Je ne voudrais pas jouer ma Bridget Jones, mais il est vrai que parfois, un fossé se creuse entre les amies « en couple et fières de l’être » et les « célibataires au bout du rouleau« .
Là, par exemple, je suis bien au bout du roll. J’ai même touché le carton.
Ce fossé se fonde sur un immense malentendu. Il se creuse sur base de ce que j’appellerais « la vie fantasmée ».
Et ce fossé se creuse surtout le vendredi soir.
Prenons pour exemple : moi-même (célibataire au bout du rouleau) et ma copine Charlotte (en couple et fière de l’être).
Piochons un vendredi dans le hasard de l’existence (vendredi dernier fera l’affaire) et décortiquons-le ensemble afin de faire apparaître le fossé fantasmagorique que je vous évoque.
La semaine de travail est enfin terminée. J’ai rangé ma perforatrice, arrosé mon cactus et nettoyé mon Tupperware. Jusque là, Charlotte et moi sommes sur un pied d’égalité puisqu’elle vient d’accomplir les mêmes tâches ou à peu près.
« 16h30. Administration communale »
Là où commence l’écart, c’est que, tout en fermant mon bureau à clé, je pense à elle avec un soupçon d’envie.
Je me dis qu’elle a beaucoup de chance : elle va passer un vendredi soir tranquille avec son amoureux. Une fois qu’ils auront mis les enfants au lit, ils s’installeront dans le jardin avec un petit verre de vin blanc et observeront les étoiles en se racontant leur journée.
« Elle s’est bien passée, ta réunion, Donovan ? »
Alors que moi…
Je regarde Alf en mangeant le reste de ma pizza d’hier sans même avoir pris la peine de la réchauffer au four à micro-ondes.
Je me dis que la vie de Charlotte est quiétude, elle est comblée, elle a de magnifiques enfants, une maison digne de la revue « mon jardin ma maison », elle a un caniche géant qui s’allonge à ses pieds, un mari qui sait planter des clous et déboucher des tuyauteries. Cette nuit, elle sera aimée et, au réveil, elle trouvera un petit plateau sur lequel seront posés des croissants, des œufs sur le plat, un jus d’oranges pressées. Le plateau sera peut-être même garni par une fleur sauvage déposée dans un verre.
« Diantre que ces enfants sont turbulents »
Charlotte, quant à elle, est secrètement jalouse de ma vie de célibataire. Elle pense drague et débauche. Elle pense luxure et chasse à l’homme. Elle pense retour aux aurores, un type à chaque bras. Elle pense gueule dans le cul et Paracetamol.
« Oh, fais-moi mal, Johny Johny »
Mais la réalité est loin d’être aussi rock and roll.
Ce vendredi, j’ai rejoint des amis avec lesquels nous encadrions des enfants lors de stages d’été. Cette année, c’était un peu spécial puisque nous fêtions les 20 ans d’existence de ce stage. J’ai donc décidé de leur faire l’honneur de ma visite. « 20 ans. Nom d’une pipette ! Voilà qui ne me rajeunit pas », me suis-je dit en franchissant la grille.
Je me suis installée sur un banc en bois. La jeune femme qui était assise à côté de moi s’est aussitôt écriée « Oh ! je me souviens de toi ! Tu étais ma monitrice quand j’étais enfant. Ce qui est marrant, c’est que ce sont maintenant mes enfants qui viennent au stage chaque été. Regarde : le poussin qui est là tout au fond et la grenouille mauve, ce sont mes enfants ! »
« Moi, à cet instant là »
Il y avait en effet, parmi les martiens, les pirates et des escargots, un poussin qui tremblait en bavant sur ses doigts et une grenouille mauve qui brandissait une épée en carton recouverte d’aluminium.
Sur l’avant de la scène, un crocodile dont le maquillage avait coulé à cause de la chaleur chantait un air inaudible en triturant ses crottes de nez. « Et lui, c’est mon grand ! » s’exclamât-elle fièrement en brandissant son caméscope. Elle filmait tout le spectacle sans en rater une seule miette. « En voilà qui vont passer de chouettes soirées de visionnage cet hiver », pensai-je en hautaine cinéphile.
« Ils sont choupinous, hein, mes petits chéris ?! »
Reconnaissez que j’étais loin de l’ambiance drague et bar à rhum, et apprendre qu’une petite fille que j’avais eue en stage était elle-même mère de trois enfants, c’était un peu brutalisant.
Sous le choc, je décidai de me commander un petit quelque chose à boire. Il n’y avait que de la grenadine. J’ai vidé mon verre d’une seule traite. « Remettez-moi la même chose » dis-je au clown qui servait à la buvette. Comme il me lançait un regard interrogateur, je crus bon de lui expliquer « Je viens d’apprendre que je suis grand-mère ». Perturbé, il s’éloigna à l’autre bout du bar pour prendre la commande de quelqu’un d’autre.
Tout ce sucre m’a fait un bien fou. Je suis retournée à ma place. J’ai chanté « J’ai un gros nez rouge » avec le reste du public en mimant un clown. J’ai mangé un pain saucisse. De la moutarde a coulé sur ma robe.
« Trop wopélop »
De son côté, Charlotte a jeté ses enfants dans leur lit un peu plus tôt que prévu, pour avoir la paix.
Quand elle est descendue, elle a pris soin de couper le baby-phone pour ne plus les entendre brailler dans ses oreilles. Elle a shooté dans un petit camion en plastique et a crié « Putain de sa race ». Elle a ouvert son frigo, s’est saisie de la bouteille de vin, s’est affalée sur sa chaise de jardin et a vidé le fond de la bouteille au goulot. Elle a demandé à Donovan si c’était lui qui allait chercher la commande de frites et ils ont mangé des poulycrocs en regardant un épisode de Thalassa, des cernes sous les yeux. A 22 heures ils ont fermé boutique. L’homme s’est endormi aussitôt, brisé par les vicissitudes de la vie familiale et il s’est mis à ronfler. Doucement d’abord, puis de plus en plus fort. Charlotte a donc déserté le lit conjugal pour migrer vers le canapé. Dans le noir, elle n’a pas vu le même petit camion en plastique. Cette fois elle a juré « Mais putain de bordel de merde » en sautillant sur place et en tenant ses orteils endoloris dans sa main, ce qui a réveillé les enfants. Elle est montée les rendormir.
« Franchement, réfléchis-y à deux fois, Bridget »
Ces réalités, certes triviales, sont les vérités de nos existences.
Je n’ai pas passé une soirée « gin tonic et cotillons », et Charlotte n’a pas roucoulé sous les rayons de lune.
Et si je développe ce sujet, c’est simplement pour mettre en lumière ce fossé du vendredi soir.
Et aussi, accessoirement, pour que les femmes mariées arrêtent de s’exclamer « Comme tu en as de la chance, tu peux coucher avec qui tu veux ! ».
J’ai chanté avec des clowns des airs qui restent en tête en buvant des grenadines, bordel de merde.
hihihi…..c’est tout à fait *ça*! mais le chouette truc, c’est qu’on peut toujours ‘imaginer’ faire de sa vie autre chose que *ça*……hahaha 😉
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