques tableaux dont « Dans la lande ».

Mais je n’en étais pas entièrement satisfaite. Trop vif, manque de nuances, de couches et de transparences que seules permet l’huile. Alors j’ai rompu mes voeux pour me jeter à corps perdu dans mon ancienne amie.

Quel plaisir, quelles nuances… je ne la tromperai plus jamais avec l’acrylique.

Récits

Hortense

23 janvier 2023

J’ai rendez-vous à l’hôpital pour l’entretien des six mois. Une demi année est passée depuis mon hospitalisation. La neige fondante saupoudrant le parking et les températures en-dessous de zéro annoncent une ambiance très différente de celle, caniculaire, qui régnait cet été et m’aident à prendre la mesure du temps venant de s’écouler. Il y a six mois, j’étais au plus fort de ma dépression. Dans l’oeil du cyclone, en quelque sorte.

Notre groupe se reforme, le temps d’une matinée. Assis en rang d’oignons sur des chaises en plastique vissées le long du mur, nous nous retrouvons et échangeons des nouvelles. Nous sommes tellement contents de nous revoir. « J’ai l’impression d’attendre le bus » nous dit Gilles. La porte face à nous s’ouvre, nous dévoilant une Madame Pirette enjouée qui nous annonce que nous allons, chacun à notre tour, « passer au shampoing ».

Cécile commence. Je lui lance : « Demande une colo pour devenir blonde platine ! », mais elle en ressort le cheveu gluant, la trace des ventouses marquant son front au fer rouge. Cet examen se nomme très mystérieusement : « les potentiels évoqués » et j’ignore toujours ce qu’il dévoile de mon fonctionnement neurologique car le docteur Valium n’a toujours pas reçu les résultats du premier.

Madame Pirette me sangle un bonnet sur la tête, qu’elle resserre sous le menton et m’enduit le cuir chevelu d’un liquide gluant ressemblant étrangement à un éternuement de Raptor. Le but du jeu, c’est de cliquer sur un bouton lors de signaux sonores. Facile, les doigts dans le nez.

Nous devons aussi répondre à un questionnaire long comme un bras dont les réponses fournies ne peuvent rien augurer de bon. « Vous sentez-vous utile pour la société ? Plus inutile qu’un parapluie en Zambie »« Vous sentez-vous plus triste qu’à l’ordinaire ? A une fréquence dépassant l’entendement humain ».

Michael a apporté une plante en pot afin de l’offrir au personnel soignant, mais ils doivent refuser son présent car « la terre est interdite dans un hôpital ». On jette un oeil à la déco environnante. Les boules de Noël sont toujours là, ainsi que les reproductions des oeuvres impressionnistes. Seul changement : un sapin de Noël, chargé de ses ornements et de longs cheveux d’ange semble oublié là. La seule plante verte du couloir dépérit. Gilles s’exclame : « La terre est interdite ? mais alors… cette plante en plastique est drôlement bien imitée…ils ont même mis plein de feuilles mortes ».

– J’imagine que l’environnement doit être stérile » réfléchit Sabine.

– A l’image de nos raisonnements » dis-je afin de propager un peu de joie dans nos coeurs desséchés.

Michael, ne sachant que faire de sa plante, me la fiche dans les bras en s’exclamant : « Tiens, c’est pour toi ». J’en reste coite et stupéfaite. Il ignore qu’aucune plante verte n’a survécu à ma prise en charge. Je lui dis : « Elle est belle, très belle, même. Mais je n’ai jamais été responsable d’un être vivant » Je demande à Sabine : « Tu la veux ? » Je vois bien qu’elle est tentée, mais elle déclare : « Je crois que cela te fera un bon exercice, de chérir une plante verte ».

En réalité, la plante n’est pas verte. Elle est d’un mauve fuchsia magnifique, ma couleur préférée, et s’accorde d’ailleurs merveilleusement à mon manteau. « Ok. Je la prends, merci. Je crois que je vais l’appeler Hortense. « Hortense l’hortensia » « Ce n’est pas un hortensia, banane. C’est une ortie » m’apprend Michael, tatillon.

La matinée terminée, on laisse les deux hommes à leur questionnaire et on décide d’aller se faire un petit repas entre filles à la cafétéria. Je promène Hortense à travers le dédale de couloirs. Cette histoire me fait drôlement penser à une autre, plus ancienne, remontant à mes études supérieures. André avait arraché un bégonia dans une jardinière de l’école et me l’avait offerte avec emphase : « Tenez, ma chère… une fleur pour célébrer notre amitié » J’étais restée prostrée, fleur en main, quand un surveillant a déboulé dans la cour et m’a engueulé comme du pu parce que j’avais arraché une fleur de son bac. Je jette donc un regard circulaire autour de moi, mais aucun vigile ne semble tracassé par mon introduction illicite de terreau au coeur de l’hôpital.

A la cafétaria, je croise Fabian, qui me demande si j’assortis toujours ma plante verte à mon manteau. On fait la file pour recevoir notre plâtrée. Ce midi, c’est gratin de macaronis. On s’installe à table quand j’entends : « Comment ça va, mon petit Phasme ? » C’est Anne, ma tante, qui travaille ici. « Tu connais tout le monde ? » me demande Cécile. « Un vrai pilier de comptoir d’hôpital » répond Sabine en me narguant.

Récits

Tigette et jour de fête

29 décembre 2022

Note bien la date et marque ce jour d’une pierre blanche, Gary ! Car aujourd’hui, je viens de finaliser l’écriture de mon livre. Excitée, je pars en quête d’un moine copiste pour faire imprimer en trois exemplaires afin de les refiler à mes relecteurs. Parmi eux : Mélanie, bondissant comme une puce à l’idée de le découvrir en avant-première.

Une fois mes impressions faites, je fais un crochet afin d’acheter un test en pharmacie. Je suis minutieusement les instructions avec l’impression de jouer avec un kit de chimie amusante et me concentre pour éviter que la tigette ne me perfore la cloison nasale et vienne se ficher dans ma cervelle.

J’envoie un message à Mélanie disant : « Tu peux venir me chercher pour aller chez Clémentine, mon test est négatif, je ne suis pas enceinte. Et tu recevras même ton exemplaire de mon livre ! »

Fière, j’inspecte mon ouvrage et je vois que la première phrase n’est pas correcte.

Je feuillette l’ensemble.

Me suis trompée de version.

J’en ai donné une précédente à la moine copiste.

Putain.

Comme c’est fatiguant d’être moi.

Mélanie arrive. Observe mon test. « Mais Bichon ! Tu es positive ! Tu as le Covid ! » crie-t-elle en me brandissant mon test sous le nez.

En effet, la barre s’affiche nettement.

Mère crache ses poumons.

Mélanie recule. Elle dit : « Je me casse d’ici à toute vitesse. Mais avant, vas-y, file-moi mon exemplaire de ton bouquin. »

« Elle ne peut pas, explique Mère. Parce qu’elle est un boulet ».

C’est vrai. Je suis un boulet.

Un boulet, et une paria.

Récits

Noël

25 décembre 2022


Cher Gary,


Je t’écris depuis les dessous de ma couette moletonnée.

Ici il fait calme. Le vrombissement de la machine à aérosols est une douce mélopée seulement interrompue par les râclements de toux maternelle, tous deux couvrant le tambourinement de la drache frappant les carreaux.

Aujourd’hui c’est Noël. Un enchantement de chaque instant. Il pleut comme vache qui pisse. L’enfant Jésus est rentré dans sa crèche, tout comme nos trois moutons, craignant de se transformer en énormes éponges. Les chats regagnent leur doux foyer, trempés comme des soupes, imbibant les canapés. Je crois que le chien a attrapé lui aussi une rhino-pharyngite car il tousse d’une façon intrigante, tel un phacochère ayant de la poussière coincée dans les naseaux.
J’ai mal à la tête. J’ai mal au coeur. Je pense que je souffre de célinedionisme. Je ne donne pas deux heures avant de monter dans les aigus. Je n’en donne pas trois avant de pousser mon dernier soupir.


En vrai, je ne suis pas malade. Je suis molle. Flapie. Fade, comme on dit ici.


En fait, tout est comme d’habitude.

Récits

Reverence

24 décembre, 23 h

Bon. Je reviens. J’apprends à l’instant que le chanteur de Faithless a tiré sa révérence. C’est moche.

Vraiment, tu n’as pas plus pourri du cul, comme Noël ?

Du coup je l’écoute dans le salon.

Mère est enchantée.

Cela se voit à son sourire radieux.

Si, si, celui que l’on devine derrière son masque à oxygène.

C’est triste, tout ça. Tellement triste que je ne sais pas si je vais pouvoir dormir. Ça sent l’insomnie à plein nez.

PS : (Regarde l’heure. Si quelqu’un d’autre ose la faire (« tire sa révérence »), dis-lui bien que j’étais la première)